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Affaire Matata: le revirement de la Cour constitutionnelle au cœur d’un débat entre scientifiques à Lubumbashi

Les deux arrêts divergents de la Cour constitutionnelle dans l’affaire Matata Ponyo mettent en difficulté l’enseignement du Droit dans les universités de la RD-Congo. C’est en substance la tendance qui s’est dégagée dans une conférence débat entre scientifiques à Lubumbashi, le dimanche 27 novembre 2022. Articulée autour du thème: «L’arrêt du 18 novembre 2022 de la Cour constitutionnelle: jeux et enjeux», cette conférence a été animée par deux professeurs et un doctorant.

L’enseignement du droit devant une équation complexe

Dans son intervention, le Professeur Gabriel Banza Malale, enseignant de Droit constitutionnel à l’Université de Lubumbashi, a abordé le sujet sous l’angle: «la position d’un universitaire face aux deux arrêts de la Cour constitutionnelle». Pour cet expert des questions géopolitiques et géostratégiques dans les crises RD-congolaises, l’enseignement du Droit est devant une équation complexe après l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 18 novembre 2022. «Nous sommes en train de bégayer quand on se rencontre avec les jeunes étudiants à qui nous enseignons des choses que nous avons apprises, mais qui commencent à avoir un conflit dans la connaissance acquise», a-t-il avoué.

«Pour ceux qui pratiquent le droit, je parle des avocats magistrats et juges, ils savent bien l’importance d’une jurisprudence et surtout quand celle-ci vient d’une instance supérieure comme la Cour constitutionnelle. Mais fort malheureusement, nous sommes dans une situation où, pour une même affaire, la Cour se prononce le 15 novembre 2021, se déclarant incompétente en libérant de toutes poursuites le prévenu Matata. Curieusement, un an après, elle revient pour se prononcer autrement en se déclarant compétente. Une chose et son contraire est sortie de la haute cour censée prêcher la pratique absolue du droit dans les milieux judiciaires», a expliqué Gabriel Banza Malale.

Dans son argumentation, le Prof Banza a souligné qu’en pénétrant le fondement du deuxième jugement de la Cour constitutionnelle, celui-ci s’éloigne des principes généraux du droit. Par ailleurs, il soutient mordicus, que la Cour constitutionnelle «n’est pas le juge naturel des anciens présidents, des anciens premiers ministres par rapport aux infractions commises en temps de leurs fonctions respectives», et ce, en application du principe de non-rétroactivité des lois. Et de conclure: «Monsieur Matata se retrouve devant deux ouvrages judiciaires de la même institution qu’est la Cour constitutionnelle. Elle s’est déclarée en premier lieu incompétente et en second lieu compétente à connaître de cette affaire. Le droit se retrouve malade et à la faculté, nous ne savons pas dans le lit de qui nous allons dormir pour donner la science qui va ouvrir l’esprit à l’étudiant».

La Cour a statué ultra petita

«La Cour constitutionnelle a-t-elle bien dit le droit dans son arrêt du 18 novembre 2022?», c’est le sous-thème décrypté par le Professeur Kazadi Mpiana, enseignant de Droit constitutionnel comparé à l’Université de Lubumbashi. Pour le Prof Kazadi Mpiana aussi spécialiste des questions des accords politiques du Droit communautaire africain, il n’y a aucun doute que la Cour constitutionnelle n’ait pas dit le droit dans son arrêt du 18 novembre 2022. Il tient pour preuve le fait pour la haute cour de se dédire dans les deux arrêts. À l’en croire, dans son deuxième arrêt du 18 novembre, il n’était pas encore question pour la Cour de se prononcer sur sa compétente ou non.

«La Cour a statué ultra petita. Ce revirement jurisprudenciel n’est pas justifiable», insiste le Prof Kazadi Mpiana. Et de poursuivre: «Pour moi, le juge naturel de Matata Ponyo c’est la Cour de cassation. Mais avec un l’arrêt du 18 novembre 2022, ça devient difficile pour la Cour de cassation que je considère comme le juge naturel. La Cour constitutionnelle s’est attribuée une compétence qui n’est pas la sienne et sur la base d’une motivation trop fragile. Il n’appartient pas à la Cour d’étendre la Constitution comme si, elle était devenue de l’argile aux mains du potier». «La Cour constitutionnelle est au service de la constitution. Et, elle doit agir en fonction de ce que prévoit la constitution et les lois du pays. Mais malheureusement, la motivation dans l’arrêt du 18 novembre 2022 est jonché de beaucoup d’incohérences. Lorsque les prémices sont fausses, même la conclusion devient fausse. On dirait que la Cour a dû remuer ciel et terre pour se déclarer compétente, même si, elle pouvait violer certains principes sacro-saints du droit», a-t-il conclu.

Bukanga-Lonzo: affaire déjà close?

«De la forme avant le fond dans l’affaire Bukanga-Lonzo», a été le dernier sous-thème développé par le CT Elisée Nzav, doctorant à la faculté de Droit à l’UNILU. Pour ce chercheur, à partir du moment que le premier juge s’est déjà prononcé sur l’arrêt d’incompétence, il n’y avait plus matière à débat, étant attendu que les arrêts de la Cour constitutionnelle sont exécutoires et irrévocables.

«En droit, on ne peut aborder le fond tant que la forme est biaisée. Il est de procès de s’arrêter au niveau de la forme. Quand le juge se prononce par rapport à son incompétence, il met fin au litige. On appelle ça, la chose jugée. L’affaire Bukanga-Lonzo est déjà close», a persisté Elisée Nzav. Les exposés ont donné lieu au débat houleux entre orateurs et participants à cette conférence de haute portée scientifique.

Rédaction de Junior Ngandu/Politico.cd

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