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Présidentielle ivoirienne 2010: le livre qui a l’ambition de trancher sur le vainqueur

Ce fut l’élection de tous les enjeux -et de tous les dangers. En octobre 2010, pour le premier tour, et en décembre pour le second, la présidentielle ivoirienne de 2010 donnait le coup d’envoi d’une série de scrutins à travers l’Afrique l’année qui suivait. En plus, deux éléments donnait une ampleur explosive à la réalité ivoirienne. D’abord, la Côte d’Ivoire peinait à sortir d’une longue crise politique et militaire qui a commencé avec la tentative de coup d’état contre le pouvoir du Président Laurent Gbagbo en septembre 2002 et qui s’était muée en rébellion armée. Après plusieurs protocoles de paix et autant de gouvernements de transition, l’Accord de Ouagadougou avait, finalement, permis la mise en place d’un gouvernement dirigé par l’alors chef rebelle Guillaume Kigbafori Soro. Ensuite, pour la première fois, on allait assister à un affrontement loyal et démocratique entre les trois principaux leaders politiques du pays: Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara et Henry Konan Bédié. Aux résultats des courses, deux présidents furent proclamés, le premier, Alassane Ouattara, par la Commission électorale et le certificateur de l’ONU, et le second, Laurent Gbagbo, par le Conseil constitutionnel. Depuis l’arrestation de Gbagbo et l’installation de Ouattara aux commandes du pays, le débat fait toujours rage sur le vrai vainqueur de cette élection. Notre confrère Belhar Mbuyi, directeur du site «grands-lacs.org», a mené une longue enquête et réalisé un impressionnant travail d’analyse afin de trancher sur le gagnant réel de ce scrutin-drame. Il vient donc de publier aux éditions Jets d’Encre -Paris- un livre de 388 pages intitulé: «Qui a -réellement- remporté la présidentielle ivoirienne de 2010? Vérité des urnes et de jure». Dans une interview à bâtons rompus, il nous a donnés les éléments d’éclairage, ci-après.
 
Pourquoi avoir écrit ce livre 8 ans après les faits?
Parce que, à mon sens, la présidentielle ivoirienne de 2010 mérite depuis longtemps un livre de cette nature. Ce scrutin reste un événement historique majeur dans l’histoire de la Côte d’Ivoire, dans la mesure où, pour la première fois, après les dégâts causés à ce pays par la politique de l’ivoirité, et la guerre de 2002 qui avait partitionné le pays en deux, on allait voir enfin les trois grands leaders de la scène politique ivoirienne s’affronter démocratiquement. Ces trois leaders représentaient, non seulement les trois grands partis du pays -le PDCI-RDA, le RDR et le FPI, mais aussi les trois grandes familles ethniques et culturelles de Côte d’Ivoire: les Akans du Centre et Sud pour Bédié, les Nordistes Mandé et Gur pour Ouattara et les Krous de l’Ouest pour Gbagbo. L’Afrique entière était passionnée par cette présidentielle, d’autant plus qu’elle annonçait une série d’autres scrutins qui étaient programmés dans plusieurs pays l’année suivante. Or, cette élection s’est terminée par des graves contestations et, à ce jour, les débats sont toujours passionnés sur le continent pour ce qui est de savoir qui a été le vrai vainqueur de cette présidentielle. J’ai donc décidé de mener une étude sérieuse, neutre et impartiale d’un journaliste africain non-ivoirien afin de trancher cette question, aussi bien sur le plan de la vérité des urnes, c’est-à-dire des votes réellement émis par le peuple ivoirien, que de celui du Droit vrai et pas de contorsions juridiques.
 
Et à quelle conclusion êtes-vous arrivé?
Avant toute chose, je dois avouer que, lorsque j’ai commencé ce travail, j’étais intérieurement d’avis que c’est Laurent Gbagbo qui a été le vainqueur de cette présidentielle, car j’étais affecté par la façon humiliante dont il avait été arrêté, et par l’intervention de l’armée de la France, ancienne puissance coloniale de la Côte d’Ivoire, dans son arrestation. Mais en travaillant scientifiquement et de façon impartiale, je suis arrivé au résultat inverse de mon appréhension de départ, à savoir que c’est Alassane Ouattara qui a été le vainqueur de cette présidentielle, et ce de façon incontestable. Alors, j’ai réalisé la gravité de l’injustice qui est faite au président ivoirien actuel d’être considéré par une partie de l’opinion africaine comme un usurpateur imposé par les puissances étrangères alors qu’il est celui qui a obtenu la légitimité du peuple ivoirien. J’ai décidé de porter cette vérité à l’Afrique et au monde.
 
