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Problématique de l’élevage et l’agriculture: des vérités chiffrées destinées à Bulambo et Mayombe

La RD-Congo a une superficie de 2.345.409 km2 et dispose d’un espace de terres arables de 80.000.000 d’hectares. Malheureusement, seuls 10% de ces terres sont mis en valeur et les 90% autres ne sont pas cultivés. Selon diverses sources concordantes, la population de la RD-Congo croupit dans une grande pauvreté, ne mange pas à sa faim et vit en-deçà d’USD 2 par habitant et par jour.
Et pourtant, sous d’autres cieux, force est de noter que des pays désertiques parviennent à soumettre la terre au point de cultiver des produits vivriers dont l’excédent exporté constitue une importante source de recettes en devises. Les exemples sont légion dans le continent africain.
En RD-Congo, c’est un autre son de cloche qui retentit. «Pour remédier à ce problème majeur, les autorités compétentes se doivent de reconstruire l’économie du pays, les infrastructures de production, de transport et de commercialisation ainsi qu’augmenter la production locale, freiner ou décourager l’importation des mêmes denrées de base produites localement, protéger la production locale contre l’importation.
La réactivation du secteur agricole et de l’élevage s’impose à travers l’intensification, la diversification et l’exploitation rationnelle des filières de la RD-Congo. Ainsi le pays pourra retrouver sa place d’antan dans l’exportation des produits agricoles sur le marché mondial», recommande l’ingénieur agronome Jean-Pierre dans un entretien accordé à AfricaNews. Plus qu’une interview, cet entretien s’apparente à une véritable note chiffrée destinée à tout le gouvernement Badibanga, précisément au nouveau ministre de la Pêche et Elevage, Jean-Marie Bulambo Kilosho.

La RD-Congo dispose de 80 millions d’hectares de terres arables. Pouvez-vous nous indiquer la hauteur des espaces cultivés tant à Kinshasa que dans les provinces de l’intérieur à ce jour?
La RD-Congo est un pays vaste aux dimensions sous-continentales. Son territoire couvre 2.345.409 km2 de superficie totale; ce qui équivaut à 234.504.900 hectares de terres. 1/3 de cette superficie est constitué de terres à usage agricole, soit 80.000.000 d’hectares. Cet immense potentiel n’est mis en valeur qu’à hauteur de 10%, soit plus ou moins 8.000.000 d’ha. Le reste, 90% équivalant à 72.000.000 d’hectares, n’est pas exploité. Entretemps, le pays compte 70% de paysans qui pratiquent et vivent des activités agricoles. Donc une main d’œuvre abondante sur seulement 10% du potentiel agricole du pays. Cette population agricole survit grâce à une agriculture de subsistance, à petite échelle, et ne dispose pas de la possibilité de s’ouvrir aux activités agricoles de grande envergure sur de grandes étendues. C’est ce malheureux paradoxe de la RD-Congo qu’il sied de combattre.
L’objectif de tout gouvernement, pouvoir public est d’atteindre l’indépendance du ventre. Il est curieux de constater qu’en dépit des conditions naturelles plus que favorables dont bénéficie la RD-Congo, le pays se trouve encore condamné à importer des vivres frais, voir des produits vivriers de première nécessité. Qu’en dites-vous?
Il n’y a pas de production locale significative ou il n’y en a pas assez pour couvrir les besoins locaux. Les importations massives des denrées alimentaires sont aujourd’hui la voie obligée pour corriger le déficit de la production locale. Les importations augmentent suite au déficit, à l’insuffisance de la production locale qui est loin d’absorber les besoins vitaux de la population en RD-Congo. Chaque année pour nourrir la ville de Kinshasa par exemple, la RD-Congo importe 120.000 tonnes de poissons congelés, 50.000 tonnes de poulets congelés, 400.000 tonnes de céréales, 30.000 tonnes d’huile, 10.000 tonnes de lait en poudre, 70.000 tonnes de sucre, 50.000 tonnes de sel. Soit un total de 730.000 tonnes de produits vivriers par an.
A ce sujet, le contraste est flagrant. Pourtant, la RD-Congo est dotée d’un impressionnant potentiel agricole, mais nullement exploité, si ce n’est dans une proportion insignifiante de 10%. Si à l’époque coloniale, les recettes à l’exportation provenant du secteur agricole et de l’élevage dépassaient les 40% du budget de l’Etat, tel n’est plus le cas aujourd’hui. Un détour dans certaines provinces de l’intérieur projette à l’écran de vastes étendues d’anciennes plantations abandonnées et inexploitées depuis des lustres. Comme l’encadrement de la population rurale pose problème suite à la carence d’agronomes, l’absence d’accès aux nouvelles technologies en matière agricole, le manque d’intrants, les terres ainsi bénies pourtant convoitées par d’autres pays désertiques ne peuvent rien donner de consistant pour le vécu quotidien de la population.
Avec le phénomène de l’exode rural exacerbé par l’insécurité dans la plupart des provinces de l’intérieur du pays, cette main-d’œuvre bon marché n’est plus utilisée à bon escient. Conséquence, des populations entières végètent dans la malnutrition ou la sous-alimentation dans un pays aux énormes potentialités. La plupart ne parviennent nullement à manger à leur faim et vivent en-deçà de 2 dollars américains par habitant et par jour.
Quelles sont les causes de ce paradoxe?
Elles sont multiples, endogènes et exogènes. L’exode rural et les conflits armés provoquent les déplacements massifs des populations et la concentration des masses dans quelques régions, rendant les déplacés vulnérables, improductifs et sans ressources. La rupture établie entre les villes et les campagnes par l’absence, l’insuffisance ou la verticité des routes et des infrastructures de communication isolent les populations rurales et les appauvrissent davantage faute de transactions, d’échanges commerciaux. La vie misérable dans les campagnes et l’enclavement conduisent les populations à émigrer vers les villes. La vie dans les centres urbains n’est pas aussi aisée. Peu d’activités économiques y sont développées, peu d’opportunités se présentent, peu d’emplois sont offerts et la courbe du chômage et de la précarité ne cesse de prendre l’ascenseur. Conséquence, à la campagne, la production agricole est découragée, dans les milieux urbains les déplacés sont au chômage et la production est faible ; la pauvreté et la faim s’installant, les pouvoirs publics sont obligés d’importer pour couvrir les besoins de la population.

