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Voici l’intégralité du débat exclusif entre Antony Blinken et Christian Lusakueno

Le face-à-face entre le Secrétaire d’État américain Antony Blinken et le journaliste Christian Lusakueno fait désormais partie des principaux faits d’armes du patron et intervieweur tenace et respecté de la radio Top Congo Fm. Assis en face du puissant homme d’État américain mercredi 10 août, certainement pour mieux le regarder dans les yeux et être sûr que son interlocuteur va mieux l’observer à son tour, le journaliste dont la radio ne cesse de monter en puissance a bien pu arracher cette interview, la seule accordée aux médias de la RDC, et faire parler, de manière très professionnelle, le chef du Département d’État américain.

Le débat entre les deux a tourné essentiellement autour de sept sujets, notamment la Coopération entre les Etats-Unis et la RDC, le soutien du Rwanda au M23, le retrait de la Monusco, les élections de 2023, le business, la lutte contre la corruption et le climat.

AfricaNews a pu décrypter en intégralité cet entretien réalisé dans les locaux de l’ambassade des États-Unis à Kinshasa, là où 13 ans plus tôt, le même Lusakueno avait interviewé la Secrétaire d’État honoraire Hillary Clinton. Lisez!

Monsieur le Secrétaire d’Etat, bonjour, bienvenue en RDC. Merci d’accorder cette interview exclusive à Top Congo FM, première radio d’actualités dans le pays. LRDC à l’opposé de beaucoup de pays africains qui se sont abstenus de condamner la Russie qui a été co-auteur de la résolution condamnant l’agression de l’Ukraine à l’ONU. Un groupe d’experts des Nations Unies qui depuis, par des informations que vous avez dit crédibles, établit la responsabilité du Rwanda. Première question est ce que les Etats-Unis envisagent d’abord de parler de ce rapport aux Nations Unies et d’en tirer toutes les conséquences ensuite?

Deux choses. Premièrement, oui, nous avons connaissance du rapport et je pense que nos propres estimations sont largement en accord avec le rapport et c’est tout à fait effectivement crédible. Et globalement, il faut une chose, il faut qu’il y ait la paix pour les gens qui habitent le Congo de l’Est. C’est la première chose qui est absolument essentielle. Deuxièmement, pour qu’il y ait la paix, il faut évidemment une diplomatie, une négociation. Mais il faut qu’on arrête d’armer les groupes qui ne font pas partie des armées de l’Etat et qui, eux, créent une instabilité, une violence, une insécurité qui affligent le peuple qui habite à l’Est du Congo depuis des années. Je vais, je vais en parler, j’en ai parlé ici, j’en parlerai demain au Rwanda.

Les armées par qui le Congo est quasi sous embargo, il doit tout déclarer. Il est clair que ce sont les voisins. Je repose ma question: Est-ce que vous êtes prêt à mener ce rapport des experts au Conseil de sécurité pour qu’on en arrive à des décisions claires à l’égard de ceux qui les arment?

Dans les jours à venir, je me concentre sur la diplomatie, ce qui veut dire deux choses. Premièrement, un soutien pour les efforts de médiation qui sont tenus par l’Angola, par le Kenya, l’ancien président Kenyatta, mais qui a toujours ce dossier en main. Deuxièmement, nous mêmes, directement avec le gouvernement, ici, en RDC, avec le gouvernement au Rwanda, nous essayons de les aider à trouver une solution diplomatique par la voie de négociation. Mais cette solution doit inclure l’idée qu’on arme plus ces groupes comme M23.

Vous croyez encore à la diplomatie après Luanda? Après l’accord de Nairobi, rien ne bouge sur le terrain. Bunagana est toujours occupé. Si votre visite, on attend beaucoup de vous dans la région n’aboutit à rien, ne faut-il pas craindre le pire?

Vous savez, une visite ne suffit pas. Il faut un suivi continu. C’est ce que nous faisons d’ailleurs avant cette visite. Nous nous sommes engagés dans le soutien des efforts de médiation et des efforts diplomatiques pour mettre fin à l’insécurité, à la violence au Congo. Ça continuera après cette visite. Mais, pour moi, c’est important de pouvoir parler directement avec les chefs d’Etat, avec le président Tshisekedi ici, avec le président Kagame au Rwanda et aussi les voisins. Nous sommes en contact avec eux, avec le Rwanda, avec le Congo Brazzaville en face et d’autres pays concernés, parce que c’est un problème à la fois pour le peuple au delà de l’Est. Mais c’est un problème régional qui doit se résoudre aussi. Nous exerçons notre diplomatie là dessus.

