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RDC : La SCTP et ses travailleurs condamnés à une mort immédiate

Alors qu’elle va commémorer le quatre-vingt-huitième anniversaire de son existence dans sa forme actuelle en ce mois d’avril, la Société commerciale des transports et des ports -SCTP SA, Ex-Onatra- est condamnée à une mort programmée. Son  arrêt de mort a été signé le 15 mars 2023, lors de la signature du procès-verbal de satisfaction des conditions préalables et d’entrée en vigueur du contrat de concession signé en avril 2022, entre le gouvernement RD-congolais et les sociétés italo-suisse MSC Mediterranean Shipping Company S.A, qui a racheté les actifs du groupe français Bolloré en Afrique et qatarie Shipping Investment Group LLC,  pour l’aménagement, l’équipement et l’exploitation d’un terminal à conteneurs dans le port de Matadi.

Considérée autre fois comme une mini-banque mondiale, avec notamment des centaines de bateaux  dont au moins dix par jour au départ et à l’arrivée de Kinshasa avec des minerais de la Gécamines, de bateaux courriers plusieurs fois par semaine ou encore au moins un train après chaque deux heures et des parts dans des entreprises à l’étranger, la SCTP a été tuée progressivement par une gestion chaotique de ses dirigeants au point qu’elle dépend essentiellement, depuis plusieurs années, du port maritime de Matadi, qui lui fournit au moins 90% de ses recettes. Malheureusement, la convention signée le 25 avril 2022 à la Cité de l’Union africaine, entre la RD-Congo et MSC, en présence du Chef de l’Etat Félix Tshisekedi, va lui priver de ces précieuses recettes et la condamner de facto à mettre la clé.

En perte de vitesse en Afrique de l’Ouest où il exploite de nombreux ports et chemins de fer, le groupe français Bolloré a anticipé la perte de la confiance des populations et dirigeants de la région envers la France. En phase de reconversion vers d’autres activités, il s’est caché derrière son partenaire suisse MSC Mediterranean Shipping Company SA pour s’adjuger à vil prix le port de Matadi, en échange d’USD 140 millions de bail et un peu plus d’USD 6 millions d’aménagement.

Aux termes de la convention de concession précitée, la RD-Congo a consenti volontairement à un désastre social, en acceptant le licenciement de plus de 10.000 agents actifs et plus de 13.000 retraités rentiers de la SCTP car, le licenciement des salariés est envisagé et seul l’ex-Onatra en assurera le coût, l’acquéreur du port de Matadi n’ayant aucune obligation de conserver ce personnel. Ce, d’autant plus que le port de Matadi procure à lui seul plus de 85% des revenus à la Société commerciale des transports et des ports.

En effet, il ressort de l’article 13 du cahier des charges de la Convention MSC que, le licenciement des salariés de la SCTP est envisagé et que celle-ci en assurera seule le coût; que MSC recrutera le personnel destiné à son activité sans aucune garantie du maintien des effectifs de la SCTP.

Les syndicalistes exigent l’annulation pure et simple de ce contrat dont l’exécution exposera la RD-Congo à des indemnités de résiliation de plus d’USD 100 millions qui devraient être payés à la société MSC dès la première année, alors que celle-ci n’aura investi que 6 millions de dollars durant la même période.

De plus d’USD 5 millions à USD 388 000 de recettes le mois

Le procès-verbal de satisfaction des conditions préalables et d’entrée en vigueur signé par le gouvernement RD-congolais représenté par la ministre d’Etat, ministre du Portefeuille, Adèle Kayinda Mahina, le ministre des Transports, voies de communication et de désenclavement, Marc Ekila Likombio, et le ministre des Finances, Nicolas Kazadi et le concessionnaire représenté par David El-Bez, le 15 mars 2023, en présence du directeur général ai de la SCTP, Martin Lukusa Cibangu Panu, renseigne que les parties sont satisfaites des conditionnalités  fixées dans le contrat de concession signé le 25 avril 2022.

