L’affaire 200 millions de la Gécamines a fait la Une des journaux et suscité débats dans les cabarets et autres milieux à travers la RD-Congo, pendant un peu plus de deux mois. Malgré tous ces bruits, Albert Yuma, PCA de la Gécamines, a gardé sa langue dans la poche avant finalement de se prononcer le 29 février 2020 à la faveur de la traditionnelle cérémonie d’échanges des vœux entre membres de la Fédération des entreprises du Congo -FEC. Yuma a surtout fait une autopsie profonde de l’économie RD-congolaise, avant de lancer un triple appel au gouvernement. Le président national de la FEC est apparu préoccupé au plus haut point, car, a-t-il laissé entendre, les effets de la situation économique morose du pays sont négativement ressentis au niveau des entreprises membres de la FEC.
«Selon les dernières données statistiques publiées par la Banque Centrale du Congo, l’activité économique en RD-Congo a fléchi par rapport à l’année 2018. Ainsi, le taux de croissance économique a-t-il atteint 4,6% contre 5,8% réalisé en 2018. Ce repli de la production nationale est largement attribué au ralentissement des activités dans l’industrie minière induit par les tendances baissières des cours mondiaux des matières premières exportées par notre pays”, a établi le patron des patrons qui a une recette pour «sortir de cette dépendance aux exportations de matière première, qui nous expose aux chocs extérieurs». Sa potion consiste à la diversification de la base productive, par le développement du potentiel regorgé par le pays dans différents secteurs de l’activité économique, notamment l’agriculture et l’énergie.
La réalisation de cette recette, de l’avis de Yuma, impose de «passer de la parole aux actes», comme le veut bien le Président de la République Félix-Antoine Tshisekdi.
Sur un ton désolant, le n°1 de la FEC, se référant au dernier Rapport sur le développement humain de 2019 publié par le PNUD, a constaté avec regret que «sans grande surprise nous continuons à stagner, voire à régresser, dans le peloton de queue des pays à développement humain les plus faibles». Dans ce classement, la RD-Congo, qui a perdu 3 places par rapport à 2018, pointe à la 179ème position avec un score de l’Indice de développement humain 6IDH- de 0,459.
Bâtir un Etat cohérent
À l’attention du Gouvernement, dont le Chef s’est fait représenter à la cérémonie d’échange de vœux, Yuma a lancé un triple appel qui s’apparente aux besoins des opérateurs économiques en RD-Congo.
Le premier appel fait allusion au besoin de bâtir un État cohérent, consistant, selon Yuma, à «s’abstenir de céder aux pressions du moment, ou d’un groupe». Il est d’avis que la noblesse d’un tel État cohérent est de «se transcender au-delà des intérêts catégoriels, au-delà même des attentes de nos concitoyens quand celles-ci ne sont pas soutenables».
«Un État cohérent, c’est aussi un Etat qui l’est sur toute l’étendue et la diversité de son territoire, surtout quand celui-ci est à l’échelle de la RDC. Nous observons trop de différences, trop de difficultés pour faire vivre cette démocratie locale que nous appelons de nos vœux», a fait constater le n°1 de la FEC, qui suggère «de réintroduire un cadre de concertation et d’action à l’échelle des Gouvernorats de nos anciennes provinces». L’objectif de ce cadre est de faire émerger des problématiques communes et de proposer un traitement commun et adapté à l’échelle des enjeux territoriaux.
Favoriser l’émergence d’une classe d’entrepreneurs nationaux
Le deuxième appel de Yuma se rapporte au besoin de dynamiser l’économie nationale. «Nos entreprises ont juste besoin qu’on les libère en les protégeant des contraintes qui pèsent sur elles et cette contrainte s’appelle l’Etat défaillant. Il est défaillant parce qu’il se préoccupe plus de ponctionner l’existant à travers une série de mécanismes coercitifs dévoyés, plutôt que de mettre en place des outils favorisant l’initiative privée nationale», a analysé le président de la FEC, qui appelle de tous vœux la mise en place d’un système protecteur et incitatif par une Administration fiscale qui ne soit pas au service d’elle-même.
Yuma, qui veut que le système fiscal RD-congolais puisse être redistributif, soutient la proposition du Chef de l’État visant à engager des réflexions en vue de la création d’une Autorité nationale des revenus, une forme de Guichet unique permettant le prélèvement d’impôts et taxes de toutes les régies financières.
Dynamiser l’activité en RD-Congo, c’est aussi favoriser l’émergence d’une classe d’entrepreneurs investisseurs nationaux. Tel est le troisième besoin -appel- exprimé par le PCA de la Gécamines. «Notre économie est largement extravertie, dominée par les exportations de matières premières gérées majoritairement par des entreprises étrangères, et les importations payées en dollars rendues entre autres compétitives par le renchérissement de la production locale des biens», a-t-il scruté. Et de révéler: «Aujourd’hui, l’État ne touche pas ce qu’il devrait de l’exploitation de son sous-sol, alors même que la production a presque triplé pour le cuivre et décuplé pour le cobalt. En outre, ces grandes entreprises, possèdent directement ou indirectement des sociétés sous-traitantes qui profitent des flux générés par l’exploitation minière».
Ainsi, il a invité le gouvernement à «remettre la main sur les richesses de notre secteur minier», reconnaissant tout de même que «ce sera long et difficile de reconstruire un outil minier national performant, d’autant que nous ne sommes pas unis pour le faire et que beaucoup d’intérêts concurrents s’affrontent, préférant céder à l’encan ce qui peut encore l’être, plutôt que de rebâtir des capacités minières».
Climat des affaires: un tableau déplorable
Dans un autre chapitre, Albert Yuma est revenu sur la problématique du climat des affaires en RD-Congo. Il a peint un tableau déplorable en déclarant: «malgré certaines initiatives prises par le Gouvernement pour faciliter l’exercice de l’activité économique dans notre pays, l’environnement des affaires reste largement délétère, morose et peu transparent, dominé par la corruption, le harcèlement fiscal, l’insécurité juridique et judiciaire ainsi que par des coûts de facteurs de production si élevés, qu’ils dissuadent toute velléité d’entreprendre».
Yuma a dénoncé «les tracasseries administratives, les contrôles intempestifs et autres convocations permanentes par des organes non attitrés», non sans estimer que «beaucoup de choses sont à faire dans ce domaine». Pour Yuma, qui dit encourager le Chef de l’Etat et le Gouvernement dans toutes leurs initiatives en faveur d’un climat des affaires apaisé, il est plus qu’impérieux pour la RD-Congo de «améliorer le climat des affaires et la protection des investissements dans notre pays». Ce, dans l’optique de faire de l’ex-Zaïre «un pays qui gagne, qui mette en place les conditions de l’investissement, la création emplois et de richesses en libérant et en stimulant le dynamisme du secteur privé, moteur de croissance pour permettre l’épanouissement de sa population et la recherche du bien commun».
Laurent OMBA