Ildefonse Ilunga Mikanda dit Pacha est parmi les icones de l’aviation civile en Afrique. Le commandant de bord Pacha Ilunga a 50 ans de carrière et plus de 20.000 heures de vols. Il a suivi une formation rigoureuse de pilote à l’étranger. Il a eu l’honneur de piloter d’éminentes personnalités telles que le maréchal Mobutu, des Chefs d’Etat des continents africain et européen, des monarques des pays occidentaux, des sommités de divers secteurs d’activités, etc. Il a volé dans tous les espaces aériens du monde et en a tiré une solide expérience qu’il piaffe d’impatience de transmettre à la jeunesse montante. Ce qui constitue un souci permanent pour lui, la formation de la relève. Mais, comment en est-il arrivé là? Au moment où le transport aérien fait eau de toutes parts en RD-Congo au point d’être la risée de tout le continent avec le triste record d’accidents d’avions, «AfricaNews» et le Magazine d’actualités pour tous animé par Benjamin Kabwanga Bukasa Tshinayi sur «RTNC3/Institutions», ont approché ce pilote expérimenté pour parler de sa vie, celle de la première compagnie aérienne nationale Air Congo, Air Zaïre, Lignes aériennes congolaises -LAC- au sein de laquelle il a passé toute sa carrière, et du transport aérien en RD-Congo. Entretien.
Commandant Ilunga, comment êtes-vous entré dans ce métier de pilotage d’avion?
J’avais d’autres projets en tête. Un ami commis de bord m’a mis la puce à l’oreille et m’a donné l’envie d’embrasser ce métier. Mon diplôme d’humanités gréco-latines, je visais de devenir professeur de langues ou de mathématiques. Je me suis pourtant présenté à Air Congo aux tests d’admission. L’Européen en charge du recrutement et de la formation m’a soumis aux examens requis. Ravi par mes résultats, il m’a proposé de suivre la filière du pilotage C’était en 1962, soit deux ans après l’accession du pays à la souveraineté internationale. J’ai demandé un temps de réflexion car, ainé de la famille, je ne me voyais pas dans un cockpit au risque de périr le premier en cas de crash. Les conseils de l’ami ont vite fini par dissiper mes doutes. Mon acceptation a rencontré l’assentiment du responsable de la formation qui m’a encouragé dans cette voie. C’est ainsi que je suis devenu comme par enchantement candidat pilote, puis un pilote aguerri aujourd’hui devant vous.
Votre intégration a-t-elle été facile quand on sait qu’à l’époque ce secteur était réservé qu’aux seuls Blancs?
C’est une carrière très passionnante que j’ai dû passer. Il y a beaucoup de choses à dire que je ne saurai étaler en si peu de temps. Ce n’était d’abord pas facile de devenir pilote. Comme Air Congo venait de naitre, la SABENA devait céder sa gestion à la partie congolaise à l’époque. Le Directeur général de l’époque était prévoyant. La cession de cette gestion impliquait la présence des agents propres à la compagnie, donc des Congolais qui devaient nécessairement passer par la formation. Le DG a opté pour la Belgique où se trouvaient déjà six RD-Congolais envoyés par la compagnie afin de compléter leurs humanités scientifiques. Je les ai rejoints en Belgique en faisant d’abord une année complémentaire en mathématiques-physique.
En votre qualité de l’un des premiers pilotes d’Air Congo, dites-nous comment cette compagnie nationale a-t-elle été organisée pour connaitre le succès qu’elle avait à cette époque?
Nous nous sommes défendus aux études. Nous avons été proclamés deux pilotes RD-congolais, mon collègue Simon Diasolwa Zitu et moi. Nous avons respecté tout le protocole en matière de formation théorique au sol et en vol où nous avons pu totaliser le nombre d’heures de vol exigé conformément à la règlementation. Nous avons commencé avec les petits porteurs. Nous avons volé avec le planeur, puis sur monomoteur, avant d’attaquer le bimoteur. Le passage sur de gros avions nécessitait l’accomplissement d’un certain nombre d’heures de vol. Ayant accompli 300 heures de vols en Belgique, il nous fallait atteindre 1.500 heures de vols. Ce gap de 1.200 heures devait être résorbé sur un avion bimoteur. D’où notre rappel au pays pour parachever notre formation en complétant ces heures de vols. De retour au bercail, nous avons commencé par le petit avion bimoteur B.55. Nous étions autorisés à atterrir partout à travers la République. Nous en avons profité pour remplir toutes les exigences de la formation en vol et atteindre les résultats escomptés pour le lâchage.
Comment aviez-vous rencontré le Président Mobutu?
