Dossier à la UneNation

[Exclusif] Après le scandale des 15 millions Usd, une nouvelle affaire de rétro-commission de 12 millions Usd éclabousse le Gouvernement

Depuis le scandale de l’affaire dite des 15 millions Usd, le public congolais a appris avec grand étonnement que le Gouvernement de la République doit à l’industrie de distribution des produits pétroliers, une créance chiffrée à plusieurs dizaines de millions de dollars américains.

Ce premier scandale éclate à l’occasion du remboursement d’un montant de 100 millions Usd aux pétroliers distributeurs en 2019. Après que le Gouvernement s’est endetté à des conditions très onéreuses auprès de la Rawbank pour payer cette créance, des révélations chocs ont alors fait état d’une opération de rétro-commission chiffrée à 15 millions Usd.

Cet argent aurait été payé par les sociétés bénéficiaires à divers intervenants, principalement à la Présidence de la République, aux ministères de l’Économie nationale et des Finances de l’époque. Jusqu’à ce jour, la destination des 15 millions Usd, effectivement décaissés par la Banque mais volatilisés par la suite, n’a toujours pas été élucidée.

En dépit de la pression de l’opinion qui s’est vigoureusement prononcée sur le sujet, le Gouvernement n’a jamais mené une quelconque investigation sérieuse sur le sujet et personne n’a été inquiétée, malgré le faisceau de preuves accablantes contre certains responsables publics qui circulent toujours librement après avoir endetté le pays pour financer leurs pots-de-vin.

Même du côté de l’Inspection Générale des Finances (IGF), c’est le silence absolu sur cette affaire. Le mutisme de cette institution qui se distingue par ses sorties aussi nombreuses que sulfureuses et hautement scénarisées, pousse l’opinion à se demander ce qui explique son indignation sélective. Certaines sources murmurent que le silence de l’IGF est expliqué par l’implication personnelle de son patron qui serait, à en croire ces sources, l’architecte de ce nouveau deal, «coop», avec la Rawbank et les pétroliers. Du reste, le tollé général suscité par cette corruption flagrante avait poussé, à l’époque déjà, le Chef de l’État, alors en déplacement en 2019 à Bruxelles (Belgique), à s’expliquer sur la question lors d’un grand entretien accordé à TV5 Monde et au Monde dans l’émission «Internationales».

A la question : «Selon l’Inspection Générale des Finances, 15 millions de dollars ont disparu des caisses du Trésor. Ce scandale de la rentrée éclabousse votre directeur de cabinet, Vital Kamerhe, qui a notamment tenté de faire cesser les enquêtes. Savez-vous où se trouve cet argent ? », Félix Tshisekedi répondit : «Selon mes informations, il s’agit non pas d’un détournement de fonds, mais d’une affaire de rétro-commissions. Nous sommes certains que ce n’est pas de l’argent volé au Trésor. En réalité, il y a eu de la maladresse. L’inspecteur général des finances est un peu sorti de sa mission et je l’ai d’ailleurs appelé pour le lui dire, tout en l’assurant de mon soutien face aux menaces inacceptables qu’il a pu recevoir. Avant de lancer son enquête, il aurait dû m’en informer car il est sous ma responsabilité. Il a agi un peu comme un procureur. Mon directeur de cabinet, contre qui je n’ai aucune preuve de sa méconduite jusque-là, a voulu le lui rappeler. Ce qui a semé cette confusion regrettable».

C’est dans ce même contexte que le Congolais, appauvri par une conjoncture économique extrêmement difficile, apprend qu’une nouvelle affaire de corruption impliquant la Rawbank et la corporation des sociétés pétrolières risque de mettre les finances de l’État davantage en difficulté.

Cette fois-ci, c’est près de 12 millions Usd décaissés par la Rawbank pour le compte des pétroliers, mais que ces derniers n’ont jamais perçus. Nos sources indiquent que les mêmes acteurs du côté de la Présidence de la République et du ministère de l’Économie auraient exigé que ce montant leur soit versé directement par la Banque, en contrepartie de l’autorisation de paiement de la créance des pétroliers.

Des questions sans réponses

À ce jour, des questions épineuses pouvant éclairer la lanterne du Congolais restent encore en suspens et devraient en principes interpeller aussi bien la justice, le Gouvernement que la Société civile.

