Un mois après les élections de décembre et à la veille de l’investiture de Félix Tshisekedi proclamé vainqueur de la présidentielle, les dénonciations pleuvent toujours après ce que les catholiques appellent désormais une «catastrophe électorale». Dans un message signé le 16 janvier et rendu public deux jours plus tard, la Conférence épiscopale nationale du Congo -CENCO- est allée sans gants pour critiquer les opérations électorales ayant conduit à la réélection de Félix Tshisekedi, mais aussi alerter sur les dangers qui guettent le pays alors qu’aucune nation «ne peut se construire dans le mépris des valeurs morales».
S’appuyant sur une affirmation biblique, les évêques catholiques se sont clairement désolidarisés de la fraude car, ont-ils dit en intitulé du message, celui qui s’y livre «n’habitera pas dans la maison de Dieu». Les prélats catholiques, forts des préoccupations soulevées et des recommandations faites par la mission conjointe d’observation électorale CENCO-ECC, ont surtout rappelé les «irrégularités et incidents dont l’ampleur et l’étendue font des élections du 20 décembre 2023 une catastrophe électorale».
Un véritable «chaos» favorisé, selon les pasteurs catholiques, par «l’obstination de la CENI» à organiser des élections «par défi» et ce, en dépit contraintes évidentes et «en violation du cadre juridique national et de l’administration électorale».
«Ces élections ont été caractérisées, en général, par la fraude, la corruption à grande échelle, le vandalisme de matériel électoral, l’incitation à la violence, la détention illégale des DEV -machines à voter-, l’achat des consciences, l’intolérance, l’impudicité, l’atteinte aux droits humains, à la vie humaine et à la dignité des personnes allant jusqu’à humilier publiquement la femme», ont fustigé les évêques de la CENCO.
Les hommes en soutanes de la RD-Congo ont été, du reste, étonnés, comme toute bonne conscience, de la «facilité avec laquelle les DEV et les rouleaux des bulletins de vote se sont trouvés un peu partout dans les mains des particuliers», interrogeant au passage sur le rôle de la CENI, détentrice du contrôle exclusif de ces gadgets, dans cet «imbroglio» car n’ayant jamais déclaré avoir perdu du matériel. La CENCO, dans ses investigations, a dit avoir également découvert «un nombre impressionnant de votes parallèles avec les machines à voter trouvées chez des particuliers», soupçonnant au passage une «planification quelque part au niveau du pouvoir organisateur» de cette fraude.
Dans cet élan suspicion, la CENCO a vu d’un très mauvais œil le refus tacite de la CENI de mettre en place une commission mixte et indépendante, préferant plutôt une commission interne qui a finalement conduit à l’invalidation de 82 candidats. «Elle -CENI- a annoncé une deuxième liste d’invalidés, qui n’est toujours pas publiée», ont constaté amèrement les membres de la CENCO.
«Cette opacité de la CENI nous semble une suite logique des cas observés antérieurement, notamment les cas des kits d’enrôlement retrouvés entre les mains des particuliers pour lesquels la CENI a refusé le Cadre de concertation sollicité pour clarifier les choses, des centres d’inscription fictifs pour lesquels on n’a eu aucune explication, le refus d’un audit indépendant du fichier électoral, etc», a-t-on également lu dans le message des évêques. Plusieurs autres irrégularités ont également été soulevés par les pasteurs catholiques: cartographie incorrecte et non téléchargeable avec 3.706 bureaux de vote dupliqués 2 voire 3 fois, avec comme conséquence l’augmentation du nombre d’électeurs de l’ordre de plus de 2.400.000.
«Ces nombreuses irrégularités constatées, les incidents notés et la fraude déclarée ont sérieusement affecté les élections et entamé la confiance des électeurs», ont-ils constaté, craignant au passage sur le crédit de la population au prochain parlement composé de seulement 6% de députés issus de l’opposition. «Dieu seul sait comment on y est arrivé. Cette situation comporte un grand risque de rentrer au monopartisme, ce qui serait un grand recul de notre démocratie naissante», ont-ils alerté.
Devant ce tableau peu reluisant, les évêques catholiques ont appelé leurs fidèles, représentant près de la moitié de l’électorat national, à se libérer lui-même puisque «l’avenir d’un pays dépend de son peuple». «Que chaque RD-Congolais se sente concerné par la construction de notre pays. Pour ce faire, nous exhortons tous les RD-Congolais à rester vigilants et engagés dans l’exercice de notre souveraineté», ont-ils dit en conclusion.
Dans une déclaration commune avec l’Église du Christ au Congo -ECC-, l’autre confession religieuse influente du pays, la CENCO avait déjà appelé le Procureur général près la Cour constitutionnelle à «se saisir d’office de toute dénonciation en rapport avec les irrégularités afin d’amener la haute juridiction de la sincérité électorale à dire le droit et redorer la fierté de notre République» en plus de la mise en place d’une commission d’enquête mixte et indépendante à la CENI. Deux préalables desquels devraient dépendre «l’acceptation des résultats à chaque niveau des scrutins». Deux semaines plus tard, ces recommandations sont restées lettres mortes.