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Hommage: Cardoso Muamba, l’incroyable parcours d’un self-made man

Décédé fin juillet 2021 en Afrique du Sud, Cardoso Muamba wa Kena était l’une des personnalités les plus connues de la République démocratique du Congo, tant son nom a été popularisé par le chanteur-icône JB Mpiana et la cantatrice Tshiala Muana dans de nombreuses chansons. Beau garçon, élégant, raffiné et reconnaissable à sa peau claire et ses yeux verts, Cardoso Muamba a suscité la curiosité de ses compatriotes, autant qu’il a inspiré nombreux dans une jeunesse congolaise en perte de repères.

Pourtant, son histoire était atypique et semblait tout droit sorti d’un doux roman de chez Agatha Christie: un enfant né et grandi dans un milieu particulièrement déshérité, sans le moindre diplôme et, surtout, sans le sous, mais parvenu à se frayer son chemin dans la vie, au point de faire de son existence une véritable
success-story.

L’histoire de Cardoso Muamba wa Kena commence lorsqu’un sujet belge,
M. Bizet, géologue de son état, débarque sur la terre du Kasaï en 1958.

Il travaille pour le compte de la Forminière, l’ancêtre de la MIBA actuelle qui, à l’époque, exploitait également des mines de diamant de joaillerie à Tshikapa. Au cours de ses travaux de recherche dans le territoire voisin de Luebo, M. Bizet tombe amoureux d’une jeune femme Lulua -les Baluba Kasaï occidentaux-, nommée Kena. Une année plus tard, à la veille de l’indépendance, la Forminière décide d’abandonner ses activités de Tshikapa et de se replier sur Mbuji-Mayi. M. Bizet s’en va donc, laissant derrière lui la jeune Kena … enceinte. Elle accouchera d’un beau bébé mulâtre, et le nommera Cardoso Muamba.

Peau claire et yeux verts

Le nouveau-né grandira comme tous les autres enfants de ce village de Bakua Ndaye de Luebo, à la différence que lui ne connaissait pas son père et qu’il arborait une peau plus claire et des yeux verts atypiques pour cette région du monde. Son grand-père veut en faire un homme
selon les standards de la tradition. Il l’amène ainsi à la chasse, aux champs et à la pêche. Le jeune homme s’initie à tous ces métiers avec volonté et doigté. C’est donc un enfant comme les autres, bien intégré
parmi les jeunes de son âge, sauf qu’il doit de temps en temps faire l’objet des railleries de ses camarades à cause de sa différence physique.

Mais le petit Cardoso veut étudier, et devenir un monsieur comme il faut, comme on disait à l’époque, c’est-à-dire un cadre bardé de diplômes.

Cependant, les moyens font cruellement défaut car sa famille est très pauvre. On décide alors d’envoyer l’enfant chez un oncle qui habite la ville de Luluabourg, actuelle Kananga. Pour économiser le peu d’argent qu’on lui a remis, le jeune homme décide de faire le voyage de Luebo à
Kananga … à pieds ! Et pour ne pas attirer l’attention des gens, il s’adonne à la marche seulement pendant les nuits, et se repose les journées.

Tentative de suicide

Une fois à Kananga, le jeune Cardoso doit déchanter: sa famille d’adoption traîne -lourdement- le diable par queue. En fait, son oncle en question habite plus précisément à Bena Mukangala, c’est-à-dire dans la banlieue urbano-rurale.

Outre qu’il nage dans une extrême pauvreté extrême, l’oncle est un ivrogne qui boit avec méthode et détermination, au point d’être ivre à chaque heure de la journée. Et la vie dans ce nouveau milieu ne manque pas d’anecdotes. Ainsi, un soir, l’oncle se rend dans le nganda où il s’abreuve habituellement de son «tshitshiampa» -alcool du Kasaï à base de maïs. Sauf qu’il n’a pas le moindre sous sur lui et sollicite de la boisson à crédit. Devant le refus de la vendeuse, il propose de laisser sa montre comme gage.

À son retour à la maison, ivre comme de bien entendu, il oublie qu’il a laissé sa montre chez la vendeuse de tshitshiampa, et accuse Cardoso de l’avoir volée. Devant une aussi grosse accusation, le jeune homme est tellement blessé dans son amour propre qu’il décide, carrément, de se pendre en pleine nuit ! Mais c’est au moment où, le nœud bien noué autour du cou, Cardoso s’apprête à sauter d’une branche de l’arbre que la vendeuse fait irruption dans la parcelle tenant la montre entre ses mains et, à grands renforts de bruits, exige le paiement de sa créance !
C’est ainsi que la tentative de suicide tourna court.

Une poule en guise de capital

Dépité par son expérience de la vie urbaine, le jeune Cardoso décide de rentrer dans son village natal. À l’âge de 17 ans, las, il décide de se lancer dans le commerce. Mais il n’a pas le moindre sou. Il pose le problème à sa grand-mère qui éclate en sanglots devant la pauvreté qui
caractérise la famille. Elle lui offre alors sa seule fortune qui n’est autre qu’une grosse poule, que le jeune homme s’en va vendre dans la cité de Konyi. Il vend sa poule à 10 zaïres, à un moment où les liquidités ne courraient pas la rue à la suite d’une démonétisation de la devise nationale par le gouvernement du Maréchal Mobutu qui avait ruiné de nombreux ménages à travers le pays.

