Les discours de haine et d’exclusion datent de longtemps en RDC, particulièrement dans la partie orientale du pays. Tout commence avec le découpage colonial, qui a été réalisé de manière arbitraire comme partout en Afrique. Jusque-là se fondant sur une carte vague et imprécise, la frontière entre la colonie du Congo belge et le protectorat allemand du Ruanda-Urundi va connaître une précision. D’abord, avec l’arrangement de Bruxelles du 14 mai 1910 signé, pour la Belgique, par J. van den Heuvel, A. van Maldeghem et le chevalier van der Elst et, pour l’Allemagne, par Ebermaier, von Dankelman et Kurt Freiherr von Lersnera. Ensuite, cet arrangement sera confirmé par la Convention de Bruxelles du 11 août 1910, approuvée par la loi du 4 juin 1911.
A l’issue de ce découpage colonial une partie de l’ancien royaume du Rwanda – le territoire de Nyiragongo et une grande partie du territoire de Rutshuru – fut intégrée à la colonie du Congo belge. Les ressortissants de cette partie du Congo, Tutsi et Hutu d’expression Kinyarwanda, sont donc devenus citoyens congolais comme les autres. Bien qu’ils n’aient jamais revendiqué à aucun moment la volonté de rattachement à la mère patrie historique, ils sont continuellement victimes du déni de leur nationalité tout au long de l’histoire de la RDC postindépendance, contre tout bon sens. C’est comme si les Français déniaient aux Alsaciens leur nationalité française au motif qu’ils sont ethniquement Allemands!
Avant même le déclenchement de la guerre actuelle, cette haine était déjà vivace, pourrissant lentement mais surement, la conscience collective. Le 10 décembre 2021, le lieutenant-colonel Joseph Kaminzobe, fut extirpé d’un convoi militaire dans le village de Lueba, dans le territoire de Fizi, par une foule déchainée. Devant ses compagnons d’armes impuissants, l’officier fut lynché à mort, et son corps brûlé avant d’être mangé par des jeunes survoltés. Le tout devant les caméras des téléphones Android qui immortalisent la scène macabre. La vidéo sera partagée aux quatre coins du pays par la magie des réseaux sociaux, mais ne suscitera guère une émotion particulière dans le pays. Le seul tort de l’officier : être Tutsi-Banyamulenge, communauté d’éleveurs installés dans les hauts et moyens plateaux de la province du Sud Kivu.
Dangereux amalgame
Il faut dire que depuis longtemps, persécuter les membres de la minorité Tutsi est salué comme un acte de bravoure et patriotique. Depuis le déclenchement de la deuxième guerre du Congo, celle d’août 1998, la haine du Tutsi a été davantage légitimée dans le pays. Le chef de l’Etat de l’époque, Laurent-Désiré Kabila, avait appelé les Congolais à prendre les armes de toutes sortes pour combattre l’ennemi pour ne pas, avait-il ajouté, «devenir des esclaves de ces petits Tutsi», amalgamant dangereusement ainsi tous les membres de la communauté Tutsi aux rebelles. Son directeur de cabinet, Abdoulaye Yerodia, avait été plus explicite, qualifiant les Tutsi de «microbes» et de «vermine», qu’il appela alors à «éradiquer avec méthode, détermination et résolution». Résultats : de Kinshasa à Kisangani en passant par Mbuji-Mayi, de nombreux Tutsi furent assassinés dans les rues, bien souvent brûlés vifs, alors qu’à la base militaire de Kamina dans le Katanga, des élèves officiers Tutsi-Banyamulenge furent entassés dans un container auquel leurs bourreaux mirent le feu à l’aide de l’essence. La justice belge émit alors un mandat d’arrêt international contre M. Yerodia pour incitation au génocide.
Malgré cela, ce discours n’a cessé de fleurir. Alors que l’on croyait que la signature de l’accord de paix entre belligérants à Sun City (Afrique du Sud) en avril 2003, et la mise en place d’une transition avec un président, Joseph Kabila, et quatre vice-présidents, dont un Tutsi-Banyamulenge, Azarias Ruberwa, représentant l’ancienne rébellion du RCD – Rassemblement congolais pour la démocratie – allait mettre fin à ce discours, il n’en fut rien. Depuis Paris où il s’était installé, Honoré Ngbanda, ancien ministre de la Défense du maréchal Mobutu, reprit la diffusion de la haine, et la systématisa.
Devenu une véritable idéologie, ce discours s’articule autour des points ci-après : il n’existe pas de Tutsi congolais (ni de Hutu d’ailleurs), et ceux qui ainsi se proclament, sont rwandais; le Congo est un pays occupé par le Rwanda et les autorités congolaises sont juste des commis au service du gouvernement rwandais; toutes les recettes financières du Congo sont régulièrement acheminées vers le Rwanda; le Rwanda serait en train d’exterminer toute la population du Congo afin de la remplacer par des Rwandais et créer un empire Hima-Tutsi avec d’autres pays de la région (Ouganda et Burundi notamment).
Aucune condamnation
Aussi grandiloquent qu’il soit, ce discours, méthodiquement diffusé à travers les réseaux sociaux, a fini par toucher une part non négligeable du peuple congolais, d’abord au sein de la diaspora installée dans les pays d’Europe, ensuite au pays même.
