La CENI a entamé une vaste campagne de formation des acteurs politiques et sociaux ainsi que des partenaires. But: les outiller armer contre les violences électorales. La semaine dernière, le rapporteur adjoint Onesime Kukatula s’est trouvé de précieux alliés, les membres de la CIME, une structure importante dans la prévention des crises liées aux élections, formés en priorité pour des raisons évidentes
A la maison des élections, dans le quartier des affaires de la capitale RD-congolaise, la complicité entre la CENI et la Commission d’intégrité et de médiation électorale –CIIME était visible. Une chose est sûre: à l’issue de son brillant exposé axé sur «la prévention des conflits électoraux», le rapporteur adjoint de la CENI, Onesime Kukatula, s’est trouvé de précieux alliés. Dès les premières minutes de son intervention, le courant est passé. Même compréhension de la problématique, mêmes soucis d’organiser la prévention et d’y apporter les réponses appropriées. En croisade, Kukatula est donc monté au front. Croisade. Un mot lourd de sens. La Rédaction n’y recourt pas pour évoquer une quelconque opération militaire que préparerait la Commission électorale nationale indépendante contre d’éventuels seigneurs de guerre mais la mobilisation et la formation, en priorité, des membres de la CIME, appelés à jouer un rôle clé avant, pendant et après les élections. Le rapporteur adjoint de la CENI a défini à leur intention la prévention des conflits électoraux comme «un ensemble d’actions, de politiques, de procédures ou d’institutions dont l’objectif est d’éviter la menace, l’utilisation de la force armée -par l’État, les forces de l’ordre ou des groupes organisés-, afin d’éviter les flambées de violence ou la réapparition des conflits violents». Il a aussi précisé que cette prévention se fait de manière intégrée vue la multiplicité de facteurs, d’acteurs, de dynamiques et de phases qui la composent.
Plus loin, Kukatula a tenu à souligner que le cycle électoral enseigne qu’une élection est un édifice fragile, complexe, reposant sur des fondations qui doivent être solides. La qualité du vote dépend donc de la mise en œuvre efficace de multiples opérations et procédures répondant aux principes directeurs. Il a alerté et prévenu sur les principales causes à l’origine des violences électorales: mauvaise articulation du calendrier électoral; non respect du calendrier électoral; mauvaise budgétisation financière; décaissement tardif; promesses de financement non tenues; écart entre les promesses de financement et leur exécution; conditionnement des financements; recrutement et affectation d’un personnel appartenant à une tendance politique; non respect des procédures de recrutement et injonction des politiques…
A l’issue des travaux, il s’est avéré que Kukatula et ses hôtes ont eu besoin de ces importants échanges pour tomber d’accord sur l’essentiel: former les cadres et unir les forces pour promouvoir la non violence électorale. Ci-après, l’exposé du rapporteur adjoint de la CENI.
La prévention des conflits électoraux
1. Introduction
Le jour de vote est la partie immergée de l’iceberg, celle qui sous le feu des projecteurs, qui mobilise l’attention de toutes et de tous. Cette phase cruciale:
va cristalliser à elle seule les succès ou les échecs des acteurs du processus;
va donner au peuple la possibilité de s’exprimer.
va conférer au pays une nouvelle composition politique ou reconduire l’existant.
Le jour de vote représente la mobilisation d’une population pour l’accomplissement d’un de ses droits fondamentaux: le droit de vote.
Le jour du vote est la concrétisation de plusieurs mois de travail, d’années de préparation qui est incarnée par la partie submergée de l’iceberg, celle qu’on ne voit pas et qui pourtant est énorme:
Délimitation des circonscriptions électorales;
Recrutement et formation des agents
électoraux;
Enregistrement des électeurs et gestion du fichier électoral;
Education civique et électorale;
Procédures;
Transport, logistique, Déploiement du matériel;
Sécurité;
Inscription des candidats;
Impression des bulletins de vote;
Identification des centres et bureaux de vote;
Formation
campagne électorale;
etc. (ECES, EFFEAC).
Pourtant, le chemin à parcourir jusqu’à l’accomplissement de l’acte de vote est souvent jalonné de plusieurs obstacles pouvant à tout moment, réduire à néant tous les efforts fournis pour l’organisation des élections crédibles, transparentes et apaisées.
Et en matière de conflit, une action préventive vaut bien mieux qu’une action réparatrice.
