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Braeckman: témoignage inédit sur Kabila

Joseph Kabila Kabange. L’homme qui a dirigé la RD-Congo durant 18 années est resté un mystère impénétrable. Plus de 65 mois après son départ du pouvoir à la suite de la première alternance pacifique en RD-Congo, le sénateur à vie entretient une énigme autour de sa personne. Dans ses rares apparitions publiques, l’ancien Chef de l’État RD-congolais, lunettes de soleil bien vissées la plupart de temps, ne parle jamais ou presque. Qui ne voudrait pas faire parler l’un des rares anciens présidents quinquagénaires du monde? En tout cas pas Colette Braeckman, la journaliste belge spécialiste de la zone Afrique centrale, qui a été la première à interviewer le jeune Kabila, 29 ans, au lendemain de son arrivée au pouvoir en 2001.

Plus de vingt-ans après, Christian Lusakueno a pu tirer les vers du nez de cette championne en interview. Dans un air décontracté et un art qui lui réussit bien, Lusakueno a obtenu de Braeckman un témoignage inédit, levant un pan de voile autour de l’impénétrable Joseph Kabila.

A l’opposé de son père plutôt bavard, Kabila est réputé pour être un fervent adepte du silence. Une attitude aux antipodes de son géniteur qui n’est pas sans rappeler ses débuts quand il lui succède. Il est alors présenté comme beaucoup «plus conciliant» que son prédécesseur. Avis non partagé par Colette Braeckman. Dans son flair journalistique, elle a plutôt aperçu un trompe-l’œil de Kabila dans une démarche de survie. «Le fils voulait rester vivant. Le fils ne voulait pas être victime d’une tentative d’assassinat. Il ne voulait pas être victime d’un attentat. Et donc, il devait donner des gages à ceux qui auraient eu à l’époque les moyens de le liquider. Il a choisi de donner une apparence conciliatrice, d’un bon garçon, d’un gentil type. Comme disait à l’époque, c’était Chirac: ‘mais il est bien ce garçon, mais c’est formidable, il est plus intelligent que son père’», explique-t-elle.

Pour cette journaliste, Kabila n’a été qu’un «bon comédien» qui a réussi à se «cacher» puisque «c’était une question de vie ou de mort sinon il aurait été liquidé de la même façon que son père». Cette posture a offert au jeune Kabila un boulevard dans les grandes capitales jusqu’à être adopté par Louis Michel, alors vice-Premier ministre belge et ministre fédéral des Affaires étrangères. Selon Braeckman, ce dernier a cru lui «expliquer le -b a ba- de la fonction de chef». Pourtant, Kabila a caché son vrai visage, car déterminé à «installer son pouvoir, s’habituer au pouvoir» et «éviter un attentat ou une liquidation».

La passion du Congo…

L’histoire semble avoir donné raison au flair de Braeckman alors que Kabila s’est finalement brouillé avec les Occidentaux en dévoilant, des années plus tard, sa vraie face d’un nationaliste pur jus. «Oui, il était le fils d’un révolutionnaire. C’est un enfant qui a grandi dans le maquis», confie la journaliste. Ce qui n’a pas changé entre cette première interview de Kabila et son départ du Palais de la nation, c’est sa passion pour la RD-Congo. Cette passion, il l’a avouée, plein d’émotions lors de son dernier discours sur l’état de la Nation, en décembre 2018, devant les deux chambres du Parlement réunies en Congrès. Dix-huit ans avant ce dernier grand oral du Président Kabila, Braeckman a encore obtenu, en exclusivité, les grandes lignes de son programme: sauver et réunifier le pays.

«C’était la première chose qu’il a dit dans cette première interview: ‘je veux recréer l’unité du Congo, faire ce qu’il faut pour que ce pays ne reste pas comme ça, divisé en plusieurs parties, le réunifier et que toute la population se retrouve de nouveau dans ses frontières’. Ça, ça méritait tout de même, de mon point de vue, d’être répercuté et d’être soutenu contre toutes les divisionnistes et tous les prophètes de malheur», confie Braeckman. Mieux, Kabila semble avoir tout prévu, même l’après-présidence, lui qui a connu l’exil et le maquis: «vivre en paix et tranquillement dans -son- pays dont -il a- été banni pendant toute la première période de -sa- vie». Une «ambition respectable», selon Braeckman qui rêve de percer encore et encore le mystère autour de cet homme à travers un ouvrage. «Il faut qu’il parle. Il faudrait qu’il parle», répète-t-elle.

Un homme «réfléchi» et «intelligent»

Arrivé à Kinshasa en provenance du camp militaire de Kimbembe, près de Lubumbashi, dans l’ex-Katanga, au lendemain de l’assassinat de son père, Laurent-Désiré Kabila, Joseph a pris la succession de ce dernier le 26 janvier 2001. Braeckman, qui le voit alors pour la première fois à sa descente d’avion, se rappelle d’un «homme jeune, serré dans son uniforme, avec un visage absolument de pierre, qui ne montrait aucun sentiment». «Il est passé devant nous, très protégé», relate la journaliste, qui est devenue, deux semaines plus tard, la première à interviewer le nouvel homme fort de Kinshasa.

