Le rêve américain est l’un des grands idéaux des États-Unis. Ce concept prône la réussite sociale et l’égalité des chances. C’est pour cela que les Américains appellent ce pays the land of opportunities. Il faut remonter au XIXe siècle pendant la conquête de l’Ouest et l’essor industriel pour voir émerger le concept du Rêve Américain. À 14.095 km des USA, en République Démocratique du Congo, alors que le pays a pris un énorme retard de développement depuis l’indépendance obtenue le 30 juin 1960, le tout nouveau gouverneur de sa capitale, Daniel Bumba, inspiré par le modèle américain, sort son plan de guerre pour réinventer cette mégalopole. Intitulé «Kinshasa ezo bonga», cette tablette de 74 pages dont le gouv’ s’apprête à défendre les onze axes mercredi devant les députés provinciaux entend faire naître le rêve kinois.
Pour réussir là où ses prédécesseurs se sont cassés les dents, Daniel Bumba se propose de miser sur le Kinois pour faire accepter les réformes et les idées de transformation qualitative de la ville de Kinshasa. En d’autres termes, le n°1 de la capitale RD-congolaise espère changer les mentalités de ses administrés afin qu’ils soient arrimées aux «transformations sociales et économiques dictées par le besoin de changement» au centre de son programme qui vise à «infléchir la pauvreté criante, mais aussi doter la ville du capital humain de qualité dont elle a besoin pour se moderniser et se développer». Ce programme se veut également un engagement de la ville «sur la voie de son développement intégral, à l’écoute de sa population, avec elle et pour elle, afin de répondre le mieux possible à ses besoins élémentaires et essentiels».
Sécurité, salubrité et mobilité, les trois axes prioritaires
Dans la ligne de mire du nouveau gouverneur, l’insécurité, l’insalubrité et les problèmes de mobilité. Ces trois soucis majeurs ont donné du fil à retordre à ses prédécesseurs. Après avoir appris de leurs erreurs, Bumba est convaincu de pouvoir y arriver, à condition que les réformes à entreprendre soient accompagnées d’une transformation de l’homme kinois car, dit-il en empruntant une maxime biblique, «à vin nouveau, outres neuves». Un principe sur lequel Bumba veut s’appuyer alors qu’il attend une accommodation de ses administrés.
Le premier des Kinois hérite en effet d’une ville insalubre, tant en milieu urbain que périurbain, où les déchets ménagers sont traités au gré des citadins. La population détient clairement une part non négligeable dans ce manque d’assainissement de la ville capitale qui ne dispose par d’un système adéquat d’évacuation des déchets, faisant ainsi prospérer les décharges pirates dont certaines jouxtent les maisons d’habitation et constituent un vrai danger pour la santé de la population. «La gestion des déchets constitue l’un des enjeux majeurs de la ville de Kinshasa aujourd’hui. La question exige d’autant plus d’attention que la somme des contraintes ne cesse de croitre et de peser sur l’environnement de la ville», explique le gouverneur dans sa mouture.
Ces dernières années, plusieurs campagnes de salubrité ont été menées à Kinshasa sans véritable résultat. De Kin propre à Kin Bopeto, en passant par l’opération Coup de poing ou les projets PAIDECO, PARAU et BCECO. «Tous se sont soldés par des résultats mitigés au regard des attentes des Kinoises et des Kinois», constate-t-il. Cette mauvaise gestion des déchets de Kinshasa a eu des conséquences néfastes sur l’environnement. En réponse, Bumba préconise la règle des 3R pour préserver les ressources naturelles, réduire l’impact environnemental et soutenir l’économie circulaire mais aussi la valorisation des déchets. Cette règle inclut la réduction des déchets, le recyclage des déchets pour leur donner une seconde vie et leur réutilisation au lieu de les jeter. La méthode Bumba a l’avantage de contribuer à la protection de l’environnement. Cette méthode fait la part belle aux actions éducatives et intègre l’apport technologique dans la gestion des déchets dans une approche participative, impliquant le gouvernement, les organisations non gouvernementales, les entreprises et les citoyens.
