Le ministre de la Communication & Médias et porte-parole du Gouvernement, Patrick Muyaya, était de passage sur les antennes de RFI mercredi 22 juin. Le «ministre de la parole» s’est prêté au jeu des questions-réponses lors de l’émission «Appels sur l’actualité», abordant avec dextérité les préoccupations des auditeurs notamment sur l’agression dont est victime la RD-Congo. Muyaya est également revenu sur le rapatriement de la dépouille de Lumumba et la récente visite du roi des Belges. Sur le premier sujet, le porte-parole du gouvernement a dénoncé le manque de coopération dans le chef des voisins de la RD-Congo, allusion faite au Rwanda et à l’Ouganda qui ne semblent pas disposés à œuvrer en faveur d’une solution au problème d’insécurité dans la sous-région. En réponse, Kinshasa est prête à prendre des mesures drastiques. La rupture des relations diplomatiques avec Kigali n’est plus à exclure.
Alors que l’EAC a décidé de déployer une force régionale dans la partie Est de la RD-Congo, le débat autour de la participation ou non des troupes rwandaises bat son plein. A ce sujet, Patrick Muyaya s’est montré tranchant: «Il est hors de question que le Rwanda fasse partie de cette force surtout pas celle qui sera déployée en RD-Congo». Entretien.
Le gouvernement congolais accuse nommément le Rwanda de soutenir le M23, alors que le Rwanda nie toute implication. Monsieur le ministre, de quelles preuves disposent le gouvernement?
Patrick Muyaya: Tout le monde a vu les deux militaires des Forces spéciales rwandaises qui ont été arrêtés en RD-Congo. Vous les avez vus avec leurs tenues ainsi que leurs munitions. Puisqu’il existe un mécanisme conjoint de vérification. A travers ce mécanisme, ces militaires ont été en toute liberté interrogés. Ils ont dit qu’ils étaient en opération spéciale en RD-Congo. Ils devaient attaquer le camp militaire de Rumangabo. Ils ont été défaits dans leur tentative par nos forces armées. Et ils se sont perdus 25km loin de la frontière. Vous avez vu que le Rwanda, dans un communiqué, a reconnu que c’était ses militaires. Le président Félix Tshisekedi, après avoir rencontré le président Lourenço de l’Angola a pris la décision de rendre ces militaires bien au-delà de ce qui est apparu comme nez sur le visage parce que c’est imparable.
Nous savons tous que nous, nous ne sommes pas belliqueux pour traverser la frontière et aller prendre les militaires rwandais. Mais, il existe aujourd’hui des images et drones et je souhaiterais vivement que la MONUSCO sorte de son silence et de son administration pour qu’elle soit en mesure de dire comment cela sera aussi en mémoire de 8 casques bleus qui ont été tués et que leur hélicoptère a été bombardé par le M23.
Au moment où je vous parle, il y a deux jours, les Casques bleus de la MONUSCO ont encore essuyé des obus et ils disent que les matériels utilisés par le M23 qui, je dois le rappeler, est un mouvement défait depuis 2013 et désarmé, est un matériel sophistiqué et de vision nocturne.
Le M23 en tant que mouvement rebelle ne peut pas disposer de tels matériels sans l’appui d’un pays?
C’est un non évident que cela apparaît comme un nez sur le visage. Aujourd’hui, on ne peut continuer à nous mentir. Il y a quelques années, c’était la même rhétorique que ce n’est pas nous, mais après quand on regarde sur le terrain, le fait accuse et atteste du contraire et tout le monde le sait. J’espère que la MONUSCO pourra s’exprimer de manière claire à ce sujet pour que tout le monde puisse en être sûr.
La semaine dernière, la MONUSCO disait ne pas avoir observé de troupes rwandaises venues dans le rang du M23 ni sur le territoire congolais…
C’était une déclaration maladroite. J’espère que Mme la Représentante du Secrétaire général des Nations unies nous dira dans les jours qui viennent parce que le numéro 2 de la force de la MONUSCO avait déclaré le jour où on célébrait les Casques bleus qu’il y avait des matériels sophistiqués qui étaient utilisés par le M23. Je peux comprendre qu’ils se disent ce n’est pas eux à Kinshasa qui doivent le dire, il y a un comité de mission d’experts qui doit faire le rapport au Conseil en sécurité tout ça. Et bien non.
