Situation explosive vendredi 15 et samedi 16 mars à travers certaines provinces du pays après la proclamation des résultats provisoires de l’élection des sénateurs. A Kinshasa, après les fortes protestations de la veille, des militants de l’UDPS ont brûlé des pneus devant le siège du parti à Limete, barricadé des routes, attaqué le siège de l’Interfédérale du PPRD et violé le Palais du peuple, siège du Parlement RD-congolais. Alors qu’il compte 12 élus provinciaux dans la capitale, l’UDPS n’a pas pu sortir un seul sénateur. Sur les trois candidats estampillés UDPS, seul Kalonji Nsenda a pu engranger 2 voix contre une voix en faveur du Secrétaire général adjoint Eteni Longondo, aligné comme indépendant. Au sein de la même Assemblée, quelques jours plus tôt, l’UDPS Tshibalabala a été porté à la vice-présidence du bureau définitif avec 35 voix sur 48 votants. Personne au parti n’ose jusque-là lui demander une quelconque explication sur ces performances. L’emblématique Peter Kazadi, ancien conseiller juridique d’Etienne Tshisekedi et ancien directeur de cabinet adjoint de Félix Tshisekedi, s’est retiré de la course à la présidence de
l’Assemblée provinciale de Kinshasa, laissant la voie royale au candidat du FCC, le pasteur Godé Mpoyi, sans susciter le moindre soupçon de corruption. Cette manière de souffler le chaud et le froid fait réfléchir.

A Mbuji-Mayi, des combattants UDPS sont descendus dans les rues tôt le matin pour attaquer, selon plusieurs témoins, la résidence et le dépôt de carburant du député provincial UDPS Armand
Kalengayi. Selon les mêmes sources, les résidences de trois autres députés provinciaux de cette formation politique ont été vandalisées et dans l’une d’elles des véhicules ont été incendiés. Félicitée Ngalula a vu les assaillants ôter la vie à son garde du corps, un policier, et emporter de chez elle appareils électroménagers, fauteuils, ustensiles de cuisine… et farine de maïs. Le policier qui a blessé un manifestant par balle sur l’avenue Kalonji après l’attaque de la résidence
de la députée, a été tué à coups de pierres par les militants en colère. Dans la foulée, des jeunes non identifiés ont cassé la porte de la «Radio télévision Fraternité -RTF» et emporté les ordinateurs et d’autres matériels au motif que le vice-gouverneur du Kasaï Oriental, Jean-Pierre
Mutanda, était reçu au studio, de façon circonstanciel. Sur les 24 députés qui composent l’Assemblée provinciale du Kasaï Oriental et 22 qui ont pris part au vote vendredi, 11 sont de l’UDPS. Pourtant, un seul sénateur a été élu pour le compte du parti avec 4 voix, François
Muamba Tshishimbi.

Préoccupé
par ce climat délétère, le Président de la République Félix Antoine Tshisekedi
s’est entretenu samedi avec le président de la Cour constitutionnelle, le
président et le vice-président
de la Commission électorale nationale
indépendante -CENI. A en croire un communiqué signé par le directeur du cabinet
présidentiel, Vital Kamerhe, après avoir eu ces entretiens, le Chef de
l’Etat a également reçu -en prime?-
les délégués des militants du CACH/UDPS frustrés par le comportement de leurs
députés provinciaux. «Il les a
invités au calme et les a informés de la tenue lundi 18 mars à 10h00’ d’une
importante réunion interinstitutionnelle à l’issue de laquelle d’importantes
mesures seront annoncées dans le strict respect de la constitution et de la loi
électorale pour préserver la crédibilité du processus électoral et la paix sur
l’ensemble du territoire national»,
renseigne le texte du Dircab. Un détail saute aux yeux cependant. Dans le
communiqué de Kamerhe, pas une seule
ligne pour condamner les actes de barbarie perpétrés par les militants de
l’UDPS. Pas un seul message de soutien ou de réconfort à l’endroit des victimes
et de la famille du policier tué à Mbujimayi.
Indignations sur les RS
Omission volontaire? Sentiment de culpabilité ou gêne? Crainte des représailles par les combattants de l’UDPS? L’attitude du Président de la République est perçue comme une complaisance. Des réactions enregistrées dans les médias et les réseaux sociaux l’attestent. Contrairement aux événements de l’Université de Lubumbashi, où les policiers bourreaux ont été sanctionnés, à Kinshasa, à Mbuji-Mayi, à Kananga et à Goma, le Palais de la Nation n’a pas reprouvé les violences occasionnées par les militants de l’UDPS.