Cardoso Muamba se rend ensuite dans les mines où de braves creuseurs s’attèlent à rechercher le diamant dans des puits profonds. À sa vue, les railleries se déchaînent. Tout le monde se moque de ce jeune homme à la peau claire et aux yeux verts.

Mais Cardoso reste flegmatique -il en a vu d’autres-, et explique tranquillement qu’il veut acheter le diamant. Les éclats de rire
s’amplifient. Finalement, un creuseur finit par lui vendre une toute petite pierre à 10 Z. Heureux, l’apprenti diamantaire court à Konyi le vendre chez un épicier grec à 30 Z. En une seule opération, il a triplé son capital ! Mais il le réinvestit immédiatement en achetant chez l’épicier grec tout ce dont les creuseurs ont besoin dans les mines. Il devient ainsi l’intermédiaire entre les creuseurs et l’épicier. Auprès des premiers, il achète les diamants qu’il revend au second, chez qui il achète les biens de consommation
qu’il va vendre aux creuseurs.

Quelques années plus tard, son commerce a prospéré, et le diamant n’a plus de secret pour Cardoso Muamba. De Konyi à Tshikapa en passant par Luebo, Ndjokopunda et Mbuji-Mayi, l’homme parcourt tous les territoires producteurs de la pierre précieuse. Il gère son argent avec une discipline rigoureuse.

Au début des années 80, il achète sa première maison à Kananga, plus précisément dans le quartier de Kapanda Mbuebue, commune de Katoka, où il installe sa première femme ainsi que sa mère. Ayant davantage prospéré, il achète une autre maison en ville, le quartier huppé de l’ex-Luluabourg. C’est le début de la reconnaissance sociale pour ce cet homme pour qui la vie n’a pas été tendre.

Désormais, il habite aux côtés de tout ce que Kananga compte comme officiels politico-administratifs, militaires et hommes d’affaires de renom.

Palpitante success-story

Mais, ce n’était que le début d’une palpitante success-story, car Muamba allait
multiplier les acquisitions. Au milieu de la décennie 80, il achète sa première maison à Kinshasa, dans la commune de Ngiri-Ngiri. Quelques années plus tard, il achète une grande maison dans le quartier beau linge de Righini, sur les hauteurs de Lemba.

Mais l’ascension, irrésistible, ne s’arrête pas là: il fête son premier million de dollars en compte, s’achète une parcelle à Ma Campagne, le quartier des riches Kinois. Enfin, pour boucler la boucle, il se procure une villa de rêve à Johannesburg, dans la coquette cité de Sandton.

Désormais, il mène grand train, roule dans des luxueuses jeeps Mercedes, Hummer, Lincoln ou Cadillac Escapade, s’habille avec des grandes marques telles que Versace, Gucci, Balenciaga, Hugo Boss ou Piniatelli, et chausse fièrement
des JM Weston en peau de croco griffés à son nom…

Surnommé «le Bill Gates congolais» par ses nombreux admirateurs, Cardoso Muamba a été compté, de son vivant, parmi les hommes les plus connus de la République Démocratique du Congo. Et pour cause: il a été chanté par de nombreuses vedettes de la chanson, dont le chanteur-icône JB Mpiana et la grande cantatrice Tshiala Muana.

Grand mécène de la musique congolaise, il a grandement soutenu et porté à bout de bras de nombreux musiciens congolais. Homme au grand cœur, Cardoso Muamba a apporté son soutien à de nombreuses
personnes dans le besoin.

L’homme n’avait pas oublié pas sa province d’origine. En 2013, il était le plus grand contributeur au Fonds de reconstruction du Kasaï occidental, FOREKOC en sigle, créé par le gouverneur Alex Kande, avec 100.000 dollars américains versés d’un coup. Il était, en outre, très lié au regretté sénateur Emery Kalamba, Roi des Bashilange. Cela est dû au fait que les deux hommes ont partagé la même origine clanique.

En effet, Cardoso Muamba a appartenu au clan de Bakua Ndaye ba Kalamba, le clan des Rois qui avait migré en territoire de Luebo.

Une réussite exemplaire

Si certains le disaient volontiers vantard, il faut relever que c’était un homme en quête de reconnaissance. Il avait besoin de faire voir sa réussite, sans verser dans les travers de l’excès. Cherchant à comprendre les causes du succès digne des contes des mille et une nuits, d’aucuns n’ont pas hésité pas à parler de fétiches ou de magie noire.

À l’analyse, rien ne peut expliquer la prospérité de Cardoso Muamba si ce n’est une détermination à progresser, une soif de vaincre et une discipline de
conduite implacable. À titre d’exemple, sur chaque opération commerciale, Muamba décidait des parts de la marge qui à être réinvesties, à servir de provisions, à être versées aux donations diverses, etc. Et il respectait scrupuleusement la répartition ainsi tracée.

Autre élément qui témoignait de sa discipline de vie, dans sa grande résidence de Ma Campagne où il vivait avec ses quatre épouses, l’ambiance était toujours calme, les enfants vivaient en parfait amour fraternel et ne cultivaient jamais des divisions en fonction de leurs différentes mères.

En définitive, le parcours de Cardoso Muamba a constitué en soi une victoire sur la vie qui doit servir d’exemple aux jeunes de la République Démocratique du Congo. Né dans une extrême pauvreté, ce père de 35 enfants a réussi, à force de travail et de discipline, sans l’aide de quiconque, à se forger une réussite exemplaire.

Belhar MBUYI

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