Quatre jours après les travaux du 20ème Sommet extraordinaire des Chefs d’État de la Communauté de l’Afrique de l’Est -EAC- sur la situation sécuritaire dans l’Est de la République démocratique du Congo, le président rwandais, Paul Kagame, accusé par Kinshasa d’être le parrain des rebelles du M23, a affirmé que la République démocratique du Congo ne respecte pas la plupart des accords qu’il a signés. Au cours d’un échange mercredi 8 février avec les diplomates accrédités au Rwanda, Kagame, refusant à nouveau que son pays puisse, selon lui, porter la responsabilité de la crise sécuritaire dans la partie orientale du pays de Félix Tshisekedi, a fustigé l’attitude de la Communauté internationale consistant, toujours selon lui, à blâmer le Rwanda au lieu de demander directement aux autorités RD-congolaises de résoudre la problématique des groupes armés, perpétuée par le non-respect des accords.
«Nous avons sorti un communiqué pour expliquer la teneur de nos discussions, mais le lendemain un communiqué contraire à celui de Bujumbura a été lu à Kinshasa», a également déploré Kagame alors qu’à Goma, deux jours plus tôt, plusieurs dizaines de personnes ont protesté contre la présence de la force est-africaine déployée depuis novembre dans la région pour lutter contre les mouvements armés, particulièrement contre le M23. A Kinshasa, le gouvernement a pris le contrepied des assises de Bujumbura et insisté sur l’application stricte de la Feuille de route du mini-Sommet de Luanda, considérée comme la principale voie devant conduire au retour de la paix dans le Rutshuru, à la fin de l’agression rwandaise de la République démocratique du Congo et à la restauration de la sécurité dans la sous-région des Grands lacs, faisant savoir qu’il n’y aura aucun dialogue politique interne et diplomatique tant que les conditions globales décrites dans le communiqué final du mini-Sommet de Luanda ne seront pas remplies.
La sortie de Kagame, les manifestations anti-EAC et la position de Kinshasa en disent long sur les désaccords entre les pays membres de l’EAC, confrontés chacun à des problèmes internes quand deux ou trois n’ont pas des conflits ramifiés à résoudre. Commentant un article publié le 7 février sur le site «nation.africa», Dino Mahtani, chercheur et écrivain indépendant, enquêteur sur le maintien de la paix membre de Crisis Group, a bien décrit cette situation confuse et trouvé une explication à l’inaction de l’EAC. Le chercheur est d’avis que l’intervention de Kenya en République démocratique du Congo risque de se retourner contre le pays de Ruto.
La population RD-congolaise locale se révolte contre l’insécurité, en particulier le fait que les rebelles M23 continuent de s’étendre malgré les forces kényanes qui sont déployées mais qui ne les combattent pas. Pendant que les rebelles M23 gagnent du terrain, le groupe soutenu par ISIS ADF cherche des moyens d’exploiter les vides sécuritaires. Il a commencé à montrer sa capacité à faire exploser des bombes en milieu urbain au Congo mais aussi à Kampala, la capitale ougandaise, en 2021. Le Kenya est également sa cible. Alors que la récente réunion des Chefs d’État de la Communauté de l’Afrique de l’Est au Burundi a appelé les groupes armés à déposer les armes et à dialoguer, il semble, aux yeux de Dino Mahtani, que le dialogue doit commencer entre les membres de l’EAC eux-mêmes.
Les affaires non résolues entre eux alimentent davantage la crise. La suspicion s’installe entre le gouvernement de Kinshasa et le Kenya. Le manque d’action contre le M23 par les troupes kenyanes passe pour de la complaisance sinon une complicité avec le Rwanda, principal soutien des M23. Kinshasa et Kigali sont proches de la guerre. Dino a également relevé des tensions qui couvent entre le Rwanda et l’Ouganda, opposé aux ADF en République démocratique du Congo.
Menaces terroristes
Ces tensions empêchent l’Ouganda et le Rwanda, qui combattent les militants soutenus par l’Etat islamique au Mozambique, de bien coopérer. Et pourtant ADF et djihadistes mozambicains commencent à travailler ensemble, se rencontrant parfois en Tanzanie. Est-ce la raison pour laquelle l’ambassade américaine à Dar-es-Salam vient de signaler une menace?
Le paysage régional commence à se brouiller. Plus de conflits locaux dans la région des Grands Lacs en Afrique. Problèmes entre les États membres de l’EAC. Division interne supplémentaire en Ouganda, où le fils du président est un fan du Rwanda et du M23. Plus de menaces terroristes dans la région. Face à ce tableau trouble, Dino a le souci de savoir où est passée l’Union africaine, suggérant l’adoption d’une feuille de route claire pour le dialogue et la coopération. «Autrement dit un seul centre de gravité. Sinon, c’est s’attendre à ce que les parties à un conflit, l’EAC, fassent elles-mêmes leur médiation», a-t-il analysé. Alors qu’aux Nations unies la doctrine actuelle est de laisser les régions se débrouiller elles-mêmes, Dino a conseillé un engagement avec détermination et le déploiement d’une diplomatie plus active, «même si cela signifie avoir des conversations inconfortables».
Pendant ce temps, les États-Unis ont lancé, le 9 février, une nouvelle alerte terroriste au Kenya, juste deux semaines après celle émise en Tanzanie. Il n’est toujours pas clair si la menace vient de AlShabaab en Somalia où les troupes kenyanes sont déployées ou du groupe ISIS, désormais présent en République démocratique du Congo, où les troupes kenyanes sont également déployées.
Rivalités économiques
La Communauté d’Afrique de l’Est est aussi une organisation sous-régionale au sein de laquelle des rivalités, notamment économiques, ne manquent pas. L’Ouganda, sans accès à la mer, avait dans un premier temps pensé à un tracé kényan pour l’exportation du pétrole découvert dans son sous-sol. Il a finalement décidé de faire passer son futur oléoduc par la Tanzanie.
La Tanzanie, elle-même, a récemment eu des problèmes avec le Kenya suite à la vente aux enchères des vaches en provenance de ce dernier pays, entrées sur le territoire tanzanien en quête de pâturages. Le gouvernement tanzanien avait par la suite brûlé des poussins introduits illégalement en Tanzanie en provenance du Kenya voisin. Le gouvernement du Kenya avait, pour sa part, convoqué notre ambassadeur en poste à Nairobi pour lui demander des explications. Le Kenya avait depuis soupçonné la Tanzanie de nuire à ses intérêts au sein de l’EAC.
Avec plus de 90 millions d’habitants, la RD-Congo est clairement un grand marché où certains pays de l’EAC semblent vouloir se servir, notamment le Kenya qui prend d’assaut le secteur bancaire avec le rachat de deux banques œuvrant dans le pays en moins de 5 ans. Une RD-Congo stable serait donc préjudiciable aux économies des autres pays de la sous-région. Devant le Pape en visite à Kinshasa et le 8 février à Indaba Mining, Félix Tshisekedi a dénoncé les pillages des ressources naturelles de la République démocratique du Congo par le Rwanda avec le concours des forces obscures. Alors que la République démocratique du Congo a vocation à devenir une puissance économique continentale, aucun autre pays membre de l’EAC n’a véritablement intérêt à la voir sortir de sa crise actuelle. EAC, ce machin, se révèle aujourd’hui un gros piège pour la RD-Congo, obligé de refaire les yeux doux à d’autres partenaires plus fiables et plus stables