En pleine période de vache grasse pour les Forces armées de la RD-Congo -FARDC- qui ont récemment gagné des positions dans des territoires jadis occupés par l’armée rwandaise et ses supplétifs du M23 dans la province du Nord-Kivu, un rapport de l’ONU, établi fin 2024 et rendu public cette semaine, vient clairement, une fois de plus, indexer le rôle du Rwanda et de son dirigeant, Paul Kagame, dans la crise sécuritaire de l’Est de la RD-Congo. Ce rapport reconnait le regain des rebelles entre avril et novembre 2024, étendant leur zone d’influence, dans un contexte pourtant marqué par le cessez-le-feu qu’ils ont décidé de violer délibérément, pointant également du doigt le soutien de Kigali aux rebelles.
Selon les experts des Nations-Unies, l’armée rwandaise continue «d’apporter un soutien systématique au M23 et de contrôler de facto ses opérations». De manière opérationnelle, Sultani Makenga, chef de la branche militaire du M23, reçoit «des instructions et un soutien des forces et services de renseignement rwandais». «Le M23 est resté sous le commandement militaire global du ‘général’ Sultani Makenga, qui a continué à recevoir des instructions et un soutien de la RDF et des services de renseignement rwandais», lit-on dans le rapport.
Aussi, les experts constatent un fonctionnement séparé entre le M23 et l’Alliance fleuve Congo -AFC-, l’alliance politico-militaire de Corneille Nangaa, deux «entités distinctes» mais avec des activités liées, publiant des communications communes. «Le M23 est resté la branche militaire de facto de l’AFC et l’AFC de Nangaa a continué de demander l’autorisation de Makenga pour chaque opération», poursuit le rapport qui estime entre 3.000 et 4.000 le nombre de soldats rwandais sur le territoire RD-congolais. Ces militaires de la Rwanda defence force -RDF- apportent un «soutien extérieur» au M23, avec des «technologies et de matériel militaires sophistiqués».
Kigali et Kampala comme base-arrière
«La conquête de nouveaux territoires n’aurait pas pu se faire sans l’aide de la RDF, qui a dirigé des opérations ciblées et disposait d’armes de haute technologie. La RDF a continué d’apporter un soutien systématique au M23 et de contrôler de facto ses opérations», expliquent les experts. Dans leur quête d’expansion, les terroristes entreprennent désormais de former des alliances, notamment avec des forces négatives d’autres provinces. Plusieurs chefs de M23 multiplieraient des rencontres avec certains groupes d’Ituri, du Sud-Kivu et du grand nord dans le Nord-Kivu.
En Ituri, le groupe armé Zaïre est déjà en alliance avec les supplétifs de l’armée rwandaise, créant ainsi un «nouveau front contre les FARDC». Ce rapprochement a été rendu possible grâce à Thomas Lubanga et Yves Khawa, deux anciens chefs rebelles connus dans la région et qui font l’objet de sanctions internationales. Au Sud-Kivu, les rebelles ont surtout profité du désengagement de la MONUSCO pour étendre leur influence, en recrutant des groupes armés actifs au Sud-Kivu ou en mobilisant leur soutien, s’appuyant sur leurs accointances avec les Twirwaneho, la Résistance pour un État de droit au Burundi et les Forces armées «Biloze Bishambuke».
Si les ADF ont jusque-là refusé de s’allier au M23, ils ont bien été approchés pour un «pacte de non-agression». Selon les experts des Nations-Unies, Kampala a beaucoup servi de cadre pour les réunions des délégués du M23. L’Ouganda servant ainsi de base-arrière au M23, presqu’au même titre que le Rwanda. D’après plusieurs sources, la capitale ougandaise a accueilli des réunions entre les dirigeants des ADF et des individus appartenant aux réseaux de l’ex-Rassemblement congolais pour la démocratie-Kisangani, du Mouvement de libération et de l’ex-M23, mais aussi entre Thomas Lubanga, Yves Khawa et Innocent Kaina, alias India Queen, un commandant influent du M23.
Fuite et pillage des minerais vers le Rwanda
Plus économique que politique, la guerre dans l’Est a pour principale conséquence le pillage des ressources minières de la RD-Congo, à travers ce que les experts de l’ONU identifient comme la «nouvelle route pour l’exportation de minéraux de Rubaya au Rwanda». Avec le contrôle de toute la route allant de la zone minière à la frontière rwandaise, l’armée rwandaise et ses supplétifs du M23 exportent les minéraux de Rubaya vers le Rwanda, via Bihambwe, Mushaki et Kirolirwe, dans le territoire de Masisi, Kitshanga, Kizimba, Bishusha, Mulimbi, Tongo et Kalengera, dans le territoire de Rutshuru, ou encore Kibumba, dans le territoire de Nyiragongo.
«D’après des images satellite, les minéraux arrivaient sur un parking à côté du marché de Kibumba avant d’être chargés dans des camions de gros tonnage qui venaient du Rwanda et entraient en République démocratique du Congo par Kabuhanga. La coalition AFC-M23 a imposé le «salongo» -travail forcé-, forçant la population à élargir les routes entre Kibumba et Kabuhanga et entre Rubaya et Kirolirwe, pour permettre le passage des camions», révèle le rapport de l’ONU.
Ce commerce illicite des minerais a rapporté au moins 800.000 dollars d’impôts chaque mois aux rebelles. Des témoins ont affirmé que, deux fois par semaine, des convois de quatre à cinq véhicules capables de transporter jusqu’à cinq tonnes par chargement, traversaient la frontière, entre mai et octobre 2024. «La coalition AFC-M23 contrôlait ainsi le commerce et le transport d’environ 120 tonnes de coltan par mois. La coalition AFC-M23 prélevait des taxes et des paiements en nature sur la vente et le transport des minéraux. Une taxe de 7 dollars par kilogramme était prélevée sur le coltan et le manganèse et de 4 dollars sur l’étain -cassitérite-», poursuit le rapport. Dans le même élan, l’exploitation de l’or en Ituri «continue d’échapper au contrôle de l’État, rapportant au moins 140 millions de dollars par an aux groupes armés et aux réseaux criminels».
S’ils plaident pour le rapatriement, la réinstallation des FDLR, les experts de l’ONU appellent surtout, sans détour, le gouvernement rwandais à «mettre fin aux perturbations des systèmes GPS afin d’éviter tout impact négatif sur les opérations aériennes civiles et humanitaires et sur celles des Nations Unies en République démocratique du Congo».
Natine K.