Parmi ces conditionnalités, figurent entre autres, la durée de la convention fixée à 30 ans par l’article 8.3 du contrat de concession; le rachat par le concessionnaire des biens de la SCTP; le droit d’accès direct fluvial et terrestre, y compris routier et ferroviaire au périmètre concédé; un régime fiscal et douanier spécial pour le concessionnaire etc.

En ce qui concerne les finances, le concessionnaire a consenti à investir dans un premier temps, USD 6 millions dans l’aménagement et l’équipement du port de Matadi et à verser tout au long de la durée de la concession, la somme d’USD 140 millions au profit de la SCTP.

Un expert du Conseil supérieur du portefeuille -CSP- interrogé, s’est dit scandalisé et considère que cette somme ne représente rien par rapport à l’exploitation du port de Matadi à l’état actuel. «Si on prend 30 ans fois douze mois, on a 360 mois. Et si on divise USD 140 millions par 360, on aura la modique somme d’USD 388 888 par mois», a-t-il calculé.

Preuve à l’appui, il a affirmé que «malgré la vétusté de ses équipements, l’ex-Onatra fait des encaissements d’au moins cinq millions USD par mois au port de Matadi». De l’avis de cet expert, en cédant le port de Matadi à Bolloré et à ses partenaires, le gouvernement RD-congolais a volontairement fait le choix de perdre chaque mois au moins USD 4 961 112, soit quatre millions neuf cent soixante et un mille, cent et douze dollars américains.

L’avenir du projet de port en eau profonde de Banana compromis

Pour une petite comparaison, la RD-Congo percevra des revenus plus de 20 fois inférieurs à ceux qu’elle devait percevoir pour le port en eau profonde de Banana dont l’exécution est menacée par la privation du port de Matadi, MSC ayant réussi à vider ce projet de toute sa substance. «Quel opérateur économique accepterait de faire accoster son bateau à Banana d’où il devra acheminer sa marchandise jusqu’à Kinshasa alors qu’il lui serait plus facile de les conduire vers la capitale à partir de Matadi?», s’interroge un membre de la Fédération des entreprises du Congo -FEC-, qui affirme que «comme   Joseph Kabila qui a vendu la Gécamines aux chinois, Félix Tshisekedi a vendu à son tour le port de Matadi à Bolloré et ses partenaires».

Pourtant, la convention conclue avec DP World pour la construction du port en eau profonde de Banana permettra au pays de percevoir des revenus résultant des opérations portuaires relatives aux navires à forte capacité. C’est dire que le contrat avec MSC maintiendra la RD-Congo dans une situation de dépendance économique à l’égard de la République du Congo, au cours de trente prochaines années, en la condamnant à ne pouvoir être approvisionnée que par des navires de moins de 1.000 EVP alors que tous les Etats voisins sont desservis par des navires de plus de 8.000 EVP.

La SCPT peut réhabiliter seule le port de Matadi

Un autre expert approché dit, lui aussi, ne pas trouver de raisons valables qui ont pu convaincre Félix Tshisekedi et le gouvernement à privatiser le port de Matadi. Pour avoir participé à des études économiques sur la rentabilité des entreprises publiques de la RD-Congo, il soutient que l’ex-Onatra est capable de réhabiliter et moderniser le port de Matadi sans aucun apport extérieur.

«Le problème qui se pose dans cette entreprise,  est managérial et non financier et relève en grande partie de la responsabilité du gouvernement», a-t-il argué.

Il a rappelé que la redevance logistique terrestre -RLT-, instituée par arrêté interministériel sur tous les conteneurs à l’import et export depuis 2012 à l’initiative de l’ancien premier ministre Matata Ponyo, avait pour principal objectif la réhabilitation des chemins de fer et des infrastructures portuaires de l’Ex-Onatra. «De 2012 à 2015, on était déjà à USD 40 millions mais ces fonds ont été dilapidés», révèle avec amertume un cadre du ministère des Finances. La même source revient à la charge pour indiquer qu’en octobre 2021, le gouvernement avait autorisé la SCTP «d’affecter à autre chose plus d’USD 12 millions de la RLT».