Comment résoudre ce paradoxe?

Gérer rationnellement l’immense potentiel agricole du pays, explorer correctement les 80.000.000 d’hectares de terres agricoles disponibles. Restructurer, reconstruire le tissu économique du pays, les infrastructures de production, de transport, de commercialisation pour promouvoir la production et les échanges commerciaux.
Vous l’avez dit plus haut, selon les statistiques datant de l’époque coloniale, les recettes à l’exportation provenant de l’agriculture et de l’élevage étaient de l’ordre de plus de 40% au moment où le pays peinait pourtant à trouver des devises. N’est-il pas indiqué de réactiver ce secteur?
Durant des années, depuis l’époque coloniale jusque vers les années 1970, la RD-Congo était un important producteur et exportateur de produits agricoles: café, coton, thé, caoutchouc, huile de palme, cacao, quinquina, oignon, etc. La mauvaise conjoncture économique de la décennie 1980 et les pillages des années 1991 et 1993 ont détruit le tissu économique du pays surtout dans les milieux urbains, condamnant la population au chômage, à la pauvreté et à la sous- alimentation.
Le potentiel agricole de la RD-Congo est de 80.000.000 d’ha, celui de l’élevage est l’équivalent de 40.000.000 de têtes de gros bétail, c’est-à-dire un potentiel sensiblement égal au potentiel agricole. Si, avec l’intensification des élevages, un gros bétail est chargé sur 2 hectares, on produira à peu près 80.000.000 d’ha consacrés à l’élevage. La réactivation du secteur agricole -agriculture et élevage- avec l’intensification, la diversification et l’exploitation rationnelle des filières de la Rd-Congo peut booster le pays à retrouver sa place d’antan dans l’exportation des produits agricoles sur le marché mondial.

La RD-Congo est dotée d’immenses ressources halieutiques. Il est paradoxal de constater que le pays soit dépendant des importations à grands frais des poissons pendant que ses cours d’eau en regorgent en quantités industrielles. Comment y mettre un terme?