Nous étions à l’aéroport de Mbuji-Mayi sans savoir que le Président Mobutu s’y trouvait en mission officielle en tant que Chef de l’Etat. Avant de mettre le cap sur Lubumbashi, nous avons rencontré nos amis Gérard Kamanda wa Kamanda et Bongoma qui faisaient partie de la délégation du Président de la République. Pendant que nous échangions sur notre formation en vol, le Président Mobutu est arrivé aussi pour prendre son avion. Nous ayant vu discuter à côté de notre avion, il a voulu en savoir davantage auprès de Me Kamanda qui l’a aussitôt mis au parfum. Mobutu a réagi: «J’ai des pilotes dans ce pays que je ne connais même pas. Vous me cachez des choses».
Surpris, le Président Mobutu nous a appelés. Il nous a posé des questions sur notre identité, notre emploi du temps, notre routing, etc… Nous ayant entendus, il a décidé séance tenante que nous le précédions à Lubumbashi, sa prochaine destination. Les contacts ont été pris sur place dans la capitale cuprifère et à partir de là, nous avons été réquisitionnés. Voilà comment a commencé notre deal avec le Président Mobutu. Evidemment, il y a beaucoup à dire. Cela fera l’objet d’un livre que je suis en train d’écrire patiemment.
Quelle a été la gestion d’Air-Congo après le départ des Belges?
Avec des hommes très engagés, Air-Congo avait une très bonne organisation qui a conduit à son succès sur le plan africain et international. Son directeur général Aubert Mukendi avait une vision et une grande rigueur dans la gestion. Le comité de gestion était composé des gens qui savaient faire leur travail chacun dans son domaine. Aucune personne ne pouvait accéder aux postes de commandement si elle n’était pas passée par tous les rouages de la compagnie pour en maitriser le bon fonctionnement. Y compris nous, les pilotes. En tout cas, à, tous les niveaux de responsabilité, les Congolais étaient tous animés d’une foi qui déplace les montagnes au point de démontrer à l’opinion tant nationale qu’internationale qu’ils détenaient le secret des meilleurs feux d’artifices dans le transport aérien. La sécurité préoccupait tout agent, de la technique aux opérations, en passant par les exploitations terrestres, le commercial, bref tout le monde prenait à cœur son devoir et les résultats ne pouvaient que suivre. La ponctualité, le respect du temps et la régularité ont fait la fierté de la compagnie. Nous nous sommes inscrits en faux contre les dérapages de certains dignitaires du régime, des ministres qui voulaient nous mettre en retard suite à la mauvaise gestion de leur emploi du temps. Que ce soit au pays ou en Europe, les heures des vols étaient respectées à la lettre. Le Président Mobutu aimait cette ponctualité. Un jour, un ministre a tenté de me faire retarder personnellement pour l’attendre. Refus poli car je me disais que tout le long du trajet à parcourir, d’autres passagers avaient les mêmes droits et je ne pouvais pas leur causer du tort. Au cours d’un voyage, j’ai fait part de cet incident au Président Mobutu. Il a répliqué que si lui était toujours ponctuel, il ne pouvait pas en être autrement pour ses collaborateurs. Aussi m’a-t-il enjoint de répercuter au DG de la compagnie que cette pratique n’était nullement de mise et que des instructions claires allaient être données au conseil des ministres pour y mettre un terme afin de ne pas porter préjudice aux passagers. Voilà qui faisait la fierté de notre compagnie.
La flotte d’Air-Congo devenue par la suite Air-Zaïre était composée de combien d’avions à l’époque?
Depuis le début, la compagnie avait totalisé jusqu’à plus d’une trentaine d’avions allant des petits porteurs, en passant par les Caravelle, DC-8, Fokker-27, Boeing 737-200, DC-10-30, Boeing 747 Jumbo Jet, Boeing 767, etc. Certains aéronefs ont été cédés en renfort à la Force aérienne congolaise, d’autres placés sans contrepartie à une compagnie aérienne privée…
A part la flotte rachetée auprès de la SABENA qui était d’ailleurs en bon état, notre compagnie a toujours acquis des avions pimpants neufs au départ des usines. A titre d’illustration, quand nous sommes allés prendre le DC-10-30, il était encore en chantier à Long beach. Air Zaïre a acheté le DC-10 avant la SABENA, IBERIA, bref de nombreuses compagnies européennes. Les gens n’en revenaient pas de voir des Noirs aux commandes de ce gros porteur et croyaient qu’il s’agissait des Noirs américains plutôt que des Congolais. Quelle fierté ! Comment sommes-nous tombés si bas ? Sur le continent africain, Air Afrique rivalisait d’ardeur avec nous.
Qui assurait la formation du personnel d’Air-Congo ?
