Société

Quand le deuil se transforme en lieu de plaisir à Kinshasa

Dans la ville capitale de Kinshasa, le lieu mortuaire devient tout sauf celui de la consolation des personnes éprouvées.
Moment de deuil, moment de forte tristesse où chagrin et amertume rongent les cœurs et les corps endoloris des familles et amis du défunt et de toute personne sensible à cette fatalité. L’organisation des funérailles connait de profonds dérapages à Kinshasa. Si jadis, les gens observaient une attitude de recueillement, de compassion et de dignité en mémoire de la personne disparue, tel n’est plus le cas ces dernières décennies où la société congolaise a basculé dans l’émergence des antivaleurs pendant les obsèques.
Lieux de réjouissances populaires aux contours flous
Actuellement, les lieux de deuil sont devenus des lieux de réjouissances populaires où toutes les extravagances prennent le pas sur les règles de bienséance. Pendant que les uns versent de chaudes larmes, accompagnés en cela par d’autres âmes sensibles, les autres saisissent cette douloureuse opportunité pour s’adonner à des rendez-vous d’amoureux, de négoce où se vendent des vêtements pour dames et hommes.
Pendant ce temps, une musique tonitruante est déversée comme si l’on participait à un concours de décibels. Si la famille éprouvée ne dispose pas de personnes suffisamment responsables pour imposer une certaine discipline, ce sont les jeunes désoeuvrés du quartier qui viennent dicter la loi. Consommation de drogue, diffusion des vulgarités à souhait, actes de vandalisme ou d’agression sur de paisibles personnes venues partager la douleur avec les membres de la famille éprouvée. Il n’est pas rare d’apprendre qu’une horde de «kuluna» soit passée par là pour détrousser les gens endormis de leurs sacs ainsi que leur contenu. Billets de banque, téléphones portables, bijoux… changent de propriétaires en deux temps trois mouvements.
Généralement, beaucoup de personnes s’en tirent avec des migraines et autres courbatures après une longue exposition à ces nuisances et dans des positions inconfortables. Les incongruités ne s’arrêtent pas là. La levée de la dépouille mortelle pour l’inhumation donne le go à une autre mi-temps. Les gens se retirent dans des «nganda» proches pour des scènes de beuverie et des extravagances hors normes. Ils y sont rejoints plus tard par les potes qui se sont rendus au cimetière. Bonjour les dégâts!
Engouement bizarre des jeunes qui se croient tout permis
Force est de noter un engouement bizarre des jeunes qui se croient tout permis. Pour la plupart, drapés dans des accoutrements destinés à impressionner l’assistance, ces jeunes premiers oublient illico le défunt et s’adonnent à des réjouissances sans cause, pour ne pas dire à des scènes obscènes au regard de leurs chansons et danses impudiques. Interdiction formelle de leur prodiguer des conseils ni leur faire des remarques sur leur comportement au risque de provoquer la vendetta. Très peu de personnes responsables parviennent à s’imposer devant la débauche de ces têtes en l’air.
Comment des personnes apparemment tristes, il y a peu, deviennent-elles joyeuses à l’instant de la flamme d’un briquet? s’interroge-t-on. La question vaut son pesant d’or. A midi le deuil, à 15heures une semi-kermesse où Sodome et Gomorrhe renaissent de leurs cendres.
Peu de pleurs, mais beaucoup de fleurs. Les mouchoirs papiers essuient à peine quelques larmes et les lunettes pour cacher des yeux à peine rouge. Et personne ne désactive son WhatsApp pendant que les selfies sont autorisés. Pas de mots doux aux membres de la famille en deuil. Les plus malins pour feindre leur profonde affliction, utilisent même des pommades pour faire couler des larmes de crocodile.
Des extravagances qui n’honorent nullement la mémoire du défunt
«Le lieu de deuil n’est pas un lieu de fête. La famille, les amis et connaissances devraient avoir un minimum de respect au mort. Il n’est pas indiqué de prendre ce moment de deuil dans la légèreté. Qu’elle est révolue cette époque où les Kinoises et Kinois se comportaient dignement dans ces moments de recueillement» explique un natif de Kinshasa. Et d’ajouter: «Pendant le deuil, certaines personnes se livrent à des excès qui n’honorent pas le mort. La culture kinoise est devenue festive. Beaucoup aiment ces rassemblements, ces rencontres pour des futilités. Ce qui conduit à la banalisation du deuil. Pourtant, c’est un moment de grandes émotions, de consternation et de profonde affliction».
D’aucuns n’hésitent pas à parler d’un phénomène social, symbolisant à lui seul tourments et contradictions d’une société au bord du gouffre. A l’origine, ce rite consistait en une cérémonie à l’honneur du défunt. Rite du souvenir, le deuil s’accompagne souvent de danses et de musique. «Chez nous, la mort est naturelle et il est naturel aussi d’accompagner le défunt dans la joie pour son départ», indique une personne âgée croisée dans la commune de Lemba. Et à l’autre de révéler: «En province, le deuil reste traditionnel, mais dure moins longtemps, faute de moyens. A Kinshasa, on garde le corps à la morgue pendant au moins trois semaines et ça coûte beaucoup d’argent».
L’administration de la ville province de Kinshasa doit fixer des règles pour remédier à ces excès et dérapages dans les lieux de deuil qui devient un business dans la capitale. La société entière doit se lever pour revenir aux valeurs culturelles positives plutôt que de rester impuissante devant toutes ces dérives. Les récentes mesures contre les tapages diurnes et nocturnes décrétées par le commissaire provincial de la police devraient s’appliquer aussi aux lieux de deuil.
Frezia KABAMBA
 

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