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Le logopède Corneille Ekolele: «Je déplore le fait que les enfants nés avec un handicap soient taxés de sorciers»

En RD-Congo, comme dans la plupart des pays africains, des enfants sont pris pour des sorciers du fait d’être venus au monde avec des maladies considérées comme une malédiction. Pourtant, plusieurs de ces pathologies sont efficacement prises en charge par des spécialistes. Parmi celles-ci figurent les troubles du langage. Au cours d’un entretien accordé à AfricaNews, Corneille Ekolele, logopède, thérapeute du langage, s’est penché sur des affections telles que les troubles du langage, caractérisés notamment par le bégaiement, l’aphasie, la dysphonie ainsi que d’autres infirmités comme la surdité, l’autisme, etc. Ce spécialiste a déploré la stigmatisation et la marginalisation par la société des retardés mentaux, des autistes, des sourds-muets, des épileptiques… D’où son appel pressant au soutien des autorités compétentes du pays pour l’implantation de son centre de logopédie ainsi que son équipement aux standards modernes, gage de sécurité nécessaire en vue d’une meilleure prise en charge des enfants en difficultés. Entretien.
D’emblée, nous aimerions connaître ce que représente un logopède?
Le logopède est un professionnel paramédical ayant pour mission d’apprendre à parler aux gens qui n’ont pas l’usage de la parole, ceux qui s’expriment moins bien, difficilement ou qui prononcent mal les mots. En premier lieu, il lui revient de sensibiliser la population sur les troubles du langage, d’expliquer aux gens ce qu’est la communication, dépister les troubles du langage -identifier ceux qui ont des difficultés de langage-, préparer un plan de rééducation c’est-à-dire user des techniques qui vont permettre au logopède d’introduire le son manquant dans le langage du patient, par exemple dans les syllabes, les phrases, même dans les discours.

Quels sont les troubles du langage pris en charge par un logopède?

En termes de champ d’application, en logopédie, nous soignons beaucoup de troubles de langage en commençant par le retard des paroles. Premier cas: l’enfant, comparé à ceux de son âge, n’arrive pas à prononcer convenablement les sons de la langue dont il fait usage au quotidien.
Il a un retard de langage et de parole. Deuxième cas: l’enfant a la connaissance de quelques -ou beaucoup de- mots, mais n’arrive pas à former des phrases, à raconter une histoire ou faire un discours. Troisième cas: le bégaiement. La personne a un langage entrecoupé. Soit elle se bloque et ne parvient pas à s’exprimer, soit elle répète plusieurs fois un même mot, son ou syllabe. Quatrième cas: l’aphasie. Une personne qui parlait normalement, perd l’usage de la langue ou parle mal suite à un accident vasculaire cérébral -AVC. Cinquième cas: la dysphonie ou la perturbation de la voix, soit l’aphonie -entendez: perte totale de la voix. Soit elle apparait à un certain moment puis disparait à un autre. Pour ce cas, il y a des techniques appropriées pour redonner la voix à ces personnes.

Les sourds-muets et les retardés mentaux sont-ils aussi concernés?

