«Il y a encore du temps pour le ressaisissement. Il est déjà temps que nos hauts magistrats sauvent, non pas leur amour-propre, mais notre système judiciaire et ses nobles objectifs, par l’abandon de ces ‘jurisprudences’ non dignes de ‘faire jurisprudence’. Il vaut mieux comprendre que ‘Errare humanum est, perseverare diabolicum’ (L’erreur est humaine, persévérer dans l’erreur est diabolique) … et ne pas faire de ce salvateur et heureux changement une question personnelle pour tenir à ‘juger par défi’». Ce passage est extrait de l’ouvrage du Professeur Ordinaire Émérite Auguste Mampuya Kanunk’a-Tshiabo, porté sur les fonts baptismaux ce jeudi 20 juillet 2023, au titre évocateur: «Sous la houlette de la Cour constitutionnelle, une ‘jurisprudence’ qui ne peut faire jurisprudence».Dans cet ouvrage, l’auteur, éminent Professeur de droit et ancien juge ad hoc à la cour internationale de justice, se scandalise des dérives jurisprudentielles et d’une série d’arrêts contra legem rendus par la Cour constitutionnelle de la RDC ces dernières années, laquelle Cour, selon l’auteur, aurait cédé à la tentation du «le droit c’est moi», par analogie au célèbre «L’État c’est moi» de Louis XIV, ce roi absolu de droit divin, qui pouvait se dire ou se sentir, par la volonté de Dieu, au-dessus de la loi. Le juge constitutionnel, cependant, prévient le savant Mampuya, serviteur de la loi, n’est pas au-dessus de la loi.
A travers de nombreux exemples de ces 5 dernières années, l’auteur démontre que la Cour constitutionnelle, au nom d’un «pouvoir régulateur» auto-proclamé et d’une conception mystico-mythique des droits de l’homme, commet et assume des violations de la Constitution, en plus de s’attribuer des compétences non prévues par la Constitution en méconnaissance des limites de sa compétence ratione personae et ratione materiae.
Avant de se pencher sur une analyse juridique critique et les dangers de ce qu’il qualifie des jurisprudences contra legem, l’auteur, s’inquiétant du sort de sa discipline – le droit –, appelle les juristes praticiens et doctrinaires à la résistance, dans un cri de cœur qu’on peut lire sur les pages 5, 7 et 25 :
«En ce qui me concerne, j’avoue n’avoir pas un seul instant hésité, quand il le fallait, à parler de dérives, révolté par ce spectacle qui pousse les gens à se demander à quoi sert le droit, à quoi servent les facultés de droit. On dirait que ça ne fait rien aux juristes que leur confrérie soit devenue la risée de tout le monde, de vieilles mamans écœurées par le droit et qui crient haut et fort qu’en droit on apprend le mensonge aux enfants, on leur apprend à mentir, et autres amabilités de même genre, ni que le juriste soit le bouc-émissaire responsable de tous les maux dont souffrent un pays et un peuple jetés dans la misère par l’égoïsme glouton de ses dirigeants? Dès le tristement célèbre «arrêt Kapuku», … j’ai réagi contre cette aberration juridique proférée dans cet arrêt, craignant qu’on n’en fît une ‘jurisprudence’, et que par ces requêtes, les politiciens, incapables de régler leurs conflits et querelles politiques, introduisent la politique dans le prétoire et cherchent à entraîner les magistrats sous des influences politiques, tandis que la classe politique se tiraille autour du contrôle de la Cour constitutionnelle que le pouvoir ne veut lâcher. Mes craintes s’avèreront justifiées… Non, s’il n’y a donc, sans aucun doute, de la part des politiciens la volonté et une féroce propension pour la politiser, notre Cour constitutionnelle n’est pas une instance politique. Voilà pourquoi, magistrats de la haute juridiction de l’État, comme ceux des autres instances relevant du pouvoir judiciaire indépendant, mais aussi juristes dignes de ce nom, nous avons tous le DROIT et le DEVOIR de résister à ces manœuvres sordides des politiciens, volonté délibérée des politiciens, de dénoncer notre haute magistrature en l’avilissant et en la dénigrant. Juristes du pays, unissons-nous, ayons le courage de relever le défi face aux politiciens et résistons à leurs manœuvres d’inféoder les magistrats, la justice et le droit».