Une taxe déchet à inclure dans les factures de la REGIDESO
Déjà, plusieurs pistes ont été proposées, notamment le partenariat relatif à la valorisation des détritus conclu avec le groupe Malta Forrest pour lequel le gouvernorat attend des détails de la présidence de la République afin de définir son implication dans sa mise en œuvre. Très bientôt, Kinshasa disposera également d’une stratégie propre de gestion et de traitement de déchets -collecte et valorisation. De plus, l’équipe Bumba espère obtenir du ministère des Affaires foncières des parcelles de terre à usage d’utilité publique pour installer des décharges découlant du nouveau système de collecte des déchets avec des stations mobiles -conteneurs mobiles- à enlèvement par camions ampirols à mettre en place. Les déchets collectés seront acheminés à la décharge finale de Mitendi dans la commune de Mont-Ngafula et d’autres incinérés.
La grande nouveauté proposée par Bumba pour la gestion des déchets à Kinshasa est l’évolution de la taxe d’assainissement auprès des ménages avec un nouveau mode de perception. Le gouverneur de la ville de Kinshasa envisage de solliciter l’insertion de ladite taxe dans la facturation de la REGIDESO afin de faciliter sa perception, en même temps que l’impôt foncier. Dans le même élan, la Direction générale des recettes de Kinshasa -DGRK- pourrait également se doter d’une direction pour la gestion des taxes liées à l’assainissement et à la protection de l’environnement. Les fonds collectés par cette direction pourront par la suite être injectés dans l’effort d’assainissement, au même titre que la contribution du gouvernement central à l’assainissement de Kinshasa, située actuelle à 2,6 millions de dollars le mois et qui devrait être renégociée. Autre proposition concrète dans la gestion des déchets, l’insertion, dans le système Sydonia de la Direction générale des douanes et accises -DGDA-, de la perception de la taxe sur la mise sur le marché des matières non biodégradables importées.
Le rêve de produire de l’électricité organique…
Pour encourager la main d’œuvre privée dans l’assainissement de la ville, le gouvernement provincial compte également mettre en place des mécanismes d’accompagnement des PME et ONG œuvrant dans la valorisation des déchets organiques en composts et briquettes de cuisson, des déchets plastiques en pavés écologiques. L’Hôtel de ville va ainsi négocier des partenariats orientés vers la transformation et la valorisation des déchets. Dans le même élan, Bumba rêve de la production de l’électricité sur place, à base des déchets organiques. Des facilitations, en concertation avec la SNEL, sont promis à tout opérateur intéressé dans la valorisation des déchets organiques en électricité. A ce jour, Kinshasa dépend intégralement du courant produit à Inga et Zongo, deux centrales hydroélectriques installées dans le Kongo-central. Cette forte dépendance place la ville dans une situation de déficit justifiant ainsi un régime de délestage. Pour plusieurs experts, le mix énergétique est la solution indiquée pour une ville à la taille de Kinshasa.
Guerre aux nuisances sonores
A Kinshasa, les ordures ménagères -restes alimentaires et autres matières putrescibles constituent environ 50% des déchets. Une aubaine pour les industries de transformation des déchets organiques en électricité. Pour le reste, les papiers cartons et les matières en plastiques de toutes sortes constituent environ 20% des déchets. La question des érosions sera également particulièrement scrutée par la nouvelle équipe. Avec son sol généralement sablonneux avec une faible capacité de rétention d’eau, Kinshasa voit pousser des érosions un peu partout. Une meilleure évacuation hygiénique des eaux usées se fait par les égouts, par les caniveaux, ou par les puisards est également prévu dans le programme Bumba. «La gestion des eaux pluviales est inexistante, soumise à aucune contrainte. Sous d’autres cieux, on récupère les eaux pluviales pour une réutilisation», constate le gouverneur qui se propose d’y remédier.
Dans un autre registre, Bumba veut également s’attaquer aux nuisances sonores. Dans la capitale, certains quartiers sont devenus invivables suite aux musiques assourdissantes des bars et églises. Le gouverneur se veut prudent sur cette question transversale aux conséquences variées qui «peuvent aller d’une gêne passagère mais répétée, à des répercussions graves sur la santé, la qualité de la vie et/ou sur le fonctionnement des écosystèmes». En plus des bars et églises de réveil, les nuisances sonores produites par les manifestations et évènements publics, les travaux et chantiers, les deuils et fêtes ou encore les automobiles -klaxons- sont également sur la sellette du gouverneur. «A Kinshasa, la majeure partie des quartiers subissent quotidiennement des tapages diurnes et nocturnes provenant principalement des débits de boissons et des églises. Cette pollution est à l’origine de beaucoup de plaintes et des conflits entre voisins ou entre communautés. Les conséquences de cette situation déplorable peuvent aller d’une gêne passagère, mais répétée, à des répercutions graves», note le gouverneur, déterminé à réguler ce secteur.