1. Pourquoi a-t-on endetté le pays à hauteur de 80 millions Usd auprès de la Rawbank pour payer les pétroliers alors que les finances de l’État sont au rouge ?

2. Quelle sont les conditions de cet endettement en termes de taux d’intérêt et de délai de remboursement ? Qui a négocié cet endettement avec cette banque et en quelle qualité ?

3. Y a-t-il eu un accord de prêt valablement signé entre le Gouvernement et la Rawbank ? Si oui, cet accord a-t-il fait l’objet d’un avis préalable de la Direction Générale de la Dette Publique (DGDP) ? Si non, comment une banque commerciale peut-elle accorder un prêt si important sans un accord formel comme soubassement ?

4. Combien d’argent la Rawbank a-t-elle décaissé pour payer les pétroliers et combien ont-ils effectivement perçu ? Qui a empoché la différence et à quel titre ?

5. S’il y a eu rétro-commission comme semble l’affirmer plusieurs sources, qui l’a pris en charge ? L’État, la Rawbank ou les Pétroliers (COBIL, ENGEN RDC, TOTAL RDC, SEP CONGO, SOCIR et SPSA COBIL, CPPN/GNPP) ?

6. Les ministères des Hydrocarbures et des Finances ont-ils été impliqués ? Si oui, à quel niveau, sinon pourquoi ?

7. Après les soupçons de corruption sur les pétroliers et la Rawbank sur le dossier des 15 millions Usd, ces sociétés sont-elles capables de se disculper de cette nouvelle affaire ?

Devant de telles interrogations et surtout face à un faisceau de preuves concordantes quant au détournement de deniers publics, pourquoi l’activisme de l’IGF s’est-il refroidit ? Cela, alors même que l’inspecteur général – Chef de service, Jules Alingete, connaît parfaitement le dossier pour avoir été lui-même un puissant directeur de cabinet adjoint de la ministre de l’Economie jusqu’à sa nomination dans ses fonctions actuelles ?

Des sources confirment qu’il continue d’ailleurs d’intervenir au sein du cabinet de ministre de l’Économie nationale, et précisément sur les questions liées au juteux secteur pétrolier, mais affublé désormais de la casquette d’«expert du Gouvernement», créant ainsi un conflit d’intérêt évident.

Selon diverses sources recoupées par Econews autant à la Présidence de la République qu’au ministère de l’Économie, ce silence n’est pas anodin, parce que le coup de maître réalisé pour endetter l’État de 80 millions Usd et extorquer aux pétroliers 12 autres millions Usd est l’œuvre d’un fin connaisseur qu’il ne faut pas chercher très loin.

D’où vient la dette de l’État congolais envers les sociétés distributrices des produits pétroliers ?

L’affaire des 12 millions Usd, qui seraient volatilisés de la Rawbank pour payer des rétro-commissions sur la créance des pétroliers, continue à prendre du volume. Mais d’où vient que l’État congolais doit des dizaines de millions de dollars Us au secteur pétrolier ?

Cette dette est-elle justifiée et par quel mécanisme a-t-elle été contractée ? Après enquête auprès des spécialistes du secteur de sources proches du dossier, notre rédaction vous livre ici une explication détaillée sur cette importante dette de l’État.

Tout part de la décision de l’État congolais de mettre les prix du carburant à la pompe à l’abri des lois de l’offre et de la demande, en fixant lui-même ces prix. En principe, le prix du carburant découle de trois facteur, à savoir (1) le Prix Moyen Frontière (PMF) qui indique le coût d’acquisition des produits auprès des fournisseurs étrangers ; (2) le volume de carburant mis en consommation sur une période donnée ; (3) ainsi que le taux de change appliqué. L’État fixe la valeur de ces paramètres dans une structure des prix de référence par arrêté interministériel, en concertation avec les pétroliers distributeurs. Cette mesure vise à contenir la volatilité des prix du carburant et éviter qu’elle entraîne une augmentation du niveau général des prix et une érosion du pouvoir d’achat des consommateurs.

