Société

Ni Neymar, ni Thiago Silva: un policier est tombé à «Copacabandal»!

Ici, au milieu, le patron de la PNC, Charles Bisengimana, accompagné de l'ambassadeur français en RD-Congo, Luc Hallade
Ici, au milieu, le patron de la PNC, Charles Bisengimana, accompagné de l’ambassadeur français en RD-Congo, Luc Hallade
Le Brésil se noyait. La Seleçao sombrait corps et biens, étouffée ce mardi soir par une mannschaft des grands jours, commandée par un Philip Lahm de légende. On en est à 5-0 en faveur de l’Allemagne. Quelque part, dans une «rue obscure», d’un «quartier obscur», d’une «commune obscure», le silence assourdissant saluant la chute du géant et la fin d’un cycle annonçait le deuil qui allait s’abattre sur la plage tout aussi obscure de «Copacabandal». Le mondial du crime. Des coups de feu nourris. Trois individus aux mines patibulaires, portant des jaquettes, tirent à l’arme automatique au coin de la rue Misanda, quartier Lubudi, commune de Bandal.
La rue se vide. Les boutiques ferment précipitamment leurs volets. Vendeuses de «malewa» et de pains ramassent leurs articles et s’engouffrent dans les parcelles environnantes. Les écrans improvisés qui maintiennent un semblant  de convivialité en proposant à même le trottoir le direct de la demi-finale Allemagne-Brésil autour d’un verre de bière arrachent les fils et emportent leurs téléviseurs.
Rue Muabi. Deux autres individus tout aussi lugubres sortent de la nuit, juste au coin de l’avenue Inga. La rue vide fait de l’unique policier qui a l’air de s’interroger sur la provenance des coups de feu une cible idéale. L’agent de l’ordre a le dos tourné. Une balle déchire la nuit. Le policier tombe et se noie dans une énorme marre de sang. Moins de 100 mètres séparent le lieu du crime du conteneur de la police appelé «Inga ya suka». Le tireur se précipite, arrache l’arme du policier et s’enfonce dans l’obscurité. Le rideau noir tombe sur les deux criminels qui rejoignent leurs comparses de la rue Misanda.
Le crépitement de plus en plus distant des armes ponctue leur fuite ainsi que l’éloignement du danger.  Direction: camp Luka. La timide poursuite engagée par quelques éléments de la police présents dans le conteneur l’est plus pour donner le change à une population terrifiée et désabusée que dans le souci de rattraper les bandits. Le policier tombé s’est vidé de son sang, avalé par le sable humide, presque lunaire,  de ce quartier déshérité. Sans un seul cri. Mort sans savoir pourquoi. Comme ce Brésil tombé sans ses meilleures armes –Neymar Jr, Thiago Silva- mais cette Seleçao-là se faisait-elle réellement des illusions? Sur cette plage perdue de …Copacabandal, le deuil s’ajoute à l’amertume.
Les mêmes vendeuses souvent maltraitées par les mêmes policiers sont les premières à verser des larmes.  Si elles ne comprennent pas, elles savent en revanche que ce croisement Inga-Muabi-Misanda constitue un triangle de la mort. A cause de l’obscurité. A cause de la proximité de la rivière Makelele où se retranchent souvent les criminels dans leur fuite. A cause du voisinage de cet immense Camp Luka, où tous les trafics se déroulent, des armes automatiques qu’on loue ou fait louer aux drogues et alcools les plus durs qui s’y vendent. Faut-il raser nos bidonvilles? Mercredi matin, seul un rameau rabougri indique tristement, comme un drapeau délavé en berne, le lieu où le policier est tombé. L’émotion suscite les rassemblements et le partage.
Les rumeurs, même les plus folles, fleurissent.  Les bandits avaient démarré leurs tristes exploits mardi soir dans le quartier Adoula, ou Moulaert. Après avoir raflé de l’argent dans plusieurs boutiques et bureaux de change, les criminels dont un témoin dit qu’ils avaient une mallette en mains ont progressé, dans leur fuite, jusqu’au quartier Lubudi. La question: pourquoi Bandal? Pourquoi ce quartier Lubudi qui vient d’être visité trois fois en trois mois? D’où viennent ces armes automatiques? Autant de questions que l’opinion se pose, sans réponse. A Bandal, on est convaincu d’une chose: atteindre quelqu’un à la tête, quelle que soit la distance, dans l’empressement de la fuite, exige un entraînement et un maximum de sang froid. Ce n’est sans doute pas un simple petit bandit de quartier qui a tiré et tué…
Autre constat: bouclages, fouilles, arrestations n’y ont rien fait, la criminalité est toujours aussi persistante, à cause de la proximité de l’enclave du Camp Luka généralement citée comme lieu de refuge des grands bandits. Juste une anecdote. La semaine dernière, aux alentours de 20 heures, des individus en tenue de la police nationale congolaise braquaient un bureau de change dans le quartier Bisengo, sur l’avenue Kasa-Vubu, avant de protéger leur fuite en tirant à plusieurs reprises en l’air. Au début de cette semaine, un homme qui venait de toucher une importante somme d’argent a été dépouillé manu militari, en plein centre des affaires,  au vu et au su de tout le monde. Bandal n’est évidemment pas la seule commune concernée. Mikonga, Bibwa, Kingabwa…
La capitale RD-congolaise est de plus en plus la proie d’une criminalité dont les vraies racines sont toujours difficiles à identifier. D’aucuns ont pointé les refoulés de Brazzaville, parmi lesquels on compterait d’anciens militaires qui ont réussi à revisiter leurs caches d’armes. D’autres surfent sur la nervosité politique qu’on sent poindre dans certains états-majors. D’autres encore se souviennent que dans cette même capitale de la RD-Congo, une insécurité créée de toutes pièces sous l’appellation de «phénomène hiboux» avait plombé les années CNS et la lutte sourde qui se menait pour la conquête et la conservation du pouvoir.
Face à l’insécurité récurrente qui montait dans les banlieues, un président français alors ministre de l’intérieur n’avait pas hésité à frapper les esprits en promettant de nettoyer la chienlit au karcher. Plusieurs zones de non droit existent aussi à Kinshasa. A défaut d’y amener le bulldozer, l’Etat devrait dire quelle thérapeutique de choc y appliquer pour apaiser une population de plus en plus terrorisée. En attendant, Bandal n’est assurément pas Paris, quand bien même le farniente, le dilettantisme et le snobisme y règnent en maître. Tout au plus, durant  ce mois de juillet hésitant entre soleil et fraicheur, une triste caricature de ce Brésil qui s’est  noyé sur une plage obscure de «Copacabandal», dans les larmes et les chants de deuil de ses supporters qui ont vu le ciel leur tomber sur la tête.

AMBA NKUAMBA

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