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En RDC, une proposition de Loi raciste fait des remous et rappelle le poison de l’Ivoirité

La proposition de loi dite « Tshiani » prévoit que les candidats aux plus hautes fonctions de l’Etat soient de père et de mère congolais. Un projet qui inquiète à huit mois de la présidentielle.

Des puissants dirigeants de l’Eglise catholique congolaise à la quasi-totalité des partis d’opposition, en passant par plusieurs centaines de manifestants à Goma, Bunia, Bukavu…, la loi dite « Tshiani » ne cesse de provoquer des remous en République démocratique du Congo (RDC). Proposée pour la première fois en juillet 2021 par Noël K. Tshiani Muadiamvita, candidat à la magistrature suprême de 2018, elle ressurgit aujourd’hui, à huit mois de la prochaine présidentielle.

Cette loi, inscrite à l’ordre du jour de cette session de l’Assemblée nationale par le député de la majorité Cerveau-Pitshou Nsingi Pululu, prévoit que les plus hautes fonctions publiques ne soient accessibles qu’aux Congolais nés de père et de mère congolais. « Nous voulons verrouiller environ 250 postes que nous considérons comme relevant de la souveraineté de notre pays », explique Noël K. Tshiani Muadiamvita. Parmi eux, celui de premier ministre, de président du Sénat, de l’Assemblée nationale ou de président de la République.


L’économiste de 65 ans et ancien fonctionnaire de la Banque mondiale, qui a fait une importante partie de sa carrière à l’étranger, aimerait même aller au-delà du texte tel qu’il est actuellement présenté et exiger des époux des aspirants aux postes verrouillés d’être également parents congolais. « Si un président a deux parents congolais mais une femme rwandaise, il y a un conflit d’intérêts », estime-t-il, alors qu’une crise ouverte oppose Kinshasa et Kigali depuis que le M23, accusé par la RDC d’être soutenu par le Rwanda, a relancé une offensive dans l’est du pays.

L’obsession « d’infiltrations de l’étranger »

L’initiateur de ce projet qualifié de raciste semble obsédé par la crainte « d’infiltrations de l’étranger » qui selon lui ont alimenté les guerres dans l’est de la RDC. « Ces vingt dernières années, on a eu des chefs d’Etat aux origines et à la loyauté douteuses », poursuit M. Tshiani, allusion à peine voilée à l’ancien président Joseph Kabila accusé par ses détracteurs de ne pas être Congolais.

Mais pour les proches de Moïse Katumbi, c’est contre leur leader qu’est pensée cette proposition de loi. Né d’un père originaire de Rhodes, l’homme d’affaire et ancien gouverneur du Katanga est considéré comme l’un des rivaux les plus sérieux du président Tshisekedi pour la présidentielle prévue en décembre 2023. « Jamais ! Il ne pourra être candidat. Son père est grec et d’autres membres de sa famille sont des étrangers, il ne peut pas occuper la magistrature suprême en RDC », estime M. Tshiani, qui se défend d’œuvrer pour écarter les rivaux du président congolais.

Originaire du Kasaï, comme Félix Tshisekedi, l’économiste dément « rouler » pour le chef de l’Etat. Il affirme n’avoir aucun contact avec lui. « C’est le président de mon pays. Si j’ai besoin de lui, je vais le contacter. Jusque-là, je n’ai pas manifesté ce besoin », précise-t-il, ajoutant qu’il ne compte pas se rallier à l’Union de la nation, la coalition présidentielle.

Si en off, les proches de Moïse Katumbi s’inquiètent depuis plusieurs mois que cette loi puisse être adoptée, les élus de son parti, Ensemble pour la République, veulent désormais se montrer sereins. « Ce texte ne peut pas passer. Il faut prouver qu’il est constitutionnel. Et ce n’est pas une mince affaire », confie l’un d’eux.

« Cela rappelle le poison de l’ivoirité »
Rien n’indique en effet que cette proposition de loi sera adoptée par l’Assemblée nationale. Mais son inscription à l’ordre du jour de la session parlementaire ouverte en mars a suffi à inquiéter. Une délégation des diplomates européens accrédités à Kinshasa a rencontré le président de l’Assemblée nationale, Christophe Mboso. « Nous lui avons exprimé notre inquiétude sur la réinscription à l’ordre du jour de cette proposition de loi discriminatoire et le risque qu’elle fasse déraper les prochaines élections et entraîne pour le pays un risque de guerre civile. Cela rappelle le poison de l’ivoirité il y a quelques années en Côte d’Ivoire », confie sous le sceau de l’anonymat un ambassadeur.

La puissante Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) et Fridolin Ambongo, le cardinal de Kinshasa, se sont eux aussi aussi élevés contre ce projet, dénonçant un texte à même de diviser la société. Seuls Félix Tshisekedi et son entourage sont pour l’instant silencieux face à la grogne qui monte. Il y a un an, le chef de l’Etat s’était tout de même exprimé sur la question.

« Est-ce qu’être Congolais de père et de mère suffit à garantir une bonne gestion des autres congolais de père et de mère ? Est-ce que cela suffit pour servir son pays de manière loyale et fidèle ? Je ne crois pas. L’histoire récente de notre pays nous démontre qu’il y a eu des Congolais de père et de mère qui ont participé à la ruine de ce pays », expliquait-il dans une interview à Voice of America, ajoutant à propos de M. Tshiani : « C’est un Congolais qui a le droit de penser ce qui est bon pour son pays, selon lui. C’est son droit. On ne va pas ici faire le procès de M. Tshiani parce que nous voulons qu’il y ait la démocratie. »

En attendant que sa proposition de loi ne soit soumise au vote, M. Tshiani réfléchit à son avenir politique. « Je suis en train de réfléchir très sérieusement à ma candidature à la présidentielle. Mais je ne peux pas me prononcer avant l’examen de la loi », confie-t-il. En 2018, il s’était présenté en indépendant avec pour slogan « 100 % Congolais et loyal à la RDC ». Il avait alors recueilli 0,13 % des suffrages.

Patient Ligodi/Le Monde

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