Les torchons brûlent entre le Conseil supérieur de la magistrature -CSM- et le Conseil d’Etat. Un bras de fer entre les deux Conseils en contradiction. A l’origine, la candidature de Joseph Mukumadi, seul challenger de Lambert Mende à la gouvernorale au Sankuru, invalidée par la Commission électorale nationale indépendante -CENI- pour double nationalité, invalidation confirmée par la Cour d’appel.
La décision de la CENI a été attaquée par Mukumadi auprès du Conseil d’Etat qui a réhabilité le requérant avant de décider de la suspension de ce scrutin lors de son audience référé-liberté du mardi 9 avril 2019 sous ROR 010. Cette suspension a été décidée jusqu’à «l’exécution de l’arrêt sous REA 002 dans la cause ayant opposé M. Joseph Stéphane Mukumadi à l’Alliance politique CCU et alliés».
En réaction, le CSM a qualifié cet arrêt du Conseil d’Etat d’«inexistant» à la faveur de la réunion de son Bureau, siégeant à la suite de la requête du Président de la République, Félix Tshisekedi, tenue le jeudi 11 avril 2019. La requête du Président, selon un document partagé sur les réseaux sociaux par le député Sam Bokolombe, se rapporte à recueillir l’avis du CSM sur «les noms des magistrats remplissant les critères de mise en retraite et ceux devant être transférés à la Cour de cassation» puis sur «les noms de nouveaux magistrats à recruter».
Voici que le CSM, tel que mentionné dans le compte-rendu de la réunion de son bureau, est allé jusqu’à émettre un avis sur «les arrêts REA 002 et REA 006 rendus par le Conseil d’Etat sur le contentieux de candidats gouverneurs des provinces du Sankuru et du Sud-Ubangi». Il a décidé d’une fin de non-exécution de ces arrêts rendus par le Conseil d’Etat. Autrement, il a accordé à la CENI, qui avait déjà marché sur l’arrêt du Conseil d’Etat en programmant l’élection du gouverneur, d’organiser ce scrutin. Car, explique-t-il dans ce compte rendu, en rendant ces arrêts, «le Conseil d’Etat a violé l’article 27 alinéa 4 de la loi électorale ; il aurait dû se déclarer incompétent car la loi électorale ne lui a pas attribué la compétence de connaître du contentieux de candidature». 48 heures après cette réunion, soit le 13 avril 2019, le Conseil d’Etat est revenu à la charge à travers un communiqué officiel signé par son président Félix Vunduawe Te Pemako. «Aux termes des articles 152 de la Constitution, 2, 6 à 8 et 17 de la loi organique n°08/13 du 5 août 2008, le CSM est un organe de gestion administrative, budgétaire et disciplinaire du pouvoir judiciaire et qu’il n’a reçu ni de la Constitution ni de la loi la mission de se substituer aux cours et tribunaux de la République», précise-t-il dans ce communiqué.
Par conséquent, «ni son assemblée générale ni son bureau ne disposent de pouvoir juridictionnel pour interpréter, critiquer, ou plus grave, déclaré d’inexistants les arrêts rendus par, dans leurs compétences respectives par les Cours et tribunaux de la République». Aussi, «le Conseil d’Etat porte à la connaissance des parties et du public que ses arrêts rendus au nom du peuple congolais sous REA 002 et REA 006 le sont en dernier ressort».
Formel et sans avoir froid aux yeux, le professeur Vunduawe, soutenu par certains spécialistes en Droit, a déclaré que ces arrêts «restent valables et doivent être exécutés promptement au nom du Président de la République».
Une guerre des magistrats s’est déclenchée et risque de faire tâche d’huile. Pour le député Sam Bokolombe, l’on est parti pour une nouvelle saga politico-judiciaire. «De nouvelles empoignades entre juristes s’annoncent», prévient l’élu de Basankusu.
En attendant le dénouement de cette guerre des magistrats, la CENI a reprogrammé l’élection du gouverneur de Sankuru, avec Lambert Mende comme candidat unique, pour ce lundi 15 avril 2019. Et, pour des raisons de «sécurité et des menaces» subies par les membres du secrétariat exécutif provincial, la CENI a décidé de la délocalisation du bureau de vote et de dépouillement pour le scrutin du gouverneur et vice-gouverneur de cette province issue de l’éclatement de Kasaï oriental.
Laurent OMBA