Cependant, la règlementation en vigueur prévoit une actualisation des paramètres de la structure à chaque fois qu’ils connaissent une variation supérieure à 5%. Il s’agit précisément les articles 4 et 5 de l’arrêté interministériel n°003/CAB/MIN/ECO-FIN&BUD/2001 et 021/MIN/MINES-HYDRO/2001 du 25 juin 2001 fixant modalité de révision de la structure des prix des carburants terrestres, qui donne la latitude aux sociétés pétrolières d’ajuster leurs prix pour prendre en compte les changements des paramètres sur le marché.

C’est le cas par exemple lorsque les cours du pétrole augmentent sur le marché mondial, et que le coût d’acquisition du carburant devient plus important pour les importateurs.

Cependant, ce principe n’est pas toujours respecté, considérant que la structure des prix des carburants est restée figée de novembre 2018 à mai 2020 à la demande du Gouvernement. Ceci en dépit de la variation, hors proportions acceptables du taux de change, qui est l’un des paramètres essentiels de la structure des prix.

En effet, alors que le taux de change retenu dans la structure des prix était à 1.515 FC/Usd, le taux sur le marché était déjà à plus de 1.900 FC/Usd. La différence entre les deux taux constituait donc une perte pour les pétroliers distributeurs.

Il en découle qu’en cas de non-actualisation de la structure des prix, le prix à la pompe fixé par l’État peut être inférieur au prix auquel les pétroliers devraient normalement vendre leurs produits pour couvrir toutes leurs charges et générer des bénéfices. La différence entre ces deux prix constitue les pertes et manques à gagner pour les sociétés pétrolières.

Pour assurer l’équilibre du système, l’État s’est ainsi engagé à couvrir ces pertes en octroyant une forme de subvention indirecte aux consommateurs. En effet, les sociétés pétrolières acceptent de vendre leurs produits à perte et l’État s’engage quant lui à leur verser les montants équivalents pour couvrir ce manque à gagner.

De l’avis des experts consultés par Econews, le Gouvernement est généralement réticent à mettre à jour les paramètres de la structure des prix lorsque cela entraîne une hausse du prix à la pompe, mais ne se montre jamais prompt à compenser les pertes enregistrées par les pétroliers issues de sa décision de figer les prix à un niveau artificiellement bas. C’est suite à la non-actualisation de la structure des prix des produits pétroliers d’une part, et au non-paiement par le Gouvernement de la contrepartie équivalente, d’autre part, que la créance détenue par les pétroliers sur l’État s’est accumulée.

Ainsi, le stock des pertes et manques à gagner pour l’ensemble de la profession pétrolière atteignent plusieurs dizaines de millions de dollars américains. La certification de ses pertes est faite mensuellement au sein d’une Commission interinstitutionnelle, sous la présidence du ministère de l’Économie nationale. Cette Commission fonctionne dans le cadre fixé par l’arrêté Interministériel 001/CAB/MIN/ECO-FIN&BUD/2001 du 26 mai 2001portant réorganisation du Comité de chargé du suivi des prix des produits pétroliers. C’est visiblement au sein de ce Comité que les auteurs intellectuels du «coop» ou rétro-commission – c’est selon – de 12 millions Usd se cachent.

Fait étonnant, on signale depuis toujours la présence de l’inspecteur général des Finances – Chef de Service, Jules Alingete, au sein de ce Comité, en violation des textes règlementaire, étant entendu que l’IGF n’est pas membre du comité. Sa présence dans ce comité viole également le bon sens, par le fait qu’un service d’Inspection ne peut être partie prenante des actes qu’il est censé contrôler. Cela s’appelle être juge et partie.

Les documents consultés par Econews et largement partagés sur les réseaux sociaux relèvent qu’une réunion du Comité de suivi des prix des produits pétroliers a eu lieu en date du 21 décembre 2020, avec comme objet de certifier la créance des pétroliers sur l’État. Il s’avère que les ministères des Finances et des Hydrocarbures ont été tout simplement mis à l’écart, en dépit de leurs attributions respectives, alors qu’ils sont bel et bien membres de droit de ce comité. Du reste, nos sources indiquent que le directeur de cabinet de la ministre de l’Économie semble subir le même sort.

Écarté systématiquement de la gestion du dossier, il est obligé de subir le dictat du Secrétaire général à l’Economie et, particulièrement, de celui de l’inspecteur général des Finances – Chef de Service ; tous deux plus puissants que lui et jouissant d’une plus grande confiance de la ministre de l’Économie nationale.