2. Introduction à la prévention des conflits électoraux
2.1.Définition
La prévention des conflits électoraux est «un ensemble d’actions, de politiques, de procédures ou d’institutions dont l’objectif est d’éviter la menace, l’utilisation de la force armée (par l’État, les forces de l’ordre ou des groupes organisés), afin d’éviter les flambées de violence ou la réapparition des conflits violents ».
La prévention des conflits en matière électorale se fait de manière intégrée vue la multiplicité de facteurs, d’acteurs, de dynamiques et de phases qui la composent.
2.2. Principes de la prévention des conflits électoraux
Il existe trois principes de prévention des conflits électoraux, à savoir:
La Coordination des approches
L’incorporation de l’approche du Cycle électoral
Les efforts pour asseoir les valeurs démocratiques
2.2.1. La Coordination des approches
Les parties prenantes au processus électoral , les agences régionales et internationales qui fournissent de l’assistance technique électorale doivent travailler de manière à coordonner les approches avec une vision commune dans leur appui aux valeurs et principes de la démocratisation.
2.2.2. L’incorporation de l’approche du cycle électoral
L’approche du cycle électoral facilite la compréhension du processus électoral, mais offre aussi une grille de lecture.
Cette grille de lecture permet d’identifier les zones endémiques propices à l’éclosion de foyers conflictuels.
2.2.3. Les efforts pour asseoir les valeurs et principes démocratiques
Tout effort pour asseoir les principes et valeurs démocratiques dans une société peut avoir des effets bénéfiques du point de vue de la prévention des conflits ou violences électorales – en agissant en fait sur les éléments exogènes du conflit.
Le respect des principes et valeurs démocratiques, notamment l’honnêteté, la transparence et «l’inclusivité», dans l’organisation et la tenue des élections aura à son tour un effet bénéfique sur la stabilité du pays et agira comme élément préventif du conflit et la violence politique en général.
Une veille permanente est mise en place dans certains pays ou régions fragiles de l’espace francophone sur les risques de crise potentielle avant leur émergence ou leur résurgence à travers la collecte, l’analyse, le traitement et l’échange d’informations.
Un affinement des paramètres et indicateurs de l’observation et de l’évaluation des situations doit renforcer les capacités de détecter à temps les signes précurseurs d’une crise ou d’un conflit, d’identifier les acteurs clés et de comprendre les enjeux en présence.
3. Le cycle électoral
Le cycle électoral nous enseigne qu’une élection est un édifice fragile, complexe, reposant sur des fondations qui doivent être solides. La qualité du vote dépend donc de la mise en œuvre efficace de multiples opérations et procédures répondant aux principes directeurs.
• Le schéma ci-dessous tente d’illustrer la complexité du cycle électoral divisé en huit phases, elles-mêmes regroupées en périodes postélectorale, préélectorale, et électorale avec un bon nombre d’activités transversales.
• Le cycle électoral constitue un outil de planification par excellence.
• Il va permettre de dégager des indicateurs tant qualitatifs que quantitatifs en vue de l’évaluation objective du processus électoral.
• Chacun de ces indicateurs est en rapport direct avec les huit composantes du cycle électoral:
• le cadre juridique;
• la planification électorale et la mise en œuvre;
• la formation et l’éducation;
• l’inscription des électeurs et des candidats;
• la campagne électorale;
• le scrutin et le jour des élections;
• la vérification des résultats (centralisation/compilation);
• les activités postélectorales.
4. Les phases de vulnérabilité du cycle électoral
Les phases de vulnérabilité se retrouvent dans l’ensemble du cycle électoral soit en période pré-électorale, électorale et post-électorale.
Phase 1 – Evaluations et réformes (Audits, actualisation des listes électorales, renforcement institutionnel et développement professionnel, archivage et recherche);
Phase 2 – Cadre juridique (révision, si nécessité il y a, du cadre légal et réglementaire, des systèmes électoraux et des délimitations, des structures électorales et des codes de bonne conduite)
Phase 3 – Planification stratégique et mise en œuvre (Calendrier électoral, budgétisation, mobilisation des ressources et financement, recrutement du personnel, achat, logistique et sécurité);
Phase 4 – Formation et éducation (Information des électeurs, vulgarisation du cadre légal et réglementaire, développement de capacités des organes de gestion électoral, des juges du contentieux et des autres parties prenantes, renforcement des activités de sensibilisation électorale, développement des cadres de concertation)
Phase 5 – Enregistrement et nominations (Enregistrement des électeurs et candidats, accréditations des témoins et des observateurs et liaison avec les partis politiques) ;
Phase 6 – La campagne électorale (Accès au média, régulation des médias et des campagnes électorales, suivi des affiches électorales, codes de conduite, infractions et sanctions, financement de partis politiques).