Elle découvre alors un homme loin de toutes les caricatures, racontées à l’époque. L’interview se passe «dans un bureau très simple, avec un meuble et une chaise, extrêmement modeste». Devant Braeckman se dresse un «jeune militaire avec un visage de marbre, aucun sentiment ne transparaissait», sauf quand l’interrogatrice fait preuve d’humanité et évoque la disparition de Kabila père.

«Je connaissais son père et je regrettais encore que son père ait disparu de cette façon-là. Je n’ai pas réfléchi, c’est venu comme ça spontanément. J’ai dit mais monsieur le Président, on est ici pour une interview mais avant même de vous poser la première question, je dois vous exprimer mes sincères condoléances parce que je connaissais votre père et j’avais de l’estime et de l’affection pour lui. Je veux simplement vous dire ça, maintenant on peut passer à l’interview. Là, j’ai eu l’impression que le bloc de glace s’est fissuré et qu’il était touché par ce sentiment d’humanité», explique-t-elle à Lusakueno.

C’était ainsi parti pour une interview «entièrement en français». A l’époque, tout le monde raconte pourtant que le nouveau président ne sait pas manier la langue de Molière. Braeckman voit même son travail être contesté. «J’ai rédigé le texte et après j’ai vu des collègues qui disaient: ‘ce n’est pas vrai, c’est toi qui as rédigé les questions et les réponses’. J’ai dit, je rêve ou quoi alors j’ai sorti mon enregistreur où toute l’interview était enregistrée et il parlait parfaitement le français mais d’une façon réfléchie, mesurée, en pesant ses mots, ce qui était bien normal», se remémore-t-elle, insistant sur les qualités communicationnelles de Kabila qui «s’exprimait posément, lentement, en pesant ses mots, qui disait des choses pondérées, intelligentes et qui tenait compte de la situation etc.».

Colette Braeckman a été la première et la dernière journaliste à interviewer en solo Joseph Kabila, en février 2001 puis en décembre 2018 (Photo Le Soir)

Durant près de deux décennies de Kabila au pouvoir, Braeckman n’a pas été seulement la première mais aussi celle qui l’a le plus interviewé. Ce coup de chance découle, selon elle, de la première interview dont elle se rappelle avoir «essayé d’être très rigoureuse, de prendre exactement ce qu’il avait dit mot à mot». Peut-être grâce à la fermeté dans le traitement de la journaliste belge qui a tenu à «respecter ses formulations, à exprimer du plus près possible ce qu’il avait dit».

L’interview fait carton en Belgique où le nouveau président RD-congolais, aux méthodes visiblement opposées à son père, séduit mais là encore, des doutes persistent sur l’authenticité de l’entretien. Colette Braeckman ne décolère pas, elle propose désormais de faire écouter la cassette à tous les sceptiques face à ce «témoignage qui valorisait» Joseph Kabila et «disait ce qu’il était vraiment, c’est-à-dire un homme intelligent».

Des qualificatifs loin de la «désinformation de la presse périphérique» qui affirme en ces temps que Kabila «parle à peine le français, joue avec de petites voitures et passe des nuits à surfer sur Internet». Des affirmations «caricaturées» qui ont rendu «furieuse» la journaliste belge car découlant du «post-colonialisme». «Je me disais quand il s’agit d’Africain, celui qu’on ne contrôle pas, on doit le caricaturer. C’était comme ça avec le père, c’était comme ça aussi avec le fils. On ne le contrôle pas, il ne dit pas ce qu’on lui a dit de dire, il dit ce qu’il estime nécessaire de dire. Alors là, il faut en donner une image caricaturale et méprisante», regrette-t-elle encore aujourd’hui.

De Kabila, Braeckman retient surtout le souvenir d’un homme qui, sorti du maquis sans être véritablement passé par le lycée français, a produit des résultats, lui «disciple de Patrice Lumumba», le «symbole du patriotisme et de l’unité» de la RD-Congo. Un héritage certainement acquis de son père qui lui a inculqué cette mentalité-là de «retourner -au- pays» pour le «reconstruire». Si Braekman reconnait des failles sur ce chemin révolutionnaire emprunté par le Raïs, elle est cependant convaincue que ce dernier a pleinement réussi ses missions premières: «réunifier le pays», «retrouver l’unité», «faire partir les armées étrangères -en faisant- des concessions inévitables». «Il a mené ce pays réunifié aux premières élections démocratiques, c’est tout de même pas mal pour quelqu’un qu’on croyait qu’il jouait avec des jeux électroniques quand il est arrivé au pouvoir, c’est quand même pas mal comme résultat», conclut-elle.

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