Sur le fond, l’ouvrage revient notamment sur l’arrêt R. Const. 1879 de la Cour constitutionnelle en date du 20 décembre 2022, en réponse à une requête de la CENI. La Cour, tout en affirmant que la CENI n’a pas qualité pour la saisir en interprétation, imperturbable et sûre de son ouvrage, se dit cependant malgré tout fondée à recevoir la requête lui demandant d’interpréter l’article 5 de la Constitution sur l’égalité du droit de suffrage pour tous les Congolais, fondée sur son «pouvoir régulateur de la vie politique». Comme toujours, dit l’auteur, la Cour accorde à la CENI ce qu’elle attendait, la décision selon laquelle la CENI avait le droit de ne procéder, pour les Congolais de l’étranger, qu’à l’enrôlement des résidents congolais de 5 pays étrangers seulement, Afrique du Sud, Belgique, Canada, Etats-Unis et France, et que cela ne violait pas le principe d’égalité électorale des Congolais; alors qu’aucune théorie juridique ne permet de comprendre par quelle motivation juridique ne retenir que les Congolais de ces 5 pays en laissant de côté les autres n’est pas discriminatoire et respecte le principe d’égalité, seul le sésame ouvre-toi de la théorie de régulation réalise cette magie.
C’est également le cas de l’arrêt R.Constit. 1816 de 2022 sur requête de la Cour de cassation (RP. 09) dans l’affaire Matata Ponyo. L’auteur présente ce cas comme étant l’illustration des dégâts d’une jurisprudence libre dans une cause pénale. En effet, la Cour constitutionnelle, justement, rejette cette requête en interprétation de la Cour de cassation, étant entendu que cela n’est «… réservé qu’à la demande de certaines autorités nommément désignées par la Constitution, au nombre desquelles les juridictions de jugement ne sont pas reprises» (Voir le feuillet 4, paragraphe 6 de l’arrêt). Ayant ainsi décidé, la Cour constitutionnelle ne se gêne pas, assumant de violer la Constitution, et de façon incompréhensible, de se contredire, elle-même, dans le paragraphe suivant (Feuillet 5, paragraphe 1). Alors qu’elle avait rejeté les deux exceptions imaginairement découvertes dans la requête, du reste inconstitutionnelle, de la Cour de cassation, la Cour constitutionnelle, laissant en plan la cause dont l’avait saisie la Cour de cassation, invente ex nihilo, le moyen de se saisir d’une question qui ne lui était pas soumise, celle des droits de l’homme prétendument violés par l’abstention de la Cour de cassation de se prononcer…
Tout en regrettant ces violations assumées de la Constitution par la Cour constitutionnelle, devenue Louis XIV, aux pouvoirs divins et absolus, tenant à juger par défi, à l’auteur de conclure que dans l’affaire Matata, tout est fait, tout est consommé, en vertu de la Constitution et de l’arrêt RP 0001 du 15 novembre 2021, lequel est exécutoire et irrévocable.
Il conclut en appelant le juge constitutionnel au ressaisissement, parce que, rappelle-t-il, persévérer dans l’erreur est diabolique. Je voudrais, simplement, dit-il, après avoir critiqué plus d’une dizaine d’arrêts récents de la Cour constitutionnelle dont il a démontré le caractère contra legem, que les juristes s’inquiètent du sort de leur discipline si mal famée dans la société. Tout ce qui nous revient, peut-on encore lire dans sa chute, c’est à quoi j’invite modestement des juristes soucieux du droit, être des lanceurs d’alerte contre un droit dégradé et vilipendé, être engagés à obtenir que cela cesse!
Mateo NZINGA
Correspondance particulière