Qu’est-ce qui vous parvenir à cette conclusion?
J’ai procédé à une rigoureuse analyse des chiffres, en comparant les deux tours du scrutin. J’ai ensuite passé au scanner les arguments des deux camps en présence. En analysant, par exemple, la plainte de Laurent Gbagbo au Conseil constitutionnel, ce dernier accuse son adversaire d’avoir organisé des fraudes dans 7 départements du Nord et du Centre du pays -Bouaké, Korhogo, Ferkessédougou, Katiola, Boundiali, Dabakala et Séguéla. Quiconque a quelque connaissance de la Côte d’Ivoire sait très bien que Ouattara n’avait nul intérêt à frauder dans ces 7 départements où il avait fait son plein de voix au premier tour, il n’avait plus de grandes marges de progression pour le second tour. Ce n’est donc pas là que se jouait le deuxième tour, ce n’est pas là que Ouattara devait remporter la présidentielle. Car, même si on posait l’hypothèse la plus favorable à Laurent Gbagbo, c’est-à-dire qu’on laisse à Alassane Ouattara son score du premier tour dans ces 7 départements, qui n’avait pas été contesté par personne, et qu’on reporte sur Laurent Gbagbo toutes les voix des autres candidats du premier tour, y compris toute majoration éventuelle du taux de participation entre les deux tours, eh bien, Alassane Ouattara serait toujours vainqueur sur le plan national. La prise en compte de toutes les réclamations de Gbagbo et même au-delà n’aurait jamais inversé le résultat final. Donc, Laurent Gbagbo n’avait aucune possibilité de remporter cette élection. D’ailleurs, l’élection s’est jouée dans le report des voix du troisième homme de cette présidentielle, Aimé Henry Konan Bédié, et dans les régions où ce dernier avait obtenu la majorité ou un score significatif. Or, toutes ces régions favorables à l’ancien président ivoirien, étaient sous contrôle de Laurent Gbagbo et de ses services de sécurité, ce sont: Bas-Sassandra, Lacs, N’Zi-Comoé, et Lagunes comprenant Abidjan. Dans toutes ces régions, le report des voix de Konan Bédié s’est largement fait en faveur d’Alassane Ouattara. Donc, la progression du même Ouattara dans les régions qui lui sont favorables ne peut avoir rien de suspect.
Qu’est-ce que votre livre apporte de nouveau dans ce débat de la présidentielle ivoirienne de 2010?
L’originalité de mon livre tient à deux faits. D’abord, le replacement de la crise ivoirienne dans son contexte historique, ce qui permet au lecteur de s’immerger dans l’histoire récente de la Côte d’Ivoire. Il comprend alors que, au lieu d’accuser Voltaire chaque fois que nous Africains tombons par terre, de voir des complots des méchants impérialistes partout, nous devons faire preuve de responsabilité en réfléchissant aux conséquences des actes que nous posons. La crise ivoirienne a été créée par les Ivoiriens eux-mêmes. La politique de l’ivoirité, la discrimination, l’exclusion, la persécution ethnique et religieuse, ne pouvaient qu’engendrer, tôt ou tard, la révolte puis la guerre. Ensuite, le travail de mathématique électorale qui permet de trancher de façon incontestable sur le vainqueur de l’élection est articulé de façon parfaitement cohérente et simple pour permettre au lecteur de comprendre. Il y a, enfin, une analyse particulièrement intéressante sur le volet juridique, qui analyse les actes posés par les uns et les autres à l’aune du Droit ivoirien, aborde la question de la certification des élections par l’ONU ainsi que la jurisprudence onusienne en cette matière.
Mais pourquoi n’avoir pas recompté les voix comme le demandait Laurent Gbagbo? On l’a fait par le passé aux Etats-Unis non?
D’abord, il n’y a jamais eu recomptage des voix aux Etats-Unis lors de la présidentielle entre Al Gore et Georges Walker Bush. La Cour suprême des Etats-Unis avait interdit cette opération. Pour ce qui est de la Côte d’Ivoire, vous faites annuler en totalité 7 départements favorables à votre adversaire et vous sollicitez ensuite le recomptage, c’est pour qu’on recompte quoi? Et puis, tout connaisseur de la Côte d’ivoire sait que, dans la région des Savanes, on pourrait recompter mille fois, réorganiser le scrutin autant de fois, Ouattara ne ferait jamais moins de 85%. C’est sa région d’origine. Pareil pour la région de Denguelé, chez sa mère, et pour le Worodougou. Demander le recomptage m’est apparu comme une distraction destinée à gagner du temps et imposer le fait accompli.
Comment se procurer votre livre en Europe, ici en RD-Congo, et même en Côte d’Ivoire?
En France, il peut être commandé sur le site des éditions «Jets d’Encre», chez «Fnac» et se trouve dans de nombreuses librairies. Ailleurs en Europe, il est disponible chez amazon France, Belgique, Grande Bretagne, Pays-Bas, Allemagne, etc. La Côte d’ivoire est le pays le plus concerné par ce livre. Mon éditeur a pris contact avec la librairie de France d’Abidjan et l’Institut français d’Abidjan qui devraient vendre l’ouvrage sur place. Pour ce qui est de la RD-Congo, il a également pris contact avec l’Institut français de Kinshasa. Dans tous les cas, je mène des démarches pour fournir quelques librairies de Kinshasa dans un bref délai.
Propos recueillis par Tino MABADA

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