Oui mais Le problème régional, c’est notamment l’exploitation des richesses. C’est notamment l’hégémonie de deux pays, principalement le Rwanda et l’Ouganda. La diplomatie, 25 ans durant, a montré ses limites. Aujourd’hui, qu’est ce qu’il faut faire? Vous êtes prêts notamment à armer les FARDC pour qu’ils soient plus à même de faire face? Je sais qu’en 2012, vous étiez numéro deux du Conseil national de sécurité. On vous a vu notamment d’ailleurs sur de grandes opérations américaines. En 2012, Barack Obama avait appelé Paul Kagame pour que ça a s’arrête et en 2012, l’épopée du M23 s’était arrêtée. Est-ce qu’on peut s’attendre à la même chose, à la même contribution du président Biden, du Secrétaire d’Etat ou des États-Unis pour que cesse l’épisode 2022?

Je ne vais pas mettre en avant notre propre diplomatie, mais pour vous dire deux choses. Premièrement, en ce qui concerne les Forces armées ici en RDC, il y a une réforme qui est en train de se faire, qui est très importante. Cette réforme, je pense, on verra d’autres possibilités en ce qui concerne notre soutien à nos propres relations. Il faut également que tout ce qui est comme contact qui reste avec les FDLR, par exemple, certains éléments des Forces armées, s’arrête aussi. Et je crois que ça, c’est important. Deuxièmement, je vais parler directement du problème du Rwanda avec le président Kagame. Et on verra par la suite ce qui se fait. Mais pour le moment, il y a, je pense, un peu de d’énergie dans cette diplomatie. Nous essayons nous mêmes de mettre notre poids derrière pour avancer la paix.

La diplomatie a fait que l’Adf soit citée comme mouvement terroriste. La République Démocratique du Congo souhaite que ce soit aussi le cas pour le M23. Les Etats-Unis sont prêts à ça?

Vous savez, on a sanctionné dans le passé des leaders du M23. C’est un dossier qu’on regarde continuellement. Il n’y a pas des conclusions définitives, mais on a déjà sanctionné dans le passé des individus, des leaders du M23. On continuera à regarder le dossier.

Parlons Monusco dont le départ précipité est demandé par la population après 25 ans sans résultats. Face à cette rupture de confiance, est-ce que l’agenda de retrait ne doit-il pas être accéléré?

Monusco. Nous sommes le premier donateur. Donc, nous avons nous un intérêt à ce que la Monusco puisse poursuivre sa mission et son mandat avec les ressources nécessaires et avec l’autorité nécessaire pour le faire. Je sais qu’il y a une frustration très importante au niveau du public en ce qui concerne la sécurité, en ce qui concerne les problèmes sur le terrain que l’on n’a pas pu gérer. Je pense qu’il faut être sûr qu’il y a une vraie coordination entre tous les éléments, qu’il y ait les ressources nécessaires, le mandat nécessaire. Et il est évidemment très très difficile de voir des vies perdues à cause de conflits entre Monusco et les citoyens des deux côtés. Faut que ça s’arrête, mais je pense que la Monusco, c’est très important. Mais ça ne suffit pas parce que sans une ouverture diplomatique, sans une vraie négociation pour mettre fin à ce qui se passe et pour rétablir la sécurité, la Monusco seule ne peut le faire. Il faut les deux choses en même temps.

Élections générales pour la République Démocratique du Congo et l’année prochaine en 2023. Mais la Ceni peut ne pas être prête. Vous avez rencontré le Président. Vous avez aussi rencontré Denis Kadima. S’il n’y a pas de scrutin dans les délais, qu’est ce que vous ferez?

Pas hypothétique, mais j’ai évoqué ça avec le Président. J’ai évoqué ça avec le président de la commission électorale aussi. Tous les deux m’ont confirmé que les élections auront lieu à temps et dans des conditions ouvertes, dans des conditions de l’inclusivité. C’est très important évidemment pour la RDC, mais ça dépasse même la RDC. Nous sommes dans un moment de recul démocratique dans pas mal de pays à travers le monde. L’exemple que la RDC peut montrer avec des élections à temps, qui sont vraiment inclusives, ça peut avoir un impact à travers le continent et à travers le monde. C’est ce que nous attendons et je dois vous dire qu’avec les conversations avec le président du pays et de la commission électorale, je pars avec quand même un peu de confiance que ce sera le cas.

Lutte contre la corruption, pas d’entreprise américaine possible en République Démocratique du Congo tant qu’il y a de la corruption. C’est ce que nous disait il y a quelques mois l’ambassadeur Hammer. Au cours de votre visite, vous avez aussi parlé business en RDC. Les entreprises américaines, elles, peuvent venir aujourd’hui. Vous êtes satisfait du travail de la RDC: APLC, IGF, CENAREF?