Absolument. La surdité représente du reste le sixième cas. Cela concerne les sourds de naissance et les sourds-muets. Ceux-ci n’ont jamais entendu de leur vie et n’arrivent pas à parler normalement. Pourtant, si on leur apprend à parler, ils auront cette capacité de communiquer comme le commun des mortels. J’ai été témoin de cette grande expérience après mes études de logopédie à l’Université catholique de Louvain en Belgique grâce au plan Mobutu à l’époque. J’ai travaillé pendant 21 ans à l’école des sourds de la mission Beno à Ndua Ndinga, dans l’ex-province du Bandundu. Ayant bénéficié d’un encadrement adéquat, les sourds de cet établissement ont su parler normalement.
Septième cas: les retardés mentaux, des personnes ayant un déficit intellectuel, un quotient intellectuel en-dessous de la moyenne. Huitième cas: Les autistes, des enfants qui entendent très bien, dont la majorité est intelligente.
Cependant, ils n’arrivent pas à parler. Ces enfants sont toujours isolés dans un coin, n’ont pas de relation avec leur famille ni leur entourage, et n’ont pas d’affection. Ils ont des mouvements stéréotypés. Par exemple, ils ne font que sautiller, crier, se cogner contre le mur à longueur des journées, possèdent un objet préférentiel avec lequel ils s’amusent durant toute leur vie. Un logopède s’occupe également des personnes avec handicap moteur comme les infirmes moteurs cérébraux -accident au niveau de la motricité qui se répercute au niveau la circulation du langage-; la dyscalculie qui concerne les personnes ayant fréquenté normalement l’école mais n’arrivent pas à calculer; la dyslexie, l’incapacité à lire non pas parce qu’on n’a pas été à l’école; la dysorthographie qui concerne des personnes intelligentes qui n’arrivent pas à lire.
Comment s’opèrent les dépistages des troubles du langage chez les enfants?
Dans les pays développés, les dépistages des troubles du langage sont effectués au sein des écoles maternelles car ces enfants sont prêts à intégrer le niveau primaire en étant capable de lire, d’écrire, de calculer correctement. Dans les maternités, les dépistages s’effectuent auprès des enfants par le test d’audiométrie deux ou trois jours après la naissance. Les nouveau-nés qui ont le problème d’audition ou que l’on soupçonne d’en avoir sont automatiquement pris en charge. Trois mois après leur sortie de l’hôpital, le logopède doit faire le tour de ces patients en vue d’examiner l’état de leur situation.
Le spécialiste recommande aux parents de se rendre auprès d’une équipe spécialisée pluridisciplinaire qui suivra l’enfant selon les difficultés qu’il rencontre. Elle est composée de pédiatre, médecin otorhinolaryngologiste -ORL- logopède, kinésithérapeute, assistant social, ergothérapeute, psychomotricien. Comme dans notre pays ce genre de procédé n’est pas d’application à une large échelle, les parents sont tenus de recourir en premier lieu au médecin pédiatre. Si la présence de ces troubles est avérée chez leurs enfants, le pédiatre saura les orienter auprès d’un pédopsychiatre, puis vers le logopède.

En tant que logopède, que faites-vous pour atteindre la population?

En RD-Congo, le nombre de logopèdes n’excède pas les dix doigts des deux mains. Il y en avait que sept, et l’un d’eux est décédé récemment. Quant à la sensibilisation, il nous semble difficile d’assurer notre propagande au regard de notre nombre limité. Les pédiatres sont mieux placés pour nous envoyer les parents ayant des enfants qui souffrent de ce genre de troubles. Nous animons et participons à des conférences, séminaires… Nous avions organisé le 1er congrès sur la surdité au RD-Congo en collaboration avec l’organisme belge «Handicap coopération». Les malades qui fréquentent notre centre sont orientés par des médecins, des étudiants que nous formons au niveau de l’Université de Kinshasa en 1ère licence avec le cours de l’Initiation à la logopédie et orthophonie et de l’Institut supérieur des techniques médicales -l’ISTM- en 3ème graduat Kinésithérapie.
Dans les jours qui suivent, nous comptons effectuer la ronde des entreprises pour mieux informer le personnel médical sur ces problèmes. Ce qui est déplorable est la marginalisation et la stigmatisation des enfants nés avec handicap qui sont qualifiés de sorciers, surtout les retardés profonds, autistes, sourds. Et pourtant, des structures spécialisées dispensent des traitements appropriés à l’instar du village Bondeko, du centre pour handicapés à Livulu, de l’école des sourds à Kimbangu, de l’école protestante des sourds à Matonge. Ces enfants, particulièrement les autistes ont besoin d’être scolarisés. Ils sauront s’intégrer dans le groupe, imiteront les autres et leur langage sera très avancé. Malheureusement, ils sont écartés de l’école à cause de leur infirmité.

Dans le cadre de votre travail, vous-êtes buté à quel genre de problèmes?

Nous occupons un lieu exigu, à peine 5 mètres carrés pour accueillir les patients. Nous avions un terrain près de l’aéroport de N’Djili qui a été englouti dans un ravin. Nous avons un projet de construction des salles de logopédie pour l’apprentissage du langage, deux salles de psychomotricité et kinésithérapie, une école maternelle, primaire et secondaire pour les enfants qui n’ont pas l’usage de la parole. Nous aimerions suppléer la carence des structures qui les acceptent de manière à leur apprendre des métiers dès la base.
Ce projet comporte également l’érection d’une école supérieure de logopédie dédiée à la formation du personnel. Raison pour laquelle nous lançons un vibrant appel aux autorités du pays afin de nous accorder un espace pour réaliser notre projet. Nous profitons de cette opportunité pour interpeller la femme, qui porte la vie en elle, de bien prendre soin des enfants. Elle ne doit pas oublier les devoirs qu’elle a envers ces derniers. Car c’est auprès de la mère que l’enfant apprend le langage et bénéficie de l’affection.
Propos recueillis par Harmony FINUNU et Mymye MANDA

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