Je comprends pourquoi les années antérieures, il y avait toujours cette colère de la population vis-à-vis de la MONUSCO qui ne se montre pas très prompte à dénoncer le mal lorsqu’il est fait et surtout en l’occurrence la présence de troupes rwandaises du côté du M23.
Kigali dément toutes les accusations et accuse la RD-Congo de collaborer avec les rebelles FDLR…
C’est le langage habituel! Parce que vous parlez de rebelles hutu, la RD-Congo en a assez de payer le prix des conséquences de génocide! Tout ceci arrive parce que nous avons été très hospitaliers et que nous avons ouvert nos frontières en 1994. Et depuis là notre malheur a commencé, parce que le Rwanda, depuis 1997, avec le mouvement de l’AFDL, a dirigé l’armée congolaise à travers James Kabarebe. Ils avaient en ce moment là l’occasion de régler le problème.
En 1998, une rébellion a éclaté avec le RCD qui était dirigé par Kigali. Ils ont eu tout le temps matériel pour combattre ces FDLR. Au-delà de ça, Vital Kamerhe, le président de l’Assemblée nationale en 2009, a perdu son poste parce que le président Kabila avait discuté des opérations conjointes. Vous voyez que, depuis toutes ces années, nous payons le prix le plus fort de la présence des FDLR sur notre territoire et nos forces armées n’arrêtent pas de les combattre.
Aujourd’hui, si les FDLR subsistent, je ne pense pas que ce mouvement subsiste au point de poser des problèmes de sécurité au gouvernement rwandais pour qu’il justifie une nouvelle invasion. Ce qui est bien dommage, c’est que depuis l’arrivée aux responsabilités du président de la République, nous avons mis en place des mécanismes qui nous permettaient, y compris avec le Rwanda, de discuter de ce sujet et de trouver des solutions. C’est bien dommage que nous puissions sortir de ce cadre que nous avions établi pour aller sur des considérations de ce genre aujourd’hui.
S’il y a la guerre?
Nous ne sommes pas en guerre, mais nous défendons nos territoires, parce que nous ne sommes pas des belliqueux. Nous n’avons pas traversé nos frontières et commencer à poser des problèmes. Je dois rappeler ici que les bombardements rwandais ont tué des enfants de 6 et 7 ans. Des écoles ont été touchées, des milliers de femmes ne sont plus dans leurs logis, parce que simplement il faut fuir et ça fait 25 ans que ça dure. C’est anormal et tout ça doit s’arrêter.
Nous étions pourtant engagés dans le processus qui nous avait donné une vue sur la fin de toutes ces questions d’insécurité. Notre adhésion dans la communauté de l’Afrique de l’Est le 08 avril avait ouvert cette brèche. Nous étions déjà à table en train de discuter des questions avec tous les pays voisins. C’est tout à fait incompréhensible de voir que le Rwanda puisse retourner sur la rhétorique et sur le terrain de la guerre sous prétexte qu’il y a des opérations menées chez nous. Des bombes sont tombées chez eux pour envahir de nouveau la RD-Congo. C’est bien dommage! Mais, nous pensons, comme vous avez vu le dernier conclave qui s’est tenu à Nairobi que les discussions sur ce point de vue continuent aussi.
Nous espérons que très vite le désarmement ou le retrait de troupes rwandaises, le retrait du soutien M23; c’est vrai qu’ils quitteraient les localités occupées injustement depuis quelques jours.
Pour l’instant, la RD-Congo se contente de sanctions. Envisagez-vous de passer à l’étape supérieure?
Évidemment! Mais lorsque vous avez un voisin qui est belliqueux, parce que nous, en termes de paix, c’est le choix que nous avons fait, les populations rwandaise et congolaise échangent déjà. Il faut le rappeler que la frontière RD-Congo – Rwanda est l’une des frontières les plus fréquentées au monde et donc le président de la République a donné un signe de bonne foi en rendant les militaires rwandais qui ont été arrêtés chez nous.
