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Shonga, Siak, Mberero… : la guerre des terres enflamme l’ex-Kivu

Au Nord comme au Sud-Kivu, les conflits fonciers constituent des bombes à retardement. A Shonga, territoire de Masisi, la situation a pris un tour dramatique avec l’incendie d’une centaine de maisons et la mort de deux policiers commissionnés par un spoliateur protégé par la Justice
Avec les conflits armés qui ont décimé des âmes humaines dans l’ex-Kivu pendant près de deux décennies, ce sont les conflits fonciers qui, depuis bien longtemps, pourrissent la vie aux habitants de ce terroir mais passent inaperçus. Cette guerre des terres, qui enflamme des contrées entières dans l’ex-Kivu, pourrait embraser toute la région si l’on n’y prend garde. Des familles résignées, expulsées manu militari de leur milieu de vie, sont obligées de fuir, ne sachant où trouver refuge. Tout récemment, à Masisi dans la province de Nord-Kivu, près d’une centaine de maisons des paysans ont été brûlées. Conséquences: des milliers de personnes ont dû quitter ce territoire sans avoir une destination.
Enragée par la spoliation de leurs terres sur la colline située dans la localité de Lutoboo, la population de Shonga est montée au créneau. Elle dénonce la vente irrégulière et clandestine de leur colline par le planteur Djef Salumu à l’opérateur économique Claude Kahato. De mèche avec la Justice, ces deux concessionnaires ont saisi le TGI/Goma pour occupation irrégulière et sans qu’il y ait procès, un jugement clandestin a été rendu par défaut en défaveur de la population le 15 septembre 2015 et signifié les 2 et 5 octobre 2015.
Et en tout puissant, Kahato, protégé par la Justice, a, pendant que l’on attendait l’audience du 15 mars, obtenu une réquisition de la force composée des policiers et militaires pour un déguerpissement forcé des paysans. En dépit de l’arsenal militaire, 15 policiers et 20 militaires, mise en marche pour exécuter cet arrêt, la population, s’opposant à ces agents de l’ordre, les a amenés à user des armes et brûler une centaine de cases des paysans. Lors de ces accrochages, 5 paysans ont été arrêtés et transférés à l’auditorat de Goma, et la colline placée sous une haute surveillance. Mercredi 2 mars, des casques bleus de la MONUSCO sont partis s’enquérir de la situation. Pitié. Des paysans résignés, tous âges et sexes confondus, entreprennent de rebâtir leurs logis brûlés. «Des policiers commissionnés par Claude Kahato ont tout détruit ici. Sans tenir compte de nos conditions de vie et de nos droits, ils ont arraché les nos cases et les emportées après avoir mis le feu», raconte un témoin.
La présence des casques bleus a quelque peu donné du baume au cœur de ces paysans de retour sur les lieux grâce à une décision de l’autorité provinciale. Voilà qui a amené Olivier Muhima, fils d’Eugène Muhima, un illustre fermier du coin spolié par le même Kahato, à se joindre aux paysans en vue d’une solution globale.
Les Muhima sont les actionnaires principaux de la Société industrielle et agricole du Kivu -SIAK-, propriétaire de plusieurs biens fonciers dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu. Leur propriété de Kirotshe, jouxtant le village de Shonga, est également occupée par Kahato suite aux mêmes types de manœuvres dilatoires.
A en croire les Muhima, Kahato a acquis leur vaste terrain sur base d’un faux titre fondé, avec l’aide des agents corrompus du ministère des Affaires foncières, sur l’ordonnance n°74-152 du 2 juillet 1974 sur les biens abandonnés abrogée depuis 1984 par l’ordonnance n°84-026 du 2 février 1984. La concession des Muhima, rachetée depuis 1992 après une première cession en faveur de Monsieur De Chalvet Compte de Rochemontex en 1971, est un bien zaïrianisé, donc de la seule compétence du ministère des Finances. Alors que kes biens zaïrianisés ne sont pas du domaine des juridictions ordinaires, Kahato a fait condamner Eugène Muhima par défaut devant le TGI/Goma alors que ce dernier était mourant et se faisait évacuer pour des soins à l’étranger en 2012.
Les Muhima ont donc saisi l’autorité provinciale afin de se faire entendre étant entendu que leur propriété a été acquise par mesure de rétrocession. Ils brandissent, pour ce faire, toutes les pièces à conviction ayant couvert la longue procédure d’acquisition de leurs terres. Entre autres, des actes de cession entre les Belges Van Pee et De Chalvet, les premiers propriétaires, et des documents officiels délivrés tour à tour par l’ex-OGEDEP et le ministère des Finances.
La scène de la colline de Shango est quasi la même que celle vécue à Mborero, village situé à 10 km au nord de Bukavu, dans la province du Sud-Kivu. Une cinquantaine de familles, selon maître Ephrem Iragi qui défend un plaignant, se retrouvent à la rue depuis le 30 janvier dernier. Elles ont été déguerpies de ce village et plusieurs maisons ont été détruites par les forces de l’ordre. A en croire Ephrem Iragi, il y a eu un assaut de 250 militaires dans le village. Ces militaires sans mandat ni document officiel ont démoli des habitations. «Les familles survivent sans abri. Personne n’a jamais accédé à l’acte de propriété. On ne sait pas quand il a été signé», a-t-il déploré.
Natine K.
 

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