Dans les milieux de la Majorité comme de l’Opposition, on accuse le Premier ministre de violer l’article 93 de la Constitution en cherchant à régenter le marché de fourniture des passeports à puce électronique donc à se mêler de la gestion d’un ministre, légalement réputé seul responsable de son département
Après le communiqué officiel de la Primature accusant publiquement la Majorité et le PPRD d’avoir, plus d’une fois, été derrière des questions orales, motions et interpellations initiées par quelques députés de l’Opposition, une correspondance du Premier ministre adressée au ministre des Affaires étrangères concernant le marché de fourniture des passeports biométriques avec puce électronique révèle des dysfonctionnements au sein du gouvernement et pose un sérieux problème de respect de la loi.
Le Premier ministre Matata Ponyo a adressé un courrier daté du 11 décembre 2015 à son ministre des Affaires étrangères et Coopération internationale, Raymond Tshibanda, lui demandant de fournir toutes les informations sur le marché de fourniture des passeports biométriques avec puce électronique.
Un mois plus tôt, la RD-Congo s’est bel et bien dotée d’un nouveau modèle de passeport biométrique avec puce sur laquelle seront gravées les informations personnelles du détenteur. Le document a été présenté le 10 novembre 2015 à Kinshasa quand le Président de la République Joseph Kabila a personnellement fait le déplacement du ministère des Affaires étrangères, où il s’est fait délivrer le tout premier passeport de ce modèle et a inauguré le nouveau centre de capture des passeports situé dans le même ministère. C’était donc une cérémonie officielle et solennelle, présidée par la plus haute autorité du pays.
Mais dans sa lettre du 11 décembre 2015 à laquelle AfricaNews a eu accès, le Premier ministre affirme avoir appris l’affaire de fourniture des passeports par voie de presse et n’avoir jamais été préalablement saisi de ce marché. Il demande donc toutes les explications au ministre des Affaires étrangères et Coopération. «N’ayant pas été saisi au préalable conformément aux dispositions pertinentes de la législation en matière de passation des marchés et aux instructions en vigueur, je vous demande de me fournir toutes les informations en rapport avec ledit marché, notamment le mode de passation, les autorisations des services attitrés, le mode de financement ainsi que ses conditionnalités et les modalités de remboursement», écrit Matata Ponyo.
Et d’imposer un délai: «Pour me permettre d’être rapidement édifié sur les exigences de transparence de ce marché, vous voudrez bien me transmettre les éléments ainsi requis dans la huitaine».
Le débat sur la transparence des marchés publics opérés par la Primature relancé
La réaction du Premier ministre suscite une polémique dans les milieux de la Majorité. Plusieurs députés de la Majorité comme de l’Opposition interrogés à ce sujet jeudi, quelques heures après l’incident relatif au communiqué officiel de la Primature accusant leur camp politique d’être, plus d’une fois, derrière des questions orales, interpellations et motions initiées par quelques députés de l’Opposition, déplorent la démarche de Matata qui, affirment-ils, frise l’offense au Chef de l’Etat, tout premier bénéficiaire du nouveau passeport à puce. «Quand un Premier ministre tend à fouiner dans la gestion d’un ministère, en violation de l’article 93 de la Constitution, ça voudrait dire que la gestion du pays serait émaillée de dysfonctionnements», balancent d’aucuns. «C’est comme ça que la Primature procède toujours pour avoir la main mise sur tout qui sent l’argent. Et cette lettre adressée au ministre Tshibanda est une preuve qu’elle veut tout régenter en violation de la loi», peste, pour sa part, un élu de l’Opposition.
On apprend que le ministre des Affaires étrangères et Coopération internationale, présentement en séjour de travail à l’étranger, seul compétent pour conclure ce marché de fourniture des passeports avec les services de passation des marchés publics et seul comptable de la gestion de son portefeuille devant la Représentation nationale, est resté imperturbable choisissant de ne pas transiger sur ses prérogatives.
Au demeurant, l’initiative du Premier ministre fait sourire dans son propre camp politique comme aux Affaires étrangères, où certains fonctionnaires abordés expliquent que la correspondance de Matata aura au moins le mérite de relancer et amplifier le débat sur la transparence des marchés publics opérés ces dernières années par le gouvernement de la République, notamment la Primature, à commencer par ceux de l’aérogare modulaire de l’aéroport international de N’Djili, de l’immeuble abritant le siège du gouvernement, du Parc agroindustriel de Bukanga-Lonzo, des avions A320 et Bombardiers Q400 de Congo Airways…
AKM
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