Des mesures idoines pour lutter contre l’insécurité et le phénomène Kuluna
La sécurité des Kinois a été érigée en priorité des Kinois. Bumba jure de faire de la capitale une ville «totalement sécurisée» en prenant des «dispositions et des mesures idoines» pour y lutter efficacement contre toutes les poches d’insécurité. Il est également prévu, dans ce programme, la mise en place des structures efficaces pour éradiquer ce fléau, d’abord en identifiant les points chauds sans police de proximité ainsi que les sites criminogènes où se vendent les boissons à forte teneur d’alcool et les stupéfiants. Pour une meilleure gestion et résolution des conflits à la base, Kinshasa va également virer dans une nouvelle ère des conseils provinciaux de sécurité avec la participation des chefs de quartier .
Pour mettre fin au phénomène Kuluna, il est prévu de renforcer la collaboration entre les Parquets et la Police nationale et d’organiser des audiences foraines à portée pédagogique dans les quartiers où opèrent les kuluna pour dissuader les téméraires. La ville va également «examiner la possibilité de réinsérer socialement le Kuluna et de faire un appel aux volontaires pour un apprentissage dans différents métiers». Dans ce chapitre de lutte contre le phénomène Kuluna, l’idée ingénieuse est sans doute celle de la création d’une unité dédiée de la police pour traquer ces bandits urbains. Avec cette unité, Kinshasa compte renforcer les patrouilles déjà existantes dans les zones à risque.
Un Kinois transformé pour mettre fin aux embouteillages
Sur la question de la mobilité, Bumba a sa petite idée. Ici encore, sa tactique passe par la transformation de l’homme. Dans une ville où la voirie est très délabrée, la priorité est de réhabiliter et reconstruire les artères de manière coordonnée, à travers un processus de la remise en état de l’ensemble des artères de la voirie urbaine. Mais avant, il est prévu une étude exhaustive de la modernisation de l’ensemble de la voirie urbaine dans le but de dégager l’impact financier global et de fixer la programmation technique des travaux qui seront exécutés de manière structurée. Dans le même élan, la ville va accompagner les travaux de construction des rocades. Près de 1000 km de routes pour moderniser et fluidifier la voirie urbaine.
Pour réguler la circulation et résorber les embouteillages, Kinshasa doit, de l’avis du nouveau gouverneur, se conformer aux normes internationales et se doter des moyens de transport de masse par une implémentation des projets de transport multimodal -routier, ferroviaire et fluvial. Bumba envisage ainsi de lancer une vaste opération pour désengorger les voies publiques des épaves encombrants. Cette opération va s’exécuter avec la collaboration des fonderies. Des axes à circulation alternée, de nouvelles voies à sens unique et même des voies réservées à la police, aux ambulances et aux officiels vont également voir le jour à Kinshasa. Le gouvernement Bumba compte en outre établir des plans particuliers de circulation pour les grandes artères en tenant compte de la variation des flux et de la gestion des intersections et carrefours et renforcer les dispositifs de signalisation -panneaux, feux, marquages au sol- sur les principales artères.
La problématique des mototaxis -wewa- n’a pas été oubliée par le gouverneur qui promeut un dialogue permanent avec les responsables des associations de conducteurs des motos et l’identification de tous les wewas. Dans un avenir proche, ces motards seront dotés d’un badge obligatoire. Certains auront une autorisation de circulation limitée à des communes bien déterminées. La capitale va également entrer dans une ère de diversification de moyens de transports avec la finalisation voulue par Bumba du projet MetroKin pour un transport de masse par tramway moderne. Le transport fluvial va également être promu, en plus du retour d’une société kinoise de transport.
Pour l’entrée des véhicules poids lourds, la ville de Kinshasa projette de transformer le poste de péage de Kasangulu en un port sec. Il est également prévu l’aménagement de gares routières ainsi que des arrêts de bus et aires de stationnement pour les véhicules et motos et la construction des parkings payants. Cependant, explique le gouverneur, «les aspects institutionnels et informationnels de la stratégie d’amélioration de la mobilité vont se concentrer sur les campagnes d’éducation civique des usagers en matière de mobilité et sur la création d’une structure propre à la ville, dédiée à la prévention et circulation routières», comme pour insister sur son attachement à la restauration du Kinois.
Dans cette ville de Kinshasa new-look rêvée par Bumba, les chauffeurs devront passer le test du permis et être recyclés, les véhicules en mauvais état seront interdits de circulation.