D’un exemple à un autre, on relève que la société a réhabilité, en 2013, 2 quais, sur fonds propres et en régie avec ses services internes pour USD 5 millions alors que la Banque mondiale tablait sur USD 40 millions.

Adèle Kayinda s’explique et s’accuse

Le même gouvernement qui a offert le port de Matadi à MSC doit une créance certifiée d’USD 207 millions à la SCTP. A ce sujet, un haut cadre de l’Administration centrale du ministère des Transports a soufflé aux enquêteurs que «l’ancien premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba avait autorisé l’Ex-Onatra à négocier une créance de cette somme avec une banque et la Rawbank était disposée à lui offrir cette créance, mais que les clivages politiques ont tout bloqué». Signe que le gouvernement se sait dans une aventure dangereuse, la ministre du Portefeuille, Adèle Kayinda, s’est contredite en voulant s’expliquer devant le caucus des députés nationaux du Kongo Central venus se renseigner sur le dossier dans son cabinet. Elle a prétendu qu’il s’agit du contrat de concession entre le gouvernement et le groupe MSC pour «la modernisation d’une partie du port de Matadi».

«Le trafic conteneurisé, c’est l’essentiel même de l’activité portuaire à 90%. Un port qui n’exploite plus le trafic en conteneur, ce n’est plus un port car il va travailler à perte. Le trafic conteneurisé c’est ça même le port», dit un expert.

Pari risqué pour Félix Tshisekedi

Du point de vue historique, le port de Matadi devient la première propriété et activité de la SCTP  à être cédée à une entreprise étrangère,  en 88 ans de fonctionnement de cette entreprise dans sa configuration actuelle avec notamment une présence dans 17 provinces, 3 ports maritimes -Banana, Boma et Matadi-; plusieurs ports fluviaux; et trois activités principales -exploitation des services de transport multimodal, exploitation du chemin de fer et la gestion du transport fluvial et chantiers navals.

Bien plus, l’histoire retiendra que c’est sous le régime de Félix Tshisekedi que l’entreprise publique qui emploie les plus de RD-congolais aura vu sa principale source des revenus être carrément vendue à une société étrangère, alors qu’elle est en mesure de se moderniser.

«S’il ne prend garde, la privation du port de Matadi risque de lui coller à la peau comme le contrat chinois colle à celle de son prédécesseur Joseph Kabila», prévient un député national de l’Union sacrée.

Pour preuves, un tableau récapitulatif du chiffre d’affaires de la SCTP, tombé sur la table des auteurs de cette enquête démontre noir sur blanc que le port de Matadi a réalisé de 2012 à 2019, les recettes cumulées d’USD 938 422 422 -neuf cent trente et huit millions, quatre cent vingt-deux mille quatre cent vingt-deux dollars américains. Elles se chiffrent à USD 151 908 426 en 2012; USD 149088040 en 2013; USD 153 897 664 en 2014; USD 150 424 928 en 2015; USD 119 058 130 en 2016; USD 71001 287 en 2017; USD 69 191 107 en 2018; et USD 73 852 840 en 2019.

Et un autre analyste financier d’intervenir: «malgré l’impact des ports privés construits à partir de 2016 dans le Kongo Central et la chute du chiffre d’affaires mensuel qu’ils ont entrainée, la SCTP est en mesure de réhabiliter ce port et continuer à prendre en charge les charges du personnel et autres dépenses dont les arriérés des salaires».


Aux dernières nouvelles, ce dossier diviserait à la présidence de la République. Il est au centre d’une série de réunions depuis mi-mars. Alors que certains proches collaborateurs de Félix Tshisekedi dont l’un de ses directeurs de cabinet adjoint ont pris position pour la résiliation du contrat signé avec MSC au motif qu’il représente une menace sérieuse à l’avenir politique du Chef de l’Etat, d’autres, visiblement corrompus, s’en foutent de la bombe à la fois politique et sociale qu’il représente et militent pour son exécution.

Dans tous les cas, le Président de la République est appelé à annuler ce contrat. Il en va de tout son combat politique, l’ex-Onatra étant un patrimoine national dont les biens n’ont jamais été privatisés depuis l’époque coloniale.

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