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Noel K. Tshiani: «l’impossible n’est pas congolais»

En 2016, il faudra compter avec ce technocrate de la Banque Mondiale, désormais animé d'une volonté de servir son pays
En 2016, il faudra compter avec ce technocrate de la Banque Mondiale, désormais animé d’une volonté de servir son pays
Banquier international, le RD-Congolais Noël K. Tshiani s’est confié à «AfricaNews». Dans une interview inédite, il se présente au public qui ne le connait pas assez, et s’exprime, sans tabou sur les questions de l’heure.
Ce, notamment, sur le dialogue politique national inclusif convoqué par Kinshasa, sa possible candidature à la présidentielle de 2016, sa vision économique apte à développer la RD-Congo et, ses vœux pour le Congo-Kinshasa en ce début d’une nouvelle année. Aux prises avec les fins limiers du journal «AfricaNews», l’homme estime que le dialogue en gestation ne répond pas aux exigences. Ainsi, peu si pas aucun acteur de l’Opposition, au final, n’acceptera, véritablement d’y prendre part.
Des préalables majeurs, dont le respect de la Constitution et la place du facilitateur international à ce forum, doivent être requalifiés et, respectés pour que la vraie Opposition puisse souscrire à ce forum de tous les enjeux. En ces périodes de festivités, Noel K. Tshiani appelle les acteurs politiques de tous clivages et ceux de la Société civile à méditer sur la situation actuelle et l’avenir du pays. Interview.
 
Bonjour Monsieur Noel K. Tshiani, vous n’êtes pas très bien connu du public. Présentez-vous brièvement s’il vous plait!
Je m’appelle Noel K. Tshiani Muadiamvita. Je suis Congolais de la RD-Congo et travaille actuellement à la Banque mondiale à Washington depuis 25 ans. Avant la Banque mondiale, j’ai travaillé dans trois banques américaines: La Citibank, Republic national bank of New York et JP Morgan Chase pendant dix ans. Ma carrière bancaire avait commencé par un stage professionnel à la Banque nationale de Paris dans l’agence de Grenoble en France dans le département des crédits aux entreprises et aux particuliers. Sur le plan académique, j’ai suivi avec succès le programme de formation des «Managers» à Harvard University à Boston aux USA et suis détenteur d’un doctorat en Sciences économiques avec spécialisation en banques et finances de l’Université de Paris IX Dauphine en France. J’ai aussi d’autres diplômes tels que MBA en banques et marchés financiers d’Adephi University à New York, diplôme de troisième cycle de l’Institut supérieur de gestion à Paris, D.E.S.S en gestion financière et fiscalité de l’Université de Grenoble en France et une Maitrise en Sciences économiques de l’Université de Liège en Belgique.
 
Vous avez étudié dans de très bonnes universités en Europe et aux Etats Unis. Comment aviez-vous financé vos études?
Pour partir de la RD-Congo, j’avais obtenu la bourse du Conseil exécutif du gouvernement zaïrois. C’est avec cette bourse que j’avais financé la grande partie de mes études universitaires. Par la suite, je faisais des travaux divers comme tous les étudiants étrangers pour avoir de l’argent afin de subvenir à mes besoins. J’ai fait du «baby-sitting», du jardinier et du bucheron en Belgique. J’ai travaillé dans les vendages en France. Et j’étais Assistant d’un Professeur d’Université aux Etats Unis pendant que je faisais le MBA. Tout ceci m’avait permis de suppléer à l’insuffisance et à l’irrégularité de ma bourse d’études. Mais je reste profondément reconnaissant au gouvernement de mon pays qui avait financé une partie importante de mes études.
 
Vous êtes donc reconnaissant à Joseph Kabila pour vous avoir donné la bourse d’études pour aller à l’étranger?
Lorsque j’avais obtenu la bourse d’études, c’est Joseph Désiré Mobutu qui était le Président de la République du Zaïre, Kengo wa Dondo était son Premier Commissaire d’Etat, et Djelo Epenge Osako le ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Au nom du principe de la continuité de l’Etat, je suis reconnaissant au gouvernement et surtout à mon pays, la République démocratique du Congo.
 
