Bien que recadré par Vital Kamerhe suite à la non-observance des règles administratives de nomination au sein du Cabinet du Chef de l’Etat, l’assistant logistique Jean-Paul Mulamba Mutekemena a le mérite d’avoir mis le doigt dans la plaie en désignant clairement le cancer qui gangrène l’aviation présidentielle.
Bataille des camps autour du Président de la République, Félix Antoine Tshisekedi? Incompétence? Indiscipline? Un échange moucheté de correspondances en interne au sein du Cabinet du Chef de l’Etat vient de faire remonter à la surface un dossier sulfureux dont les professionnels de l’aviation civile en RD-Congo attendent impatiemment le dénouement.
Tout est parti de la nomination par l’assistant logistique du Chef de l’Etat Jean Paul Mulamba, d’un nouveau directeur des opérations de l’aviation présidentielle en la personne de Douglas Munganga Mudjambira. Par cet acte administratif du 04 mai 2019 posé par le fils du Général Mulamba, ancien Premier ministre de la République, cet aviateur est appelé à remplacer, toutes affaires cessantes, Charles Deschrijver aux commandes de ce poste sensible.
Vital Kamerhe et le strict respect de la hiérarchie et des normes administratives
La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre dans la ville d’autant plus que beaucoup de hauts responsables du pays en ont été saisis par ampliation. Il s’agit, entre autres, du conseiller spécial du Chef de l’Etat en matière de sécurité, du chef d’Etat-major de la Force aérienne, du directeur général de Congo Airways, du directeur général de la Compagnie Aérienne Africaine -CAA-, du directeur général de Service Air, du responsable technique de l’aviation présidentielle.
Dans les milieux de la profession de l’aviation civile RD-congolaise, des scènes de joie et d’allégresse ont éclaté un peu partout et le champagne a coulé à flots dans les villas cossues de nombreux opérateurs aériens. Mais ces réjouissances n’ont duré que le temps d’une rose. Et pour cause?
Vital Kamerhe Lwa Kanyinginyi Nkingi tient au respect de la hiérarchie et des normes parmi ses collaborateurs, surtout en matière de lettres administratives adressées à l’extérieur dont les correspondants officiels au sein du cabinet du Chef de l’Etat sont bien connus. Dès que la lettre portant nomination du nouveau directeur des opérations de l’aviation présidentielle lui est parvenue, le Dircab a aussitôt saisi sa plume pour recadrer son initiateur.
Bien qu’habilité à faire directement rapport de ses activités au Chef de l’Etat, notamment les missions lui confiées par la plus haute autorité du pays, et le cas échéant au directeur du cabinet, l’assistant logistique n’est pas compétent pour la prise d’actes de nomination au sein du cabinet du Président de la République. Cette prérogative revient exclusivement au Chef de l’Etat qui communique par le biais de son directeur de cabinet.
Coup de botte de Mulamba dans la ruche des abeilles
«Cette précision est de taille car très souvent des proches collaborateurs des animateurs des institutions de la République se croient tout permis jusqu’à poser de pareils actes que les textes règlementaires ne leur reconnaissent point», argumente un chevronné de l’Administration publique.
Cependant, du point de vue du fond, l’assistant logistique Jean-Paul Mulamba a le mérite d’avoir mis le doigt dans la plaie en désignant sans ambages le cancer qui gangrène l’aviation présidentielle. Il ne s’explique pas le fait que l’assistant logistique sortant du chef de l’Etat en la personne de Charles Deschrijver, nommé en son temps par l’Ordonnance présidentielle n°15/073 du 16 septembre 2015, du reste abrogée à ce jour, continue, faute de remise et remise, de poser des actes à ce titre, au vu et au su de tous, en toute illégalité, sans que personne ne lui demande une quelconque explication.
Voilà le pot aux roses. Plutôt que de laisser pourrir la situation, le patron de l’administration présidentielle aurait dû prendre les dispositions utiles en amont et éviter cette confrontation inévitable, l’un se croyant encore investi de toutes les prérogatives tant qu’il n’y a pas eu passation civilisée des pouvoirs, et l’autre se prévalant de tous ses droits en la matière.
De l’avis de certains observateurs avisés, après la mise en place des responsables de différents services de la Présidence de la République, il a fallu pousser la logique jusqu’au bout. Le Chef de l’Etat ayant lui-même donