Bob Kabamba, professeur en sciences politiques à l’Université de Liège (ULg) est un témoin privilégié des derniers scrutins en République démocratique du Congo. Présent à Kinshasa, il a suivi de près tout le déroulement des élections dans un pays qu’il connaît bien et qu’il étudie depuis plus de 30 ans. Son regard sur le déroulement du scrutin est sans concession. “Il n’y a pas eu élection”.
Quel est le bilan de ce scrutin ?
Je me reporterai aux conclusions des évêques de la Cenco qui parlent qui parlent d’élections qui ont été caractérisées par la fraude, la corruption à grande échelle, la privatisation des machines à voter, etc. Tout a été manipulé par le président de la Commission électorale nationale indépendante Denis Kazadi, sans qu’il y ait la moindre sanction. Tout s’est passé dans l’opacité la plus totale. La loi électorale a été constamment violée par la Ceni. C’est une mascarade. La Ceni a prolongé le vote pendant 7 jours sans se soucier de la loi. Imaginez-vous, et la Ceni le reconnaît, qu’on ignore complètement où se trouvaient exactement entre 11 000 et 13 000 machines à voter. Cela représente un potentiel de 7 millions de voix. Avec un taux de participation assez faible (40 % NdlR) sur un total de 44 millions, ça procure déjà une très bonne assise au candidat qui profite de ce système.
Comment expliquer l’acceptation générale de cette fraude ?
Un mot : realpolitik. Tout le monde est prêt à se contenter du minimum pour que la République démocratique du Congo n’implose pas. Bon nombre d’observateurs savent qu’il y a eu tricherie mais ils l’acceptent s’il n’y a pas de remous.
Pourquoi cette absence de réaction ?
Le système mis en place par la Ceni n’a pas permis à l’opposition, prise de court, de s’organiser. L’opacité dans laquelle tout le système frauduleux a fonctionné ne permettait pas de réagir. Un exemple, le vote se poursuivait et la Ceni donnait déjà des résultats partiels obtenus par la voie électronique, sans compilation des bulletins de vote. Personne n’a vu venir un tel niveau de tricherie.
Quel est l’avenir de l’opposition institutionnelle ?
Spontanément, je dirais nul. L’opposition, sur base des résultats dont on dispose aujourd’hui pour le scrutin législatif national, représenterait 6 % des députés. Ce qui signifie qu’elle ne devrait même pas avoir droit à un groupe parlementaire, elle n’aura pas accès à toute une série d’outils qui doivent autoriser le jeu démocratique et permettre de procéder à un certain niveau de contrôle. C’est un parlement totalement acquis à la majorité présidentielle, ce ne sera qu’une caisse de résonance pour le président.
Un boulevard pour un autre type d’opposition ?
Tout à fait. L’opposition non institutionnelle risque d’être beaucoup plus audible. Je pense, politiquement, à Joseph Kabila qui a refusé d’entrer dans ce processus tronqué. S’il se décide à parler, on sera obligé de l’écouter. Par son attitude, vu le déroulement de ce scrutin, il s’est offert une surface d’exposition qu’il faut regarder avec attention.
En dehors de cette opposition non institutionnelle politique, il y a aussi l’opposition plus musclée, je pense ici, notamment au mouvement de Corneille Nangaa dans l’est du pays. On voit qu’il continue à fédérer les groupes armés et les mouvements sociaux. Demain, il pourrait très bien récupérer des cadors politiques régionaux qui ont été laissés sur le côté par la fraude électorale. Ces gens disposent souvent d’une vraie assise populaire. S’ils ne se retrouvent dans les montages de la majorité de Tshisekedi, la tentation sera forte de rejoindre un mouvement comme celui de Nangaa.
Que peut faire Tshisekedi ?
Il doit trouver une réponse à la crise sécuritaire dans l’Est mais aussi au Bandundu. On voit qu’il mobilise beaucoup de moyens pour l’instant sur la frontière orientale. Il a compris que c’était une course contre la montre. Sil ne parvient pas à calmer le jeu à l’est, il va permettre à Nangaa de s’installer et celui-ci va continuer à fédérer. Le parallèle l’AFDL de Laurent-Désiré Kabila est assez remarquable. Kabila a pu compter sur la grogne née du rejet de Mobutu. Les mécontents des petits arrangements de Tshisekedi sont aujourd’hui au moins aussi nombreux, au sein des frontières congolaises mais aussi au-dehors et le mouvement de Nangaa est plus congolais que l’AFDL de Kabila. Il y a aussi le caractère très ethnique du pouvoir de Tshisekedi qui pourrait attiser la rancœur et renforcer la contestation. L’attitude qui consistait à fermer les yeux sur le braquage électoral si la contestation n’était pas immédiate est un pari dangereux et un calcul à très court terme.
Avec La Libre