De nouvelles révélations, signées Reporters sans frontières -RSF-, éclaboussent le ministère public qui accuse le journaliste Stanis Bujakera d’avoir fabriqué et distribué une note attribuée à l’Agence nationale des renseignements -ANR- et à la base d’un article publié sur le site de Jeune Afrique, que Stanis Bujakera n’a pas signé, revenant sur les circonstances de l’assassinat de l’ancien ministre des Transports, Chérubin Okende. Sauf que cette note, qui charge le service des renseignements militaires d’être auteurs de l’assassinat de cet opposant, est un «faux», selon le gouvernement RD-congolais. Elle a été «indûment attribuée à l’ANR» pour «désorienter l’opinion publique», avait soutenu Peter Kazadi, ministre de l’Intérieur, dans le droit réponse du gouvernement à Jeune Afrique.
Alors que doit se poursuivre, ce vendredi 3 novembre 2023, le procès Stanis Bujakera en audience foraine à la prison de Makala, RSF a publié la veille une enquête affirmant, sur base des dépositions de plusieurs témoins, que cette note a bel et bien été produite par l’ANR. Selon cette enquête, le document a largement circulé dans les milieux sécuritaires, les chancelleries et les médias avant même que Stanis Bujakera ou sa rédaction en ait connaissance.
Deux sources sécuritaires, qui connaissent bien les arcanes de l’ANR, ont confirmé à RSF que le document ressemblait en tous points à ce que peut produire l’Agence sur ce type d’événement. «Dans l’armée, on appelle ça un bulletin d’information ou un rapport d’incident», a confié un haut gradé sous le sceau de l’anonymat, soulignant tout de même que «le document ne reflète pas forcément la position finale de l’Agence vouée à être transmise au Chef de l’État à propos du meurtre de l’opposant politique». Cette source, a martelé RSF, a affirmé que le document «vient bien de l’ANR». A son instar, un agent des renseignements RD-congolais en est venu aussi à la confirmation de la production de cette note par l’ANR. Suivant son témoignage, il s’agit d’une «note adressée à la hiérarchie attendant vérification, analyse et enquête minutieuse».
Et une source proche de la présidence d’abonder: «Tout le monde sait qu’elle vient de l’ANR, probablement d’un échelon inférieur pour ensuite être traitée». Un son de cloche similaire s’est fait entendre du côté des diplomates interrogés par RSF qui indiquent avoir également reçu cette note au mois d’août. «Elle est authentique et il sera difficile de parler de faux rapport», a soutenu une source diplomatique.
De quoi pousser RSF à considérer que «si l’accusation avait réellement eu pour intention d’identifier la provenance de ce document, il eût été très simple de constater qu’il avait déjà circulé avant même que le journaliste ne l’obtienne», a relevé Arnaud Froger, responsable du bureau investigation de RSF, dont les équipes n’ont eu besoin que de «quelques jours à Kinshasa» pour s’en rendre compte.
«Avec des accusations qui ne tiennent pas, que cherchent réellement ceux qui ont décidé d’arrêter ce journaliste? Maintenant qu’un procès s’est ouvert malgré l’absence totale d’éléments à charge, Stanis Bujakera devrait au moins pouvoir défendre son honneur et son intégrité en homme libre», a-t-il estimé en outre.
Et de rappeler:
«Tout aussi intéressant, son contenu explosif -considérant que l’assassinat de Chérubin Okende aurait été exécuté par les services de renseignement militaire du pays-, n’a même pas été mis sur la place publique par Jeune Afrique en premier. Le 5 août 2023, soit plusieurs semaines avant la publication du magazine, le député de la majorité présidentielle Léon Nembalemba livrait en direct sa version des faits sur sa chaîne Molière TV, dénonçant “l’incompétence des services” accusé d’avoir “enlevé et tabassé à mort” l’opposant politique avant de se livrer à un “maquillage à l’emporte-pièce”».
Par ailleurs, dans la même enquête, Reporters sans frontière s’est interrogé: «Qui avait intérêt à diffuser cette note?»
Après recoupement des sources sécuritaires contactées dans le cadre de cette investigation, RSF a conclu que «la diffusion avait pour objectif de jeter le discrédit sur le patron de l’Agence sous fond de luttes internes. La note consultée par RSF est datée du 14 juillet. L’administrateur général de l’ANR, Jean-Hervé Mbelu, a quant à lui été démis de ses fonctions le 1er août. Simple coïncidence?»
RSF, citant des sources au sein de ce service d’intelligence, a fait savoir que des sanctions ont été prises à la suite de la diffusion de la note, accréditant une fois de plus le fait qu’elle y aurait été produite. Ces sources ont signifié qu’il s’agit d’«une affaire interne» qui a pourtant causé malheur à Stanis Bujakera, détenu depuis plus de 50 jours pour des actes qu’il n’a vraisemblablement pas commis.
Le Directeur de publication adjoint d’Actualite.cd sera ce vendredi, pour la troisième fois depuis le début de son procès, en audience devant le tribunal.
En faveur du confrère Bujakera, des organisations professionnelles des médias de la RD-Congo ont initié, le jeudi 2 novembre 2023, une motion de soutien par laquelle elles «exigent solennellement sa libération sans condition» et «l’abandon des poursuites après 56 pénibles jours de privation injuste de sa précieuse liberté». Elles ont aligné une kyrielle d’arguments, à la lumière des dispositions légales et des principes de la démocratie, pour soutenir leurs exigences. Elles ont notamment signifié que «l’Etat RD-congolais, à travers le ministère de l’Intérieur, a bel et bien exercé son droit de réponse -conformément à la Loi sur la presse. Cette loi n’autorise la saisine des instances judiciaires qu’en cas de refus de publier le droit de rectification en faveur de la personne lésée». Elles ont en plus relevé que «Stanis Bujakeran’est ni l’auteur ni le signataire de l’article de Jeune Afrique incriminé par le gouvernement. La loi sur la presse dispose que lorsqu’un article n’est pas signé, c’est le directeur de publication qui endosse la responsabilité. Il faut -donc- respecter la présomption d’innocence de Stanis Bujakera».
Les confrères et consœurs du correspondant de Jeune Afrique à Kinshasa se sont en plus montrés formels en soutenant que «les charges retenues contre notre confrère sont fantaisistes; la protection des sources est un des piliers du journalisme; Stanis Bujakera n’est pas un faussaire comme le soutient avec légèreté le ministère public».
Ils ont par ailleurs rappelé «l’engagement» de Félix Tshisekedi de «ne plus tolérer les arrestations arbitraires des journalistes», non sans considérer que «l’arrestation arbitraire de Stanis Bujakera terni l’image de la RD-Congo» et «risque d’annihiler les progrès enregistrés en matière de liberté de presse sous le régime Tshisekedi».