Les mêmes sources rapportent qu’au cours de la réunion du 21 décembre 2020, le stock des pertes et manques à gagner non encore apuré par l’État et concernant la situation arrêtée à juin 2020, présentait une situation de 116 millions Usd dus aux pétroliers comme pertes et manques à gagner.

Il faudra y ajouter une créance de 76 millions Usd que l’État doit encore aux pétroliers sur une ardoise précédente. Après le paiement des 100 millions Usd effectué en 2019 et avant le paiement de 80 millions Usd intervenu en 2021, la créance totale était estimée à 192 millions Usd réclamée par les pétroliers.

En date du 22 janvier 2021, le directeur de cabinet  intérimaire du Président de la République, Kolongele Eberande, demande directement au ministre des Finances de payer en toute urgence cette créance. Il sera relayé par la ministre de l’Économie, Acacia Bandudola, à la même date, pour préciser le montant à payer de 80 millions Usd, et à quelles sociétés le payer.

Cette coïncidence de date ne trahit-elle pas une synchronisation préméditée, sinon une coordination entre le cabinet du Chef de l’État et le ministère de l’Économie sur ce dossier ?

Les éléments du puzzle

Vu sous cet angle, d’importantes questions restent pendantes :

1. Qui a déterminé le montant de 80 millions d’USD à payer aux pétroliers, en quelle qualité et sur quelle base ?

2. Qui a déterminé la répartition des montants à payer pour chaque société et sur quelle base ?

3. En quelle qualité l’inspecteur général des Finances – Chef de service conduit-il des réunions du comité de suivi des prix des produits pétroliers ?

Plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer la gestion récente de la structure des prix des produits pétroliers, qui semble donné lieu à des paiement indus fait aux bénéfices de certains pétroliers et au détriment de l’État. Sur cette question, un nom revient encore sur la sellette, affirme un expert proche du dossier.

En effet, il semble que ce soit encore une fois l’inspecteur Jules Alingete, alors directeur de cabinet adjoint de la ministre de l’Économie, qui aurait proposé de modifier la structure des produits pétroliers pour y intégrer le principe de mutualisation des volumes manipulés. Ce principe permet de rémunérer mensuellement des logisticiens du secteur pétroliers, même s’ils n’ont rendu aucun service en termes de volume manipulé !

De nombreux experts sont unanimes sur la question. Ils notent que ce principe est contraire à toute logique économique et favorise la fraude et le déséquilibre du système, au profit de certains opérateurs du secteur qui peuvent être régulièrement rémunérés même sans produire le moindre travail.

L’existence d’importantes sommes payées indument chaque mois à certains opérateurs pétroliers a d’ailleurs attiré l’attention du Conseiller spécial du Chef de l’État en matière de Sécurité, François Beya.

Dans sa lettre n°PR/SCS/CS/1104 du 2 juin 2020, il interpelle le Premier ministre, Ilunga Ilunkamba, sur la question avec chiffre à l’appui. Il souligne aussi le caractère irrégulier de certains arrêtés pris par la ministre de l’Économie concernant la modification de la structure des prix des produits pétroliers.

Réagissant à la lettre de François Beya, le Premier ministre a instruit, à son tour, la ministre de l’Économie de procéder en toute urgence aux contrôles qui s’imposent pour faire la lumière sur les faits mis en évidence par le conseiller spécial du Chef de l’État en matière de Sécurité.

Dans sa lettre n°CAB/PM/DIRCABA/TID/KK/MMM-SC/2020/2038, le Premier ministre demandait même à sa ministre de l’Économie de se faire aider par l’Inspection Générale des Finances pour mener à bien les investigations nécessaires.

Jusqu’à ce jour, la lettre du Premier ministre n’a reçu aucune suite et aucune initiative de contrôle n’a été prise ni par le ministère de l’Économie nationale, ni par l’IGF qui semble encore une fois faire preuve d’une certaine sélectivité dans l’expression de son indignation et dans ses dénonciations.

En effet, malgré les faits soulignés par le réputé sérieux et droit François Beya, malgré l’instruction formelle du Premier ministre, Acacia Bandubola et Jules Alingete n’ont pas bougé le petit doigt. Encore une fois, l’opinion s’interroge sur ce silence visiblement coupable.

Gradi LUYILA

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