A Kinshasa, les recettes judiciaires réalisées par les Cours et Tribunaux ainsi que les Parquets y rattachés ont pris l’habitude d’atterrir dans les comptes bancaires privés plutôt que dans les caisses du Trésor public. Telle est, en substance, la leçon qui se dégage de l’audit mené depuis l’année dernière par la Cour des comptes auprès de 41 entités. Même constat à la Police nationale congolaise -PNC- et dans certains services d’assiette relevant du ministère de la Justice et garde des sceaux à Kinshasa.
Le détournement et le coulage des recettes se portent bien dans le secteur de la justice, censé être l’un d’importants pourvoyeurs du budget de l’Etat. En témoigne, le rapport de la Cour des comptes sur l’audit des recettes judiciaires réalisées par les Cours et Tribunaux et les Parquets y rattachés, ainsi que par la PNC et des services d’assiette relevant du ministère de la Justice et garde des sceaux dans la ville de Kinshasa, publié le lundi 20 mai 2024 par Jimmy Munganga, premier président de cette institution judiciaire, à la faveur d’une conférence de presse.
Cet audit qui a concerné 41 entités, a révélé combien «dérisoire» est la part des recettes provenant du secteur de la justice dans les revenus encadrés par la Direction générale des recettes administratives, domaniales et de participation -DGRAD. «La part des recettes judiciaires par rapport aux recettes hors pétroliers producteurs encadrées par la DGRAD n’ont été que de 3,88% en 2019, 3,59% en 2020, 1,76% en 2021 et de 1,58% en 2022», a fait savoir Jimmy Munganga, peu avant de partager le constat des auditeurs de la Cour des comptes selon lequel des personnes non habilitées s’arrogent le droit de percevoir des frais de justice des mains des requérants et de les détenir.
Parmi ces personnes, l’on retrouve en avant-plan des magistrats, greffiers, secrétaires et préposés des services d’assiette relevant du ministère de la Justice et garde des sceaux… Celles-ci, selon Jimmy Munganga, s’arrangent, en violation de l’Ordonnance-loi n°13/003 du 23 février 2013 portant réforme des procédures relatives à l’assiette, au contrôle et aux modalités de recouvrement des recettes non fiscales, à reverser plus tard les fonds perçus auprès des intervenants financiers. Cette violation, à l’en croire, serait facilitée par l’absence des ordonnateurs de la DGRAD dans bon nombre de services d’assiette et dans des Cours, Tribunaux et Parquets y rattachés.
En plus de cet amer constat, les auditeurs de la Cour des comptes ont découvert l’application systématique, par le magistrat instructeur, du taux minimum de 20 dollars sur un maximum de 1.000 dollars, quels que soient la gravité des faits et le rang social de l’inculpé, à l’occasion de la fixation des taux des amendes transactionnelles et des cautionnements de mise en liberté provisoire. De quoi favoriser le coulage des recettes dont, en plus, une «grande partie» n’est pas canalisée vers les caisses du Trésor public. Le rapport de la Cour des comptes établit qu’«une grande partie des recettes perçues est consommée à la source au motif que les entités ne bénéficient ni de frais de fonctionnement, ni de la rétrocession sur les recettes réalisées, mais aussi que le versement de la prime de rétrocession est fait à des individus en lieu et place des services d’assiette».
Un véritable capharnaüm au sein des organisations du secteur de la justice, celles-là même qui devraient prêcher par l’exemple en se montrant respectueuses des textes. A la place, elles ont développé des mécanismes de coulage dont celui consistant à l’émission de faux bordereaux de versement.
«Des faux bordereaux de versement -sont- émis à partir de nombreux comptes non reconnus par l’intermédiaire financier qu’est la Rawbank pour justifier les paiements des frais de justice, des ruptures récurrentes des séries dans l’établissement des notes de perception. Ceci correspond au coulage d’importantes recettes non canalisées vers le Trésor public et à l’utilisation des notes de perception parallèles», a renseigné le rapport de la Cour des comptes qui fait part des pratiques similaires au sein des services d’assiette du ministère de la Justice et garde des sceaux et de la Police nationale congolaise. Dans ces organisations publiques, il n’existe plus de frontière entre la caisse publique et le compte privé.
«L’argent perçu au nom de l’Etat est versé dans des comptes privés», a déploré Jimmy Munganga, non sans fustiger «la concussion et la minorisation des recettes -qui- règnent en maître» au sein de ces services. Tout en sonnant l’alerte face aux pertes énormes que réalise la République, le premier président de la Cour des comptes, décidé à arrêter cette hémorragie, entend poursuivre, devant la Chambre de discipline budgétaire, tous les auteurs des fautes de gestion relevées lors la mission d’audit menée par ses hommes.
Aussi, Jimmy Munganga, prévoit d’adresser des référés aux autorités hiérarchiques des personnes qui seront mises en cause afin d’obtenir d’elles des sanctions disciplinaires conséquentes. Outre les sanctions, Jimmy Munganga a pensé à prévenir et à décourager ces actes qui privent au pays les moyens de sa politique. Ainsi, il a recommandé la tenue d’une rencontre entre le président du Conseil supérieur de la magistrature, le ministre de la Justice et celui des Finances, le Commissaire général de la PNC et le premier président de la Cour des comptes. Objectif de cette rencontre: développer des dispositifs efficaces pour contrer les prédateurs des recettes publiques du secteur de la Justice. Après Kinshasa, la Cour des comptes est bien déterminée à mener la même mission d’audit sur les recettes judiciaires dans les 25 autres provinces du pays.