S’il est évident que la facturation devant aider à la traçabilité de cet impôt pose problème, il est aussi évident que le gouvernement a remboursé la TVA plus que l’Etat n’a reçu. Des réalités que le ministre déplore dans des termes pudiques quand il dit qu’il n’y aurait pas eu de problème si tout le monde respectait son devoir… Pertinent
«On a appliqué la TVA dans la précipitation». La déclaration est de Modeste Bahati Lukwebo, ministre de l’Economie, autorité morale de l’AFDC, deuxième force politique de la Majorité présidentielle. Elle est tirée dans une interview accordée lundi 4 avril à «Radio Okapi» et mise en ligne mardi 5 avril. Une phrase choc, suivie d’autres, dans lesquelles, de l’avis du député UNC Sam Bokolombe Batuli, ci-devant ancien directeur de l’administration fiscale, le ministre de l’Economie critique les choix du gouvernement et, donc, du Premier ministre Matata Ponyo.
Ça fait tache d’huile. Le ministre de l’Economie, Modeste Bahati, affirme dans une interview accordée lundi 4 avril que l’institution de la Taxe sur la valeur ajoutée -TVA- est une expérience non convaincante en RD-Congo. Bahati estime que cette taxe a été appliquée dans la précipitation.
«Le problème qui se pose au jour d’aujourd’hui, ce que cette TVA, on l’a appliquée dans la précipitation. C’est une expérience qui ne s’avoue pas convaincante, je dois le dire sincèrement, dans la mesure où la tenue des statistiques pose problème», affirme le ministre, évoquant les 28 mesures urgentes prises en janvier de l’année en cours par le gouvernement de la RD-Congo pour stabiliser l’économie du pays. Première phrase choc.
A en croire le ministre de l’Economie, la TVA aurait du être appliquée graduellement et ne devrait pas être généralisée. Justification: «Pour des produits de luxe, on pouvait fixer le taux à 16% mais pour les produits alimentaires, matériaux de construction, elle devrait être de faible taux pour stimuler la consommation», estime-t-il. Bahati suggère d’auditer le stock actuel de la TVA pour savoir s’il n’y a pas de fausses déclarations avant d’envisager le remboursement. L’Etat doit effectuer un remboursement de la TVA aux opérateurs économiques à hauteur de 400 millions de dollars.
«Le respect des engagements par toutes les parties pose problème. Parce que si chacun respectait ses engagements, c’est-à-dire l’opérateur économique qui perçoit la TVA, la reverse et qu’ensuite quand il s’agit de rembourser la TVA, que cela soit fait dans les 30 jours conformément au décret portant mise en œuvre de ladite TVA. Si tout le monde respectait son devoir, il n’y aurait pas eu de problème», explique le ministre. Deuxième phrase choc.
Pour Radio Okapi, la chute des cours des matières premières affecte l’économie de la RD-Congo, caractérisée par une forte inflation sur le marché de change. D’autres secteurs sont aussi touchés, notamment les entreprises minières, de suite des exportations ainsi qu’une contraction des réserves budgétaires à la disposition de l’Etat.
Pertinents avis de Bokolombe
La TVA a été instituée en RD-Congo en janvier 2012. Elle a remplacé l’Impôt sur le chiffre d’affaires -ICA- et devait contribuer efficacement à l’amélioration de la compétitivité des produits fabriqués localement face à la consommation des produits importés, espérait le gouvernement. Ministre des Finances au moment du lancement de cette réforme, l’actuel Premier ministre, Matata Ponyo, avait fait savoir que l’instauration de la TVA était un moyen sûr pour la maximisation des recettes et la rentabilisation du système fiscal RD-congolais.
Prié de commenter l’interview du ministre de l’Economie, le député UNC Sam Bokolombe Batuli, lui-même ancien Directeur général des impôts, déclare que Bahati pose un problème de fond «lié au dysfonctionnement, à la déstructuration de l’Etat étant donné que les différents services d’assiette ne travaillent pas en synergie».
Il est une évidence: la loi instituant la TVA est une loi votée par le Parlement et promulguée par le Président de la République. Il s’agit d’une loi qui est d’application stricte et dont la non observance doit exposer les auteurs à des sanctions pénales. Autres évidences: d’une part, l’administration n’a pas la maitrise totale de la facturation et ne peut donc pas avoir la maitrise de la TVA. D’autre part, les autorités compétentes ont remboursé la TVA plus que l’Etat n’a reçu dans le cadre de cet impôt neutre destiné à alléger les charges des opérateurs économiques et à favoriser la maximisation des recettes fiscales, affirment plusieurs sources concordantes.
Tout en évoquant ces certitudes, Bokolombe pense que le problème soulevé par Bahati est un problème des options opérées par le gouvernement, qui vont au-delà de l’administration fiscale. «Si la mise en œuvre interroge, c’est qu’il y a un problème d’organisation des services de l’Etat. Il est cependant clair que les services de l’Etat ne s’organisent pas. C’est plutôt l’Etat qui les organise de manière à les rendre compétitifs et à en tirer les résultats escomptés», explique le député, soulevant, comme multiples autres observateurs, l’exemple du secteur minier où il est difficile d’appliquer la TVA sans couac vu l’importance du volume des transactions et appelant à éviter à l’Etat les tracasseries liées au remboursement. Voici que les langues se délient et certaines vont jusqu’à rappeler l’implication directe du Premier ministre dans la sélection des opérateurs économiques éligibles au remboursement de la TVA collectée. Des méthodes loin d’encourager la transparence, qui rappellent bien la phrase «si tout le monde respectait son devoir, il n’y aurait pas eu de problème» formulée par le ministre de l’Economie et poussent Bokolombe à trancher: «Bahati critique les choix du Premier ministre».
AKM
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