Et aujourd’hui, nous considérons que nous sommes à l’étape de négociations ou de discussions qui font que si les amis ne se montrent pas ouverts et disposés à aller avec nous pour trouver une conclusion à la table de négociation, nous prendrons des mesures qui iront jusqu’à l’expulsion de l’ambassadeur. On ne peut pas exclure cette possibilité si les amis ne font pas le choix de la paix.
Et la rupture des relations diplomatiques?
Mais oui, si c’est une des conséquences, nous y arriverons.
Pourquoi le budget alloué à la défense est faible par rapport à d’autres secteurs? Et pourquoi la RD-Congo doit toujours s’appuyer sur les forces étrangères pour régler ses propres problèmes, au lieu de mieux former nos militaires?
Je dirai que le budget alloué à la défense ou à l’armée par rapport à la dimension du pays n’est pas assez, mais il faut regarder d’où nous venons et les conditions économiques dans lesquelles le pays évolue.
Avec le président Tshisekedi, nous avons récemment adopté un budget programme qui sera pluriannuel. Et dorénavant on investira à peu près un milliard de dollars l’an pour l’armée. Ce qui n’est pas assez pour un pays qui a neuf voisins qui a autant des milliers de kilomètres de frontière. Nous ferons davantage. Mais pourquoi recourir aux armées étrangères?
Evidemment, c’est un choix difficile, mais il ne faut pas qu’on se trompe au regard du diagnostic que le président a trouvé notamment pour ce qui concerne les capacités opérationnelles. Nous avons des capacités opérationnelles qui sont en place mais, au regard des questions transversales, parce que les questions sécuritaires qu’on aborde, c’est le terrorisme des ADF qui sont essentiellement venus de l’Ouganda. C’est une question que nous devons gérer avec eux, les FDLR qui sont venus du Rwanda. C’est des questions sur les Interhamwe qui sont venus du Burundi. C’est les questions que nous devons gérer avec eux.
Pourquoi avoir fait ce choix difficile ? Simplement parce que nous estimons que nous devons, dans un temps relativement court, pouvoir ensemble régler les problèmes. C’est pourquoi il y a eu à Nairobi un pont politique où le président Uhuru comme le président Tshisekedi ont eu l’occasion de discuter avec les groupes armés: les conditions de leur reddition et ceux qui seront réfractaires à ce processus, ce sont ceux qui subiront justement la foudre de cette force.
En parlant de Nairobi, il y a eu un Sommet en début de semaine réunissant les chefs d’État de la Communauté de l’Afrique de l’Est, quasiment tous là dont Paul Kagame. Ça veut dire que cette force régionale qui va voir le jour très prochainement sera notamment formée d’éléments de l’armée rwandaise?
Totalement non. Nous disons non parce que le Rwanda pose problème vous savez que nous avons une opinion très publique qui est traumatisée par l’attitude du Rwanda. Je vous ai parlé de ces 25 dernières années. Nous ne pouvons pas faire le choix d’accepter encore les troupes rwandaises qui soutiennent les groupes terroristes que nous, nous ne cautionnons pas. Il est hors de question que le Rwanda fasse partie de cette force surtout pas celle qui sera déployée en RD-Congo.
Acceptez-vous le déploiement de cette force régionale ? Est-ce que ce n’est pas finalement reconnaître l’échec de l’état de siège que vous avez mis en place?
Je crois que tout dépend du prisme dans lequel vous regardez la question. Le problème de sécurité dans l’Est dure depuis longtemps et c’est du fait de l’attitude des pays voisins. Aujourd’hui, nous voulons les avoir comme parties prenantes pour la solution parce que j’ai expliqué que la plupart des sources d’insécurité viennent d’ailleurs, les ADF, les FDLR dont on parle qui font beaucoup plus de victimes au Congo qu’au Rwanda et les Interhamwe qui viennent du Burundi. Donc, dans cette approche régionale, nous pensons que nous aurons mis nos partenaires en confiance et ensemble on aura réglé le problème et finalement aller vers l’économie qui est plus utile pour nos différentes populations.
