L’argentier national est accusé d’empoisonner la paix sociale à la DGI où des agents réclament sa tête sur un plat alors que Jerôme Sekana, spécialiste des questions économiques, préconise un compromis pour éviter une grève préjudiciable à toute la République…
Au siège de la Direction générale des impôts -DGI- à Kinshasa, l’ambiance a été morose le mardi 6 juin 2023. Des agents, remontés contre le ministre des Finances, Nicolas Kazadi, auteur de la «suppression» de la prime de la plus-value, ont entonné des chants hostiles à l’encontre de l’argentier national, allant jusqu’à en appeler au Président de la République, Félix Tshisekedi, pour obtenir sa révocation du gouvernement.
La DGI s’embrase après la suppression de cette prime qui a provoqué un tollé des agents, contraints pourtant de remuer ciel et terre pour réaliser des assignations augmentées de manière très prononcée en vue de la mobilisation des recettes dans le cadre du budget 2023. Comparée au budget 2022, ces assignations ont, par exemple, été augmentées de 87% pour la DGI, selon les chiffres avancés, à la faveur d’une conférence de presse le même mardi, par Jérôme Sekana, coordonnateur de l’ONG «Toile d’araignée», qui rassemble des journalistes économiques.
L’Intersyndicale, également remontée, menace déjà d’entamer un mouvement de grève, qui risquerait d’asséner un coup de massue aux finances publiques en cette année électorale et en cette période de pré-contrôle fiscal. «Nous sommes dans une période de pré-contrôle fiscal. La croissance économique de la RD-Congo est tirée -essentiellement- du secteur extractif -mines. Nous avons 70 sociétés minières dont le chiffre d’affaires global est d’USD 31 milliards. Avec ce chiffre d’affaires, si la DGI fait correctement son travail de redressement, elle peut mobiliser entre USD 5 et 7 milliards. Si pendant cette période, on déclenche la grève, qui sera perdant? C’est toute la République», a fait remarquer Sekana, avant d’encourager le gouvernement à payer aux agents du fisc la prime de plus-value qui est un «droit acquis» afin de «les stimuler».
«Nous invitons le gouvernement à la prudence. Que le Premier ministre intervienne pour que tout le monde fume le calumet de la paix et que les responsables des régies soient payés, motivés afin que l’Etat puisse avoir suffisamment des recettes et que nous puissions organiser les élections en décembre 2023 en toute fierté, dignité et en tant que des patriotes», a recommandé ce chevronné des questions économiques, tout en appelant le gouvernement à être conséquent après avoir augmenté les assignations des régies financières dans le cadre du budget 2023.
«Je n’ai jamais vu, de mémoire de journaliste économique, un accroissement de 86% voire 87% sans activer les réformes. Le législateur comme le gouvernement ont mis la charrue avant les bœufs», a-t-il relevé pour justifier son invitation à privilégier le «compromis» pour contrer la menace de grève brandie par l’Intersyndicale. «Nous demandons à l’Intersyndicale et au gouvernement, via le ministère des Finances, de fumer le calumet de la paix, de ne pas préjudicier le peuple RD-congolais. Nous n’avons pas intérêt à avoir de grèves. Si on déclenche les grèves, c’est le Trésor public qui va souffrir, c’est le pays qui va en pâtir», a souligné Sekana.
Et de faire comprendre: «les régies financières ont fourni de gros efforts. En 1997, à l’entrée de l’AFDL, le pays n’avait même pas de budget jusqu’en 2000. En 2001, nous avions un budget d’USD 300 millions. Aujourd’hui, nous avons un budget de 16,8 milliards. La courbe est ascendante. Tous ces exploits sont réalisés grâce aux régies financières qui ne fonctionnent même pas au maximum. Nous sommes 100 millions de RD-Congolais mais il n’y a que 160 à 165 mille personnes physiques et morales confondues qui payent les impôts. Des milliards de dollars sont brassés dans l’informel et l’Etat ne les capte pas. D’où les réformes. Dans une année électorale comme celle-ci où ni la Banque mondiale ni l’Union européenne ni personne ne veut mettre la main dans la poche pour nous donner l’argent, le pays doit compter sur ses propres moyens. Un seul jour de suspension, ce sont des dizaines de milliers dollars qui ne sont pas perçus».
L’appel de Sekana au compromis entre le banc syndical et le gouvernement intervient quelques jours après la révélation, par l’Observatoire de la dépense publique -ODEP-, des chiffres peu rassurants quant à la réalisation du budget 2023. Jusqu’à fin mai dernier, selon l’ODPEP, le gouvernement n’a pu mobiliser qu’USD 3,2 milliards. Pour atteindre USD 16 milliards fin décembre, on devrait avoir mobilisé déjà USD 6,5 milliards fin mai et USD 7,8 milliards fin juin. Pour cette ASBL, il faut s’attendre à un cap de 4 milliards en fin juin.