La RD-Congo est dotée effectivement d’immenses ressources halieutiques contenues dans son intense réseau hydrographique constitué du fleuve et ses affluents, des lacs, des rivières, ruisseaux, des marécages et dépressions inondées toute l’année, des étangs naturels, tous très poissonneux et très riches en faune aquatique comestible. La pêche constitue la principale technique de prise ou de production de poissons tant pour la consommation domestique que pour l’industrialisation et la commercialisation. Selon les performances des équipements utilisés et l’efficacité des techniques de prise et de production employées, on distingue la pêche traditionnelle, la pêche artisanale relativement évoluée et la pêche industrielle moderne et très évoluée.
En RD-Congo, la pêche industrielle n’est plus pratiquée ou presque plus depuis les pillages des années 1991-1993 qui ont détruit toutes les infrastructures de pêche dans les grands lacs de l’est et sur le littoral à l’ouest du pays. La pêche traditionnelle et artisanale qui est la principale voie de production de poissons actuellement est une technique peu performante et de faible rendement à la production. Faute d’infrastructures de production et de transport, la production de poissons à grande échelle et les transactions commerciales entre les centres de production et les centres de consommation pour les villes sont difficiles. La population locale est ainsi non seulement faible, mais découragée par le manque d’infrastructures, de production et de transport par les guerres, les conflits armés à répétition qui n’inspirent pas confiance aux investisseurs. Par conséquent, le pays recourt à l’importation pour combler son déficit alimentaire et couvrir la faible production locale.
Comment tordre le cou aux importations massives de poissons congelés?
Il faut reconstruire l’économie du pays, les infrastructures de production, de transport et de commercialisation, augmenter la production locale, freiner ou décourager l’importation de mêmes denrées produites localement, protéger la production locale contre l’importation. Pour cela, le pouvoir public doit mettre en place une politique volontariste et faire montre d’une volonté politique affirmée.
L’opinion publique affirme que le poisson meurt de vieillesse dans nos cours d’eau parce que les politiques mises en place ne permettent pas de les pêcher dans les eaux profondes, les activités se limitant à la couche primaire. Pouvez-vous commenter cela?
Comme chez les végétaux terrestres, la flore stratifiée. La faune aquatique obéit à la loi de stratification des espèces ou des âges. Dans les lacs et les eaux profondes, les poissons occupent des niveaux de profondeur, des étages, des strates, de couches différentes selon les espèces. Chaque groupe, chaque colonie, selon leur espèce occupe une strate, une couche appropriée, investie comme leur espace de prédilection. En régime de pêche artisanale et traditionnelle, modestement équipée, l’exploitation dans les lacs et les eaux profondes se limite aux bancs de poissons se trouvant dans les strates supérieures, superficielles peu profondes de ces eaux. Faute d’équipements appropriés adaptés à la pêche en profondeur, la pêche artisanale et traditionnelle qui est le principal mode de production de poissons en RD-Congo actuelle ne peut accéder aux bancs de poissons des couches profondes.
Par conséquent, les poissons des couches inférieures, des couches profondes inaccessibles meurent de vieillesse, tandis que la population RD-congolaise meurt de faim parce qu’incapable d’accéder aux bancs de nombreux poissons qui vivent en profondeur. C’est le triste paradoxe de notre pays qui a des ressources en abondance mais dont la population souffre de faim, de pauvreté et de précarité. La solution réside dans l’acquisition des équipements, infrastructures appropriés et nécessaires pour pêcher les poissons des couches profondes.

Les études menées il y a quelques années par les organismes internationaux ont démontré qu’entre le pool Malebo et Kisangani, l’on peut pêcher quotidiennement jusqu’à 120 tonnes de poissons de plusieurs variétés.

La production de 120 tonnes de poissons frais par jour sur le tronçon Kinshasa-Kisangani du fleuve Congo est une donnée statistique établie par des organismes internationaux compétents à la suite des études minutieuses menées sur la faune aquatique, les espèces de poissons et les ressources halieutiques de ce tronçon du fleuve. Cette performance théorique basée sur les extrapolations peut être considérée comme le potentiel de production-halieutique- de cet espace. C’est un terme de référence.
Avec la pêche traditionnelle, artisanale mal équipée, mal organisée ou non organisée du tout, utilisant du matériel et des équipements traditionnels, artisanaux et peu performants, les rendements à la prise et à la production de poissons sont faibles. Les 120 tonnes de poissons par jour par opérateur de pêche ne peuvent être réalisés dans ces conditions de travail. Il y a nécessité d’appliquer une politique de la pêche traditionnelle, bien équipée, bien organisée, respectant le calendrier de pêche établi, les saisons de pêche autorisée, les saisons de repos pour la croissance des alevins et le repeuplement des colonies, des bancs.
Une pêche artisanale rationnelle mais responsable, respectueuse de l’environnement, de l’habitat des poissons et du principe de régénération des espèces péchées respectueuse des techniques et du règlement de pêche, une pêche encadrée et dotée d’une organisation solide en filières, réseaux ou groupements coopératifs de production, de transformation et de commercialisation, autres atouts pour réaliser 120 tonnes de poissons frais à la production par jour.
Propos recueillis par Harmony FINUNU

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