Au début, c’est la SABENA qui assurait toute la formation dans tous les secteurs d’activités. Les Congolais ont tout repris en main. Et la compagnie nationale a toujours accordé une grande importance à la formation. Car l’aviation est un secteur très exigeant où l’aventure n’a pas sa place. Aussi, quel que soit le diplôme que vous détenez, avant d’accéder à des postes de responsabilités, vous êtres tenu de passer par le Centre de formation de tout le personnel à Ndjili, ponctué par des stages au pays et à l’étranger. Personnel navigant, technique, commercial, etc tous sont logés à la même enseigne. Les formateurs sont formés dans les meilleurs écoles d’aviation civile dans le<monde et viennent transmettre le savoir au pays. Les pilotes, après la formation théorique au sol, passent au simulateur des vols en Europe et aux Etats-Unis pour être en phase avec les derniers développements en matière de pilotage. Du côté technique, comme la compagnie nationale faisait partie des grands groupes avec les UTA, SAS, SABENA, ALITALIA, SWISSAIR, etc. elle appliquait leur protocole et intervenait sur tous leurs avions de passage à Kinshasa. C’est cette discipline qui a fait que Air Congo n’ait jamais connu un accident dans un vol commercial ayant entraîné mort d’homme pendant plus d’une cinquantaine d’années. Quand on se rappelle que les agents d’Ethiopian Airlines et tant d’autres compagnies africaines venaient en formation à Kinshasa…
Aujourd’hui, ce centre est abandonné à son triste sort par la volonté des politiques dont les agendas ne cadrent pas avec les impératifs du transport aérien international.
Après 50 ans, la compagnie nationale est passée d’Air-Congo à Air-Zaïre, puis d’air-Zaïre à Lignes aériennes congolais -LAC- aujourd’hui en liquidation. Que peut-on retenir de toutes ces mutations ou changement d’appellation?
Ce qui se passe, disons-le sans ambages, à un moment donné, Air-Zaïre devenu LAC a commencé à perdre les pédales. Au lieu de responsabiliser les personnes formées, la politique est venue se mêler en nommant des managers dont les erreurs de gestion ont précipité le déclin de la compagnie. Des manquements graves de gestion, doublés des injonctions intempestives irrationnelles de la hiérarchie sur fond d’impunité, la démission de l’Etat propriétaire devant ses responsabilités de pouvoir public et de client privilégié qui ne payait nullement ses dettes ont sérieusement malmené la poule aux œufs d’or. Plus tard, l’on comprendra que la plupart de ces mandataires parachutés avaient d’autres agendas aux antipodes des objectifs d’une compagnie aérienne viable, fiable et performante. C’est ce qui a défriché le passage à l’inflation des compagnies aériennes de tous bords. Ca fait très mal quand on lit dans les rapports des institutions faitières de l’aviation civile internationale qu’en RD-Congo, ce sont les commerçants qui font l’aviation.
Aujourd’hui, LAC est en liquidation. Dites-nous si réellement cette compagnie est tombée en faillite puisque son personnel tient encore la tête et s’il y a opportunité pour l’Etat de créer Congo-Airways?
Ça fait très mal. On ne peut même pas penser à dissoudre les LAC. La compagnie a tous les atouts pour redécoller. Il suffit seulement qu’il y ait une volonté politique ferme. Son personnel est très formé. Son patrimoine est là. On a laissé cette compagnie s’effondrer sciemment d’ailleurs. Ce que nous sommes en train de vivre actuellement c’est de la mauvaise volonté politique. Si le pays est conscient en mettant aux LAC des gens conscients, cette compagnie va redémarrer. Beaucoup de compagnies aériennes créées après nous notamment Ethopian Airlines, South African Airlines, Kenya Airways sont là. Ethopian Airlines est la première compagnie africaine aujourd’hui alors qu’à l’époque c’était nous. Si on avait maintenu le cap, LAC n’allait pas connaitre la situation qu’elle connait aujourd’hui. Côté pilotes, il y a une forte carence. Après nous, on n’a pas formé de jeunes pilotes. Ceux qui sont opérationnels sont des jeunes gens dont les parents ont financé les études. Or celles-ci coûtent cher et les parents ne disposent pas de moyens consistants pour former nos enfants. La formation d’une nouvelle compagnie est une bonne chose. Mais le pays est tellement vaste qu’il lui en faut d’autres pour couvrir tous les besoins. S’agissant de la dissolution de LAC-Sral, il n’existe à ce jour aucun acte officiel révoquant le décret-loi du Président Joseph Kasa-Vubu de 1961 ni celui du Président Laurent Désiré Kabila de 1997 portant création de la compagnie aérienne nationale.
Au demeurant, comme cela est le cas sous d’autres cieux, la République gagnerait énormément en disposant de deux ou trois compagnies aériennes nationales. Il revient à clarifier le champ d’activités de chacune d’elles et qu’elles exploitent toutes dans le strict respect des normes rigoureuses d’exploitation aérienne. Ainsi elles serviront de modèles pour une meilleure défense de l’image de marque de la RD-Congo sur l’échiquier tant africain qu’international. Vouloir tuer LAC est une erreur monumentale. D’ailleurs, toutes les compagnies opérationnelles en RD-Congo comptent dans leurs effectifs des agents de LAC, qu’elles soient congolaises ou étrangères.
Propos recueillis par Octave MUKENDI