Après un long moment de silence, le collectif d’Art-d’art est réapparu de manière éblouissante à Kinshasa grâce à la performance artistique dénommée: “Coop Kin” d’Aurélien Gamboni et Blaise Musaka. Le mercredi 31 janvier 2024 devant l’Institut national des arts -INA-, le samedi 03 février à l’arrêt trafic de l’Université de Kinshasa -UNIKIN- et, enfin, le dimanche 04 février au quartier Sans fil, dans la commune de Masina, le collectif d’Art-d’art a présenté son spectacle devant un public plein d’enthousiasme.
Lors de ces performances devant l’INA, les passants de l’avenue du Commerce, dans la commune de la Gombe, se sont trouvés importunés par une folle joyeuse qui, dans sa démence, les embarrassait tous. Cet incident a provoqué les regards des curieux et badauds empruntant cette artère grouillante de la Gombe en sa bifurcation avec l’Avenue du flambeau. Par cet acte alambiqué et discret, ainsi se lèvent les voiles invisibles des performances artistiques “Coop Kin”, où Chouchou Yoka Wisdom Kuzamba, Kadivioki Mavakala, Joël Vuningoma, Chic Cello et Taluyobisa, ces six artistes contemporains, investissent systématiquement les lieux en vue de provoquer, d’interpeller et de libérer la parole. Cette performance Coop Kin émerveille par sa prestance magistrale et interaction avec le public.
Dans ce happening éphémère au cœur de la Gombe, à la Colline inspirée, ou à Tshangu, représenté dans un contexte post électoral, la folie de Chouchou Yoka symbolise la déraison des gouvernants et la dérision des gouvernés, dans une société en passe d’une cohérence. C’est une folle qui se fait porte-voix des non-dits, des sujets d’actualité selon l’appréhension de la rue. La performance se déroule autour d’un kiosque à journaux versus Kinshasa, installé le long de la route, les journaux étalés à même le sol,… Est-ce une manière d’exprimer le caractère téméraire de la place qu’occupe l’information dans nos sociétés à majorité composées d’info exclue? A l’UNIKIN sur trafic tout comme au Bâtiment à Masina, les performances “Coop Kin” ont créé un effet de pamoison.
Un curieux lecteur des journaux qui semble révolté par l’infobésité, s’insurge entre promesses électorales qui n’engage personne, des décisions laxistes qui n’engage personne non plus. Et, enfin, le nihilisme de la populace qui ne revendique rien à personne aussi. Wisdom, dans ce personnage agacé par des discours oligarques, s’insurge et interpelle: «Ah te tolembi, tolembi!» -“On en a marre des discours”. “Il faut qu’on soit à mesure de pouvoir leur dire des vérités, et ceci passe par une éveille de conscience de la jeunesse. Le clientélisme, ils n’engagent que les membres de leurs familles», déplore-t-il. Ainsi, il décrit des gabegies financières, coulage des recettes publiques et gestion catastrophique causant ainsi l’entropie démesurée de la société. Les mélodies des violons de Kadiviolon et Chic Cello convergent ou divergent leurs sons à ceux des discours parallèles selon qu’il s’agisse d’exprimer la mélancolie, le désordre ou le chao. Cette musique a emporté le public dans une odyssée sans pareils entre éblouissement, agitation, consternation, rire et danse en fin de compte.
Le marchand des journaux, Joël, est à la fois personnification d’une classe citoyenne qui,après révolution pour la démocratisation, dès l’accession au pouvoir, se comporte en oligarque conquistador.
«Haaaaa! Le pouvoir c’est moi! L’État c’est moi!», dit-il en transe, par l’extase du pouvoir. L’allusion faite à à cette scène d’une révolution qui bouffe ses propres enfants. En RD-Congo comme partout en Afrique, les kiosques à journaux sont des lieux de débats citoyens, alimentés par des titres ronflants et diatribes à la Une. «Ici, chez nous, le Parlement débout incarnait jadis cette démocratie de la rue, lieu de verbiage, avant de la confisquer une fois au pouvoir», se dit un spectateur. Et de poursuivre: «nous sommes des débrouillards depuis 1960. Du Président aux plus pauvres, nous sommes tous des coopérants». Comme cette population qui s’adapte à tout, “Coop Kin” s’est adapté à ce contexte post électoral encore plus énonciateur qui diffère de la première représentation à “Yango Biennale 2022” d’où elle tire sa source. Tant de choses à se raconter entre temps… «Castigat ridendo mores» en version performative, entendez «la comédie châtie les mœurs par le rire», dit Jean de Santeul -1630-1697.
C’est dans le souci d’enrichir l’art RD-congolais et la scène artistique de la performance qu’Aurelien Gamboni et Blaise Musaka ont pensé “Coop Kin”, une démarche intransigeante à l’académisme pour porter la félicité de la performance artistique à son point culminant. Trois jours d’élégance des gestes joints à la prouesse artistique face aux risques. Trois jours où la performance était la sublimation même de l’esthétique en performant notre quotidien. Des narrations improvisées entre réalités et spectacle, installations éphémères. Même la musiques langoureuse et parfois saccadée des violons ont performé. Ces six artistes ont performé la société RD-congolaise et ses trottoirs créant une trame qui a emballé le septième homme, les spectateurs interactifs et réceptif. Le public a capté le reflet de son quotidien tel que présenté tacitement. «Tout est coop! C’est à la fois de l’arnaque, des arrangements de l’escroquerie…».
Elrick ELESSE