Phase 7 – Opérations de vote et jour des élections (vote spécial et à l’étranger, vote du jour de scrutin, dépouillement du vote);
Phase 8 – Vérification des résultats (Agrégation des résultats, annoncé de résultats provisoires, contentieux électoraux, résultats définitifs).
5. Les déclencheurs de la vulnérabilité du cycle électoral
D’une manière générale, la vulnérabilité des phases du cycle électoral peut être liée aux éléments endogènes ou exogènes à l’OGE. Cependant, chaque partie prenante peut, par son attitude, dans une phase ou une autre, occasionner la fragilité du processus électoral.
Phase 1 – Evaluations et réformes:
inexistence des audits;
Evaluation fantaisiste;
Instabilité politique;
Instabilité de l’OGE (changement intempestive des animateurs);
Manque de participation des parties prenantes au processus électoral.
Phase 2 – Cadre Légal:
Vide juridique;
Cadre légal et réglementaire inadapté;
Révision de la constitution (in tempore suspecto);
Phase 3 – Planification stratégique et mise en œuvre
Mauvaise articulation du calendrier électoral;
Non-respect du calendrier électoral;
Mauvaise budgétisation financière;
Décaissement tardif;
Promesses de financement non tenues;
Ecart entre les promesses de financement et leur exécution;
Conditionnement des financements;
Recrutement et affectation d’un personnel appartenant à une tendance politique;
Non respect des procédures de recrutement et injonction des politiques;
Phase 4 – Formation et éducation:
Mauvaise vulgarisation du cadre légal et réglementaire;
Absence de formation pour les parties prenantes;
Moindre développement des capacités des OGE;
Négligence de la sensibilisation électorale;
absence des cadres de concertation;
Modicité des budgets de la formation et du renforcement des capacités;
Manque de professionnalisme.
Phase 5 – Inscription des électeurs et des candidatures:
Rejet non justifié de certaines candidatures;
Exclusion de certains partis politiques;
Frais souvent considéré exorbitant par certains candidats;
Choix technique inadapté;
Enregistrement des mineurs et autres;
Non maîtrise du fichier électoral;
Répartition déséquilibrée du matériel commis à l’enregistrement des électeurs.
Phase 6 – Campagne électorale :
Absence de liaison avec les partis politiques;
Restriction des activités des partis politiques de l’opposition;
Mauvaise gestion de la campagne;
Mauvaise répartition du temps de passage dans les médias;
Accès au média, régulation des médias et des campagnes électorales, suivi des affiches électorales, codes de conduite, infractions et sanctions, financement de partis politiques);
Médias partisans;
Forces de sécurité partisanes;
Intolérance des opérateurs politiques, membres de la société civile et de la communauté internationale.
Phase 7 – Jour des élections:
Absence des forces de sécurité dans les sites de vote;
Mauvaise cartographie des bureaux de vote;
Ouverture tardive des bureaux de vote;
Fermeture anticipée des bureaux de vote;
Non respect des procédures de vote;
Mauvaise prise en charge des agents électoraux;
Insuffisance des bulletins de vote;
Absence des listes électorales, etc.
Phase 8 – Vérification des résultats:
Longue attente des résultats
Publication des résultats non officiels par des tierces;
Rejet sans cause valable des requêtes en contestation des résultats.
6. L’alerte précoce en matière électorale
6.1. Définition
Selon le Dr. Walter Dorn , spécialiste en opérations
de paix et conflits armés, l’alerte précoce peut se
Définir comme :
« L’action par laquelle une autorité compétente est alertée sur la menace d’un conflit nouveau (ou renouvelé) suffisamment en avance pour que des actions préventives puissent être tentées » [www.walterdorn.org].
Les systèmes d’alerte précoce peuvent s’avérer très utiles dans la prévention des conflits et de violences électorales.
L’alerte précoce nécessite une coordination et une action commune entre les principaux acteurs étatiques et non étatiques qui partagent un objectif commun ( le déroulement pacifique des processus électoraux).
Les objectifs de tels mécanismes sont souvent à court terme ; mais leurs bénéfices peuvent s’étaler durablement sur du long terme.
Cette notion implique la transmission d’informations à une autorité compétente dans un cadre Temporel plus ou moins précis.
6.2. Piliers de l’alerte précoce (QUI ?)
Auprès de qui ces informations peuvent-elles être collectées ?
Et quels types d’informations peuvent être collectées ?
