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Annulation des ordonnances du Conseil d’État à la requête de la CENI: Comment Dieudonné Kamuleta a violé la Constitution et écorné son image

Les arrêts de la Cour constitutionnelle sont exécutoires et opposables à tous. Un principe de notoriété publique. Mais ces décisions doivent également être irréprochables et sources de probité morale. Malheureusement, les récents arrêts de la Cour constitutionnelle sur le contentieux né des élections des gouverneurs des provinces de la Tshopo, du Maniema et de la Mongala ont le désavantage d’être critiquables, irréguliers et illégaux parce que bâtis sur la violation de la Constitution.

La Cour constitutionnelle a, en effet, suscité un tollé après avoir fait droit à la requête en inconstitutionnalité des ordonnances du Conseil d’État sur les gouvernorales dans le Maniema, la Mongala et la Tshopo déposée par le président de la Commission électorale nationale indépendante -CENI-, personnalité ne figurant pourtant pas parmi celles qualifiées pour saisir cette haute instance pour interprétation de la Constitution.

«Seuls le Président de la République, le gouvernement, le président du Sénat, le président de l’Assemblée nationale, un dixième des membres de chacune des chambres parlementaires, des gouverneurs de province et les présidents des Assemblées provinciales sont habilités à saisir la Cour constitutionnelle pour interprétation de la Constitution», a prescrit clairement l’article 161 alinéa 1 de la Constitution, appuyé par l’article 54 de la Loi 13/026 portant organisation et fonctionnement de la même Cour constitutionnelle.

Curieusement, par le truchement de son nouveau président, Dieudonné Kamuleta Badibanga, la Cour constitutionnelle s’est proclamée compétente pour connaître de la requête du président de la CENI, jugée par elle recevable et fondée, créant ainsi la première catastrophe. Ça c’est côté forme. Côté fond, et c’est la deuxième catastrophe, la Cour constitutionnelle a choqué les consciences en annulant les ordonnances du Conseil d’État attaquées par la CENI.

Pour justifier cette double imposture, la Cour constitutionnelle a justifié, dans une vidéo devenue virale sur la toile, sa vocation de «pouvoir régulateur», de «gardienne souveraine de l’inviolabilité de la Constitution».

Toutes gardiennes de la Constitution et chacune au regard de ses compétences

Ces affirmations maladroites lui ont valu un recadrage de la Cellule de Communication et Presse du Conseil d’État. «Pareilles affirmations sont graves en droit public. Les compétences sont d’attribution, et celle de la Cour constitutionnelle, en matière de constitutionnalité, ne relèvent que des articles 160, 161 et 162 de la Constitution de la République démocratique du Congo. Pas plus».

Puis: «Gardien de la Constitution, toutes les juridictions le sont, chacune au regard de ses compétences. La Cour constitutionnelle est juge des actes parlementaires et des actes administratifs réglementaires, jamais alors jamais des décisions de justice ou des actes judiciaires, sauf pour départager le Conseil d’Etat et la Cour de cassation, lorsque ces deux dernières juridiction sont toutes compétentes ou incompétentes pour un même litige. Soutenir le contraire c’est effectivement signer un scandale du siècle».

Puis encore: «Bien plus, conformément à l’article 386 de la Loi organique sur les juridictions de l’ordre administratif, les arrêts du Conseil d’Etat ne sont susceptibles d’aucun recours. De s’y être attaquée et d’avoir osé les annuler, la Cour constitutionnelle a en effet violé la Constitution, notamment les articles 160 -juge de la constitutionnalité des actes législatifs, et assimilés-, 161 -juge de l’interprétation de la Constitution-, 162 -juge des actes administratifs réglementaires- et article 155 -Conseil d’Etat, juge d’appel des actes des cours administratives d’appel-, ainsi que l’article 386 de la Loi organique sur les juridictions de l’ordre administratif -les arrêts du Conseil d’Etat ne font l’objet d’aucune voie de recours».

Rattrapé par l’issue du dossier R.Const.1272

Kamuleta n’a pas seulement violé la Constitution à travers ces étranges arrêts. Il a aussi marché sur l’abondante jurisprudence de la Cour constitutionnelle, objet du discours de la rentrée judiciaire 2021-2022 lu par son illustre prédécesseur, Dieudonné Kaluba, pendant qu’il était assis parmi ses collègues juges à la place d’honneur, au point d’oublier la pertinence de l’arrêt de principe sanctionnant le dossier R.Const.1272, dans lequel il a laissé ses empreintes.