Vous avez une expérience professionnelle impressionnante dans les banques américaines et à la Banque mondiale. Vous n’avez pas d’expérience professionnelle en RD-Congo. Est-ce que cela vous manque?
Mon pays m’a tout donné, mais j’ai encore le temps de lui rendre de grands services. Aujourd’hui, mon pays ne marche pas et est classé comme étant le pays le plus pauvre du monde avec un PIB par habitant de USD 394 malgré l’abondance des ressources naturelles. La gouvernance est mauvaise et la corruption est endémique. C’est une bonne chose que je n’ai jamais travaillé dans cet environnement de mauvaise gouvernance et de corruption généralisée. En travaillant dans des systèmes plus sobres, j’ai acquis une expérience professionnelle plus appropriée qui pourrait être utile à mon pays plus tard. Toutefois, il faut signaler qu’en 1997, j’avais co-présidé en tant qu’expert de la Banque mondiale, la Commission de réforme de la monnaie qui avait conçu le Franc congolais en remplacement du Zaïre monnaie. C’est moi qui avais personnellement convaincu le Président de la République, Mzee Laurent Désiré Kabila, à ne pas mettre son effigie ou sa photo sur les signes monétaires. C’est comme ça que le Franc congolais ne porte pas la photo du Chef de l’Etat jusqu’à ce jour. C’est aussi moi qui, un an plus tard, étais revenu dans une mission privée d’une semaine à Kinshasa pour convaincre le Chef de l’Etat à démanteler le conseil d’administration de la Banque centrale du Congo qui venait d’être créé et mis en place, et comprenait douze membres parmi lesquels il y a avait sept ministres en poste. J’avais fait comprendre au Chef de l’Etat à l’époque que la présence des membres du gouvernement dans ce conseil était contraire à l’idée de l’indépendance de la Banque centrale et de la politique monétaire du pays. Mon conseil avait été suivi scrupuleusement. Voilà ce que je peux vous donner comme résultat de mes interactions professionnelles avec mon pays.
 
Que pensez-vous du dialogue national inclusif convoqué? Et, par ailleurs, êtes-vous prêt à y prendre part?
Le dialogue tel que convoqué actuellement ne répond pas aux exigences des uns et des autres. Pour aller au dialogue, même ceux qui sont pro-dialogue exigent une facilitation internationale qui s’occupera de consulter les camps en présence afin de mettre en place un comité préparatoire du dialogue et d’élaborer l’ordre du jour et déterminer les modalités pratiques de l’organisation: le nombre des participants, le lieu de la rencontre, les sujets de discussion, l’ordre du jour, le règlement d’ordre intérieur et la nature contraignante des conclusions du dialogue ainsi que les mécanismes de leur mise en œuvre après le dialogue. Pour l’instant, tous les camps doivent donc attendre la désignation du facilitateur international par le Secrétaire général de l’ONU avant de passer à l’étape suivante. Si ces préalables sont réunis, je serais prêt à participer au même titre que mes autres compatriotes partageant les mêmes convictions.
 
Que pensez-vous du Front Citoyen qui a été créé tout récemment à l’Ile de Gorée?
Je n’étais pas à l’Ile de Gorée et n’ai pas toutes les informations pour faire une évaluation intelligente de ce front. A partir des informations lues dans la presse, je peux dire que je suis contre la révision constitutionnelle, contre le 3eme mandat présidentiel, contre le glissement du mandat présidentiel et contre le referendum constitutionnel pour modifier l’article 220 de la Constitution actuelle. Par contre, je suis pour un dialogue inclusif dans les conditions que j’ai déjà évoquées.
 
Si élection présidentielle il y a, seriez-vous candidat?
Pour ce qui est de ma candidature à l’élection présidentielle, j’y travaille avec beaucoup d’autres compatriotes qui partagent la même vision de développement de la RD-Congo que moi. Ces discussions vont au-delà d’un parti politique. Ma décision sera annoncée en connaissance de cause après que ces consultations soient menées avec diligence.
 