Sur
Twitter, Adam Bombole, le
tout premier à avoir jeté l’éponge à l’élection des sénateurs et
dénoncé la corruption,
s’offusque: «nous aurions pu
éviter les dégâts humains
et matériels liés aux
manifestations contre la corruption». Sur le même
réseau social, l’ancien
candidat Président de
la République Seth Kikuni lève le ton et appelle à la poursuite
judiciaire contre les
auteurs de ces actes. «Il faut
interpeller et mettre en
détention les militants qui sèment les troubles, qu’ils soient
de l’UDPS ou pas.
Nous avons dit Etat de droit, ce dernier ne consiste pas seulement
à libérer les prisonniers.
Respectons nos lois», tape-t-il. Puis: «Demain lors de sa réunion interinstitutionnelle, si le
Président Fatshi ne hausse
pas le ton et ne frappe pas la main sur la table, nous tendons
tout droit vers l’anarchie.
On dirige avec la carotte
et le bâton. La priorité n’est pas de montrer qu’on n’est plus
bon que Kabila». Kikuni estime
aussi que
«parmi les mesures importantes
à prendre, il y
aussi les ‘Wewa’, ces chauffeurs
des mototaxis. «Il faut régler les conditions d’acquisition
et d’utilisation de
ces engins. Ils ont
déformé l’espace-temps des
manifestations. Ils se transforment petit à petit en gangs», recommande-t-il.
Miliciens ou militants radicalisés, c’est selon!
De son côté, le député national et porte-parole du MLC, Jean-Jacques Mamba s’interroge: «Réunion interinstitutionnelle suite à un incident interne à un parti politique? A-t-on invité les militants mécontents des autres partis? Le Chef de l’Etat ne convoque pas les institutions suite à un problème dans son parti, il doit être équidistant de tous les partis politiques. C’est l’Etat de droit». Son collègue d’Ensemble pour le changement, Sam Bokolombe est du même avis. «Que des élus d’un parti n’aient pas observé la discipline de vote, c’est de la compétence de ses structures internes. Pas une affaire d’Etat. L’Etat de droit bannit tout motif de trouble à l’ordre public -corruption, menaces, vols, pillages, meurtres, etc.- et requiert, le cas échéant, l’application rigoureuse de la loi. Entretemps, le processus électoral doit poursuivre son cours et les institutions être mises en place. Faire autrement, c’est organiser le chaos», prévient-il.
Les
politiques ne sont pas seuls
à critiquer la réaction du
Président de la République face au débordement de l’UDPS. Les journalistes ont également
donné de la voix. Litsani
Choukran, patron du média
en ligne Politico.cd, s’insurge
dans ces termes: «Il y a désormais une milice au sein de
l’UDPS, qui agit
visiblement en toute impunité.
Aucune raison ne pourrait
justifier ces attaques délibérées. Nous n’aurions jamais toléré
cela pour le PPRD, alors faisons de même». Dans un billet posté dans les groupes
Whatsapp, intitulé «Au nom de l’Etat de droit, halte à l’amateurisme au
sommet de l’État», le journaliste freelance Guy Momat Mulongoy se pose la question «à quoi veut jouer le Président de la
République Félix Tshisekedi?» Et de faire constater: «aucune condamnation de sa part, pour les
actes de violence et de tuerie et de vandalisme urbain causés par ses
partisans? Lui qui est constitutionnellement “le garant de la sécurité des
biens et des personnes”». Selon Guy Momat, «le pays ne peut pas fonctionner au
rythme de la folie des militants radicalisés de l’UDPS et qui se comportent en
miliciens». Le journaliste revient aussi sur l’inopportunité de la
réunion interinstitutionnelle convoquée ce lundi. Arguments: «comment le Président de la République peut-t-il
convoquer une réunion interinstitutionnelle -pour statuer sur les allégations
de corruption des députés d’un parti politique, son parti à lui, qui est un
fait privé? L’UDPS estelle devenue un Parti-Etat? Qu’on nous le dise!» Guy Momat a la conviction que la
logique aurait été que les responsables de l’UDPS convoquent une réunion
interne avec les députés concernés et en tirent toutes les conséquences à leur
niveau. Comme le député Sam Bokolombe, il déconseille surtout au Président
Fatshi d’annuler les résultats des sénatoriales «pour satisfaire ses fanatiques». Guy Momat évoque, dans le cas
d’espèce, l’absence de l’autorité de l’Etat et note qu’il est inadmissible que
le Président Félix confonde «l’institution Président de la République» et sa position au sein de son parti
politique, l’UDPS. Cependant, comme annoncé, les yeux sont braqués sur la Cité
de l’Union africaine ce lundi matin pour savoir quelles mesures importantes
seront
annoncées à l’issue de la réunion interinstitutionnelle alors que l’UDPS a
confondu liberté de manifestation et couronnement de l’incivisme.
Au demeurant, l’opinion est curieuse de voir le Sénat convoquer sa Session extraordinaire pour installer son bureau provisoire et le gouvernement n’a jamais convoqué son Conseil des ministres depuis que Félix Tshisekedi a été investi.
Tino MABADA