Je pense qu’il y a une prise de conscience que la corruption c’est un cancer qui attaque la démocratie, qui attaque le peuple congolais et qui attaque aussi la possibilité d’investissements venant de l’extérieur. On a vu des démarches par le gouvernement qui sont positives à cet égard. Je les ai évoquées avec nos collègues. En même temps, il reste du travail à faire, surtout dans la transparence du gouvernement, des contrats, etc. Mais je pense qu’il y a une démarche qui est en train de se faire. Il y a un lien direct entre cette démarche et la possibilité d’investissement. Mais par exemple, dans le secteur des minérais critiques, nous avons maintenant établi un partenariat pour l’exploitation des minérais. Et ce que nous apportons à ce partenariat, c’est la possibilité de l’investissement. Ce que nous demandons, c’est que cette exploitation se fasse avec des valeurs sûres, en tête le respect des travailleurs, le respect de l’environnement, le respect de la transparence. La RDC, je pense, va faire partie de ce partenariat. Je crois que c’est prometteur pour l’avenir.

Donc, il y a moins de corruption, les entreprises américaines peuvent venir investir. RDC Pays solutions. Ça c’est ce que le Congo dit pour son maintien de l’écosystème avec sa forêt. Mais financièrement, il est peu soutenu. Récemment, il a lancé un appel d’offres sur son pétrole qui a fait couler beaucoup d’encre. Est ce que vous êtes d’accord avec cet appel d’offre? Est ce que le Congo peut exploiter son pétrole, comme le font notamment l’Ouganda qui a la même source de pétrole que le Congo? l’Ouganda pourrait pomper le Congo puis le Congo, le pétrole congolais. Vous êtes d’accord? Vous n’êtes pas opposé à cet appel d’offre ou vous accompagner la RDC?

On en a parlé et je vous dirai plusieurs choses importantes. Premièrement, nous, les Etats-Unis, nous avons une responsabilité très importante sur ce dossier du climat pour deux raisons. Premièrement, aujourd’hui, nous sommes hélas le numéro deux au monde après la Chine en ce qui concerne les émissions, donc les grands pollueurs. Mais au niveau historique aussi, nous avons fait pour notre propre développement des choses que nous demandons maintenant aux autres pays de ne pas faire. Donc il est normal que les pays nous disent vous avez fait l’exploitation de vos forêts, vous avez fait une exploitation de vos forêts et nous continuons à le faire. Mais vous nous demandez de ne pas le faire. C’est une remarque tout à fait normale et appropriée. Ce que nous faisons donc, c’est nous soutenons l’adaptation, la résilience de ces pays qui ont besoin d’aide, qui ont besoin de soutien, et c’est ce que nous faisons. Alors, en ce qui concerne le bassin du Congo, oui. Et cette forêt tropicale extraordinaire, comme vous savez, les émissions captées par ce forêts sont plus grandes que toutes les émissions du continent africain. Donc, pour combattre les problèmes climatiques, c’est absolument essentiel de les préserver. Mais on comprend tout à fait qu’il faut aussi maintenir l’écosystème. Il faut des ressources, de la technologie, des techniques. Nous nous sommes mis d’accord hier avec le gouvernement d’établir immédiatement un groupe de travail qui puisse à la fois assurer la protection du forêt et les ressources nécessaires pour la RDC. Il est donc question non seulement de protéger l’écosystème et les forêts, mais aussi de créer l’opportunité économique pour le peuple congolais. Il y a déjà un engagement de la Communauté internationale pour la RDC de plusieurs milliards de dollars dans cette direction, nous nous allons donner suite à ça immédiatement.

En vous remerciant encore une fois de nous avoir accordé cette interview, la seule ici en RDC. Merci pour ça. Je voudrais, comme il y a presque treize ans jour pour jour, c’était ici, dans cette résidence des Etats-Unis, le 19 août 2009, avec votre prédécesseur Hillary Clinton, vous poser la même question : en treize ans de Secrétaire d’Etat en République Démocratique du Congo, vous dites que les relations sont bonnes. Pourquoi autant de temps? Et est-ce qu’il est possible pour la RDC?

Moi je ne peux que vous parler du présent et de l’avenir. Et je peux vous dire que, dans le présent et pour l’avenir, nous avons un partenariat qui s’élargit et qui s’approfondit. On a évoqué une douzaine de sujets avec nos collègues du gouvernement et de la société civile. J’ai vu des jeunes remarquables qui sont dans un concours pour des projets informatiques pour les élections, pour informer le peuple congolais sur les élections. Donc, pour moi, dans le présent, c’est un partenariat qui est important et qui va devenir encore plus important dans les années à venir.

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