Au lieu de s’excuser, le Roi des belges a présenté des regrets. Etes-vous déçu?
Non, je n’ai pas été déçu, mais il faut reconnaître que nous sommes dans un processus. Il ne faut pas oublier qu’il y a une commission parlementaire en Belgique qui suit la question de près de la colonisation et qui évaluera les conséquences parce que excuse ne signifie pas la réparation et en ce moment-là on verra. Mais ici il faut saluer d’abord la visite historique. Elle a duré six jours et le roi est venu là où il a reconnu en termes clairs le caractère d’exploitation du régime colonial, le caractère raciste et inhumain. Je pense plutôt du côté belge, il y a peut-être de processus administratif, mais le pardon devrait arriver comme cela est arrivé pour Lumumba, nous pensons que si nous voulons regarder l’avenir ensemble, nous devons être en mesure de nous regarder franchement dans ce qui s’est passé de regret de réparation pour voir comment on consolide les rapports entre les deux Etats.
Les excuses concernant Patrice Lumumba sont les bienvenues?
Elles sont arrivées en retard. Il a reconnu d’ailleurs lui-même le Premier ministre belge, mais nous apprécions ce courage politique qui nous permet de commencer à regarder l’avenir différemment.
Et maintenant comment, vous envisagez cet avenir avec la Belgique?
Dans un rapport de respect d’abord parce qu’on est plus dans des considérations de condescendance de l’époque, mais aussi de regarder les rôles que la RD-Congo doit jouer sur le continent africain ou la Belgique en Europe comme le disait le roi Léopold II. Cette visite du Roi a permis de rappeler que la Belgique et tous les pays du monde tiennent au respect de l’intégrité de la RDC. Nous avons été très marqués de voir que le Roi a tenu à faire le tour du pays pour aller jusqu’à Bukavu pour voir ces femmes violées et victimes de ces années de barbarie et de violences dans la région. C’était une belle expression de la solidarité. Au-delà de cette expression de solidarité, nous espérons que le monde va se mobiliser pour que finalement, dans cette partie de notre pays, la paix puisse revenir et que nous puissions véritablement entrer dans le tournoi du développement où la Belgique et comme la France d’ailleurs pourront trouver leur place.
Pour le conflit RD-Congo-Rwanda, le message à lancer…
Je crois qu’il faut prendre les choses à leur mesure. Il n’y a pas de nombreux messages des réseaux sociaux. Il faut regarder la proportion de la population congolaise : 100 millions d’habitants. Il y a eu des cas à gauche, à droite. Il ne faut pas tomber dans la généralisation. C’est justement le langage de ceux qui crient au génocide. Le Congolais est un peuple hospitalier qui ne verse jamais dans la violence. Le vrai problème aujourd’hui, c’est la présence des terroristes du M23 et le soutien du Rwanda. C’est eux qui touchent à nos écoles, à nos enfants, et qui déplacent nos femmes. Donc, les Congolais sont animés évidemment d’un sentiment de colère et on ne peut pas pour 2 ou 3 cas de dérapage que nous avons du reste condamnés. D’ailleurs la police va présenter des membres certains du parti de l’UDPS qui se sont montrés particulièrement violents seront jugés et condamnés. Et nous prenons en charge cette question parce que nous vivons en paix avec notre communauté. Mais, toute l’énergie que je vois mettre beaucoup de représentants de la communauté internationale pour pouvoir raviver un problème qui n’en est pas un devrait être mise pour régler définitivement le problème de l’insécurité dans l’Est pour que, finalement, nous puissions vivre en paix dans notre propre pays. Il y a eu beaucoup de regrets, parce que nous avons été solidaires vis-à-vis des Rwandais, mais les milliers des morts congolais méritent une plus grande attention. Nous espérons que la communauté internationale sortira de ces deux poids et deux mesures.
RFI/AfricaNews