Avec la reprise des hostilités militaires par le M23 soutenu par le Rwanda, la haine s’est donc facilement généralisée. L’on a ainsi vu des foules déferler dans les rues de Kinshasa, machettes à la main, cherchant des Tutsi à massacrer, pendant que Jules Mbuyamba, alias Jules Munyere, un militant archiconnu de l’Union pour la démocratie et le progrès social – UDPS, le parti au pouvoir – donnait, dans des discours diffusés sur les réseaux sociaux, les adresses des Tutsi, même des personnalités du pays, et en décrivant les phénotypes qui permettent de les reconnaître, suivant les critères définis naguère par le médecin belge Sasserath : grande taille, nez fin et droit, front haut … Il n’y a eu aucune condamnation pour ces faits.
Pas plus qu’à Goma où, magasins et églises tenues par des Tutsi ont été systématiquement détruits, alors que dans le territoire voisin de Masisi, des vaches sont volées ou carrément tuées par des miliciens hutu Nyatura alliés aux FDLR rwandais.
Il faut le dire de façon ferme : tous les morts issus du conflit sont regrettables, tous les crimes de guerre et contre l’humanité commis par les rebelles et toutes les autres parties au conflit sont hautement condamnables. Mais ils ne doivent pas justifier les assassinats des civils et des destructions des biens des gens qui n’ont rien à voir avec la guerre, sur base de leur appartenance ethnique, et cela dans les lieux qui ne sont pas le théâtre de la guerre! De tels cas, il y’en a eu beaucoup, et le plus emblématique restera celui d’un jeune bouvier Banyamulenge nommé Fidèle Ntayoberwa, assassiné début juin 2022 à Kalima, dans la province du Maniema. Son corps fut brûlé et mangé, lui aussi devant les caméras des téléphones Android. Un reportage des confrères du journal français Libération descendus sur les lieux avait ému le monde, mais pas grand monde sur place en RDC.
Normal : depuis 2017, c’est une sanglante guerre de déracinement des Banyamulenge qui est menée par une coalition de plusieurs milices Mayi-Mayi, dont Yakutumba, Biloze-Bishambuke, Itongwa, Makanaki etc. En six ans, selon un rapport de l’ONG Agence nationale des écolos, ce sont des milliers de personnes qui ont été massacrées, des centaines de villages incendiés, et un cheptel bovin – le deuxième du pays – de plus de 500.000 têtes razzié ou tué. Tout cela dans l’indifférence générale.
Finalement choqué, l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki, a élevé la voix. Invité par l’association des étudiants de l’Université d’Afrique du Sud de Pretoria le jeudi 24 août dernier, celui qui a une connaissance large de la question pour avoir accueilli et organisé le Dialogue interconagolais de Sun City de 2002 et 2003 qui avait permis de mettre fin à la deuxième guerre du Congo, a mis le pied dans le plat.
La corde sensible de l’ethnisme
«Une partie du problème du Congo est que depuis l’époque de Mobutu, on refuse de reconnaître que les Banyamulenge sont congolais. Ils parlent peut-être le Kinyarwanda, mais ils sont congolais et c’est la responsabilité de tout gouvernement à Kinshasa de prendre soin de cette partie de la population congolaise comme n’importe quelle autre», a-t-il expliqué aux étudiants. Avant de renchérir : «Mais vous vous souvenez de ce qui s’est passé pendant les années Mobutu, Mobutu a pris position en disant “ce sont des étrangers”! C’est comme si l’Afrique du Sud disait que les gens parlant Setswana dans le nord-ouest ne sont pas sud-africains, mais botswanais, et qu’ils doivent aller au Botswana!»
Sera-t-il entendu? Rien n’est moins sûr! Depuis 1995, la majorité de Tutsi du Nord Kivu, entre 80.000 et 100.000 personnes, sont condamnés à l’exil au Rwanda, et les portes de leur pays semblent définitivement fermées pour eux depuis 28 ans. Et, à la veille des élections générales prévues pour décembre prochain, nombreux sont ceux qui ont intérêt à tirer sur la corde sensible de l’ethnisme.
La sortie du livre de Charles Onana intitulé ‘‘Holocauste au Congo’’ est venue apporter de l’eau au moulin de tous les extrémistes. En effet, ce livre reprend, en les sublimant, les thèses d’Honoré Ngbanda en présentant les Tutsi congolais comme étant globalement des imposteurs rwandais usurpateurs de la nationalité congolaise, et des auteurs de l’extermination de 10 millions de congolais! Monsieur Onana a été mis en examen en avril 2022 pour provocation à la haine raciale et contestation de crime contre l’humanité en France. Il est poursuivi par Survie, la Ligue des droits de l’Homme (LDH) et la Fédération internationale des droits humains (FIDH) pour des propos contre les Tutsi dans son livre Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise. Quand les archives parlent, paru en 2019.
En conclusion, la révolte légitime face l’agression du pays par le Rwanda et les rebelles du M23 ne doit pas pousser le peuple congolais à emprunter les dangereux chemins de la haine. Le nationalisme congolais ne doit jamais se conjuguer avec la persécution d’une partie du patrimoine humain du pays. Le Congo gagnera toujours en rassemblant tous ses enfants, dans l’unité des cœurs et des esprits, sans exclusion ni discrimination.
Fait à Kinshasa, le 12 septembre 2023
Belhar MBUYI, journaliste, directeur de Finance-cd.com
Thomas GAMAKOLO, Avocat au barreau de Kinshasa/Gombe
Percy TAMBWE, président de Human for Right