Parlons de votre vision, le Plan Marshall. Pouvez-vous nous l’expliciter brièvement?
A propos du Plan Marshall pour la RD-Congo, il faut dire que depuis son accession à l’indépendance, la RD-Congo a vécu de longues années d’instabilité politique permanente, de mal-gouvernance et de stagnation économique. La situation économique et sociale qui en résulte est catastrophique: le taux de chômage avoisine 80% de la population active; et le pays est surendetté et incapable de faire face à ses obligations nationales et internationales. Le pays est classé à l’avant-dernière position d’après l’Indice de développement humain du Programme des Nations unies pour le développement. Le modèle de développement poursuivi depuis 1960 a donc échoué. Avec un PIB par habitant de USD 394 en 2015, la RD-Congo est le pays le plus pauvre du monde avec plus de deux tiers de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté de USD 1,25 par jour. Le pays ne peut pas assurer une bonne scolarisation ni une couverture sanitaire adéquate à sa population. Seulement 10% de la population a accès à l’eau potable et à l’électricité, et ce, essentiellement dans les milieux urbains. La majorité de la population vivant dans les milieux ruraux est abandonnée à son triste sort. Les infrastructures de base -routes, ports, aéroports, chemins de fer, hôpitaux, écoles, et marchés publics- sont très peu développées.
L’insécurité est ressentie sur l’ensemble du territoire national. Les libertés individuelles sont bafouées et les droits humains ne sont pas respectés. Il n’existe ni une justice indépendante ni une administration publique fonctionnelle. La démocratie n’existe que de façade. Les conditions préalables au développement durable ne sont pas réunies alors que ce pays de 79,4 millions d’habitants regorge d’importantes ressources naturelles: 1.100 minerais et métaux précieux différents d’une valeur estimée à USD 24.000 milliards; 120 millions d’hectares de terres arables; 135 millions d’hectares de forêts; 100.000 mégawatts de potentiel d’énergie hydro-électrique, de sources diverses d’énergie renouvelable-solaire, biomasse, géothermie, charbon, nucléaire, et gaz méthane- et de ressources énormes de pèche et d’élevage.
La corruption est endémique et même banalisée dans tous les sphères de la vie nationale. Transparency International classe la RD-Congo parmi les pays les plus corrompus de la planète. Le Panel des experts africains dirigé par Thabo Mbeki estime que 85% des ressources naturelles de la RD-Congo n’entrent pas dans le budget national, mais plutôt dans des poches des particuliers. Le budget annuel de USD 9 milliards n’est donc qu’une petite fraction de ce qu’il aurait pu être dans un environnement sans corruption.
Il est très important que la population RD-congolaise et les futures dirigeants prennent conscience de la gravité de l’échec du modèle de développement suivi jusqu’à ce jour. Ma proposition d’un «Plan Marshall pour la RD-Congo» est une nouvelle vision du développement qui s’échelonnera sur 15 ans. Je ne propose pas des réformes cosmétiques habituelles qui laissent les problèmes intacts et font l’éloge d’une croissance économique sans impact réel sur le vécu quotidien de la population.
Ma proposition vise à transformer fondamentalement la société afin de créer des opportunités pour que toute la population RD-congolaise sans exclusion puisse elle-même se prendre en charge définitivement. Mon Plan pour la RD-Congo s’articule autour de huit piliers: investir dans les ressources humaines en mettant l’accent sur l’éducation, la santé et l’autosuffisance alimentaire; promouvoir la paix, la sécurité, l’État de droit et la démocratie; promouvoir l’émergence de la finance nationale; promouvoir l’émergence d’un secteur privé national responsable; favoriser la réalisation de grands travaux d’infrastructures à haute intensité de main-d’œuvre; favoriser et accélérer l’industrialisation du pays par la transformation locale des minerais, la mécanisation de l’agriculture, de l’élevage et de la pèche, la mise en valeur planifiée et ordonnée des forêts, et l’éclosion du secteur tertiaire, y inclus le tourisme; créer des synergies entre le marché intérieur et l’intégration régionale; et enfin mobiliser les ressources humaines et financières pour mettre en œuvre les différents piliers du plan.
La stratégie reposera sur le secteur privé comme principal moteur de la croissance et est fondée sur le libéralisme à visage humain avec une dose raisonnable de l’interventionnisme étatique. Le pays mobilisera les RD-Congolais de l’intérieur et de la Diaspora pour la mise en œuvre de cette vision de développement ayant une forte appropriation nationale. Il fera appel à l’expertise internationale quand cela est nécessaire. Il est important de noter le coût total pour la mise en œuvre de ce «Plan Marshall»: USD 800 milliards sur 15 ans. Ce montant très important, pourra être mobilisé sur une combinaison des ressources intérieures, des contributions des bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux ainsi que du secteur privé sous forme d’investissements directs étrangers.
Les éléments importants pour la réussite de la mobilisation de ressources financières sont le leadership politique qui doit être crédible et à la hauteur des ambitions de développement du pays, la bonne gouvernance pour s’assurer que les ressources publiques sont utilisées de façon efficiente, les politiques économiques et sociales saines, la lutte sans merci contre la corruption, des institutions stables et, enfin, la paix et la sécurité sur l’ensemble du territoire national.
Ma vision est certes ambitieuse, mais réalisable dans un environnement national démocratique nouveau impulsé par «La Force du changement» qui doit animer chacun de nous. Si nous éradiquons la corruption, l’impunité et toutes sortes d’antivaleurs; mettons en place un État de droit fonctionnel et améliorons la gouvernance sous un leadership visionnaire, compétent, responsable et intègre, l’État aura des moyens suffisants pour se doter d’un budget annuel d’au moins USD 72 milliards à la grandeur du pays pour implémenter cette vision de développement permettant d’atteindre le plein emploi et d’augmenter le PIB par habitant actuellement de USD 394 à USD 15.000 dans 15 ans.
Il est enfin temps que la gestion de la RD-Congo par la force des armes s’arrête pour laisser place à la gouvernance par intelligence. Je refuse d’entreprendre des réformes cosmétiques habituelles qui ne changent pas réellement la situation catastrophique de mon pays. Sans démagogie, ce plan offre aux grands maux, les grands remèdes.
 
En ce début de 2016, quels sont vos vœux pour la RD-Congo?
Pour l’année 2016 qui vient de commencer, mes vœux sont que l’alternance démocratique se passe dans la paix, de façon civilisée et sans effusion de sang. Trop de sang a déjà coulé dans notre pays, une goute additionnelle de sang sera de trop. Je souhaite à tous nos compatriotes de la Majorité, de l’Opposition et de la Société civile un temps de méditation afin que tous entament la nouvelle année avec la ferme résolution de transcender nos divergences afin de remettre la RD-Congo, notre patrimoine commun, sur la voie de la paix et du développement durable. J’y crois et reste optimiste car l’impossible n’est pas congolais.
 
Propos recueillis par Achille Kadima

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