6.2.Piliers de l’alerte précoce (QUOI ?)
Toutes ces informations possibles sont collectées de différentes sources : Gouvernement, forces de l’ordre, médias, société civile, partis politiques, individus.
Celles-ci sont analysées, interprétées et des scénarios et prédictions sont faites, ainsi que des analyses de coût-bénéfices pour d’éventuelles actions préventives, et des nouvelles requêtes d’informations peuvent être faites.
L’information ou les avertissements sont disséminées aux parties prenantes.
6.2. Piliers de l’alerte précoce (QUAND?)
Quand une alerte précoce peut-elle être mise en œuvre ?
L’alerte précoce et l’action préventive ont
lieu dans les périodes de Latence et d’Escalade.
La gestion de crise et la résolution des conflits
dans la période de Conflit ou de Violence.
la reconstruction de la paix dans la période de Désescalade.
A qui doit être transmis les informations ?
A une autorité compétente » : il faut qu’elle soit « alertée sur la menace d’un conflit nouveau (ou renouvelé) »(cfr. définition).
L’autorité en question peut-être :un démembrement de l’état, l’OGE, un réseau d’organisations de la société civile, des organisations d’assistance internationales, ou un mélange de celles-ci.
Si l’ information est partagée, l’efficacité de l’alerte précoce augmentera potentiellement.
6.3. Mécanisme d’alerte précoce
L’analyse et l’identification des signaux précurseurs du déclanchement des conflits ou des violences électorales n’est pas la seules prérogative des forces de Sécurité .
Toutes les parties prenantes devraient s’y intéresser pour protéger leurs intérêts .Un aperçu géographique des potentielles zones à risque peut aider à surveiller de plus près . (Gestion des risques électoraux, l’identification des moments cruciaux dans le cycle électoral )
6.4. Outils d’alerte précoce
Parmi les outils d’alerte précoce on peut citer:
L’IDEA qui est une organisation
intergouvernementale internationale. Elle a créé un outil basé sur des recherches approfondies et les ressources analytiques, notamment le cycle électoral et ses composantes , pour aider à la systématisation des mécanismes d’analyse ,d’alerte et d’action précoce. Ce système peut être adapté à tout contexte national
L’IFES: qui est la principale organisation d’assistance électorale. Elle a commencé en 2003 à développer son projet « Election Violence Education and Resolution »(EVER ) qui vise à dresser les problèmes de violence électorale à travers le monde.
L’ECSA: Institut Électoral d’Afrique Sud qui travaille sur la gestion et la prévention des conflits depuis 1990.
La CEDEAO: comporte un département d’alerte précoce, un réseau d’alerte précoce et d’intervention qui fournissent des rapports aux décideurs en tant qu’élément de prévention prévisionnelle.
Cartographie des conflits
La création d’une cartographie des conflits requiert la collecte, la vérification et l’analyse systématique de nombreuses sources d’informations, dont les éléments quantitatifs sont extraits pour créer une carte visuelle (basée sur celle d’un pays, région ou autre).
Exemple: Ushahidi initié au Kenya en 2008 . Cette cartographie aide à la visualisation et au repérage des tendances et des dynamiques du conflit et des violences électorales.
La surveillance citoyenne peut être très dissuasive ( SMS envoyés par des citoyens vérification des données pour éviter toute manipulation).
Les potentiels conflits électoraux qui pourront surgir lors de la RFE sont facteurs de plusieurs éléments, à savoir:
Incohérence du cadre légal et réglementaire sous-tendant le fichier électoral (L.E. et Loi portant identification et enrôlement des électeurs sur l’enrôlement des Congolais de l’étranger) ;
Financement tardif de la RFE;
Enrôlement des mineurs;
Répartition des centres d’inscription (cas du Kasaï);
Discrimination dans le recrutement de Membres des centres d’inscription;
Non respect des procédures d’inscription des électeurs;
Déploiement tardif du matériel et du personnel
Enrôlement des étrangers (absence du fichier d’état-civil)
Gonflement du nombre d’électeurs dans certaines provinces
.
Parce que le conflit peut surgir à chaque étape du cycle électoral, il est donc important de l’anticiper en veillant notamment au respect de tous les principes démocratiques et électoraux dès l’entame du processus électoral. Les alertes précoces peuvent également s’avérer dans la prévention de ces conflits sachant que le dialogue ,l’échange et la diversité des participants sont les clés pour le succès des initiatives d’alerte précoce entre les acteurs étatiques et non-étatiques.
Onesime KUKATULA
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