Statuant sur cette affaire consacrée à la requête introduite par le Général de Brigade Jean Israël Wanyanga Muzumbi en inconstitutionnalité de la procédure et arrêt de la Haute cour militaire du 2 juillet 2020 sous RP 015/2020, les juges de la Cour constitutionnelle, parmi lesquels Dieudonné Kamuleta Badibanga, n’ont pas tergiversé pour se déclarer incompétents. Sans autre forme de procès.

«Sans qu’il soit besoin d’examiner la pertinence du moyen exposé par le requérant, la Cour constitutionnelle déclinera sa compétence. La Cour relève, en effet, qu’aux termes des dispositions combinées des articles 160 et 162 de la Constitution de la République, 42 et 43 de la loi organique relative à son organisation et son fonctionnement, ainsi que 54 et 59 de son règlement intérieur, elle ne connait que de la constitutionnalité des traités et accords internationaux avant la ratification, des lois, des actes ayant force de loi, des Édits, des règlements intérieurs des chambres parlementaires, du congrès et des institutions d’appui à la démocratie, ainsi que des décisions administratives ayant un caractère réglementaire», a tranché l’arrêt.

Puis: «Elle note, en outre, que dans la poursuite de l’idéal de l’Etat de droit découlant de l’article 1er de la Constitution de la République, elle a, par sa jurisprudence, étendu sa compétence à l’égard de seuls actes d’assemblée sous une double condition que l’acte déféré ne relève de la compétence matérielle d’aucun autre juge, et que le requérant allègue à suffisance de droit la violation d’un droit fondamental auquel la Constitution accorde une protection particulière. Elle s’avise, dès lors, qu’hormis sa compétence d’attribution relevant des dispositions susvisées, elle ne peut exercer sa compétence résiduelle que dans les conditions fixées par sa jurisprudence».

Puis encore: «En l’espèce, la Cour relève que l’examen de cette requête échappe à sa compétence, dès lors qu’elle poursuit l’inconstitutionnalité d’un arrêt de la Haute cour militaire rendu le 2 juillet 2020 sous RP 015/2020 qui n’est ni un acte législatif ni un acte réglementaire au sens des dispositions susvisées, moins encore un acte d’assemblée au sens de sa jurisprudence pré-rappelée, mais plutôt un acte juridictionnel susceptible des voies de recours, notamment le pourvoi en cassation devant la Cour de cassation en vertu de l’article 153, alinéa 2 de la Constitution et dans les conditions et formes fixées par les lois organiques n° 13/010 du 19 février 2013 et n° 13/011-B du 11 avril 2013 portant respectivement procédure devant la Cour de cassation et organisation, fonctionnement et compétence des juridictions de l’ordre judiciaire…».

Amnésie? Pression politique? Corruption ou copinage? Démarche tendant à instituer frauduleusement un triple degré de juridiction? Autant la Cour constitutionnelle a décliné sa compétence pour un jugement rendu par la Haute cour militaire, autant elle devait se rappeler qu’il n’y avait pas lieu de juger ordonnances prises par le Conseil d’État. Dommage qu’on en soit arrivé là.

La position de la Cour constitutionnelle laisse donc, une fois de plus, s’élever cette controverse constitutionnelle qui devient un caractère permanent, ou presque, des juridictions composant le pouvoir judiciaire en République démocratique du Congo.

Suivant leur humeur ou leur tempérament, experts en droit et chancelleries s’indignent, argumentent, gémissent, déplorant «cet acte qui vient jeter le discrédit sur la Cour constitutionnelle, écorner l’image de son président et embarrasser le Régime à quelques mois de la présidentielle dont cette juridiction est juge». Il est plus intéressant de savoir si Kamuleta, ce juge capable de violer la Constitution, marcher sur la jurisprudence de sa propre juridiction et se contredire, est encore bien placé, moralement et politiquement, pour animer cette Cour aux missions délicates… jusqu’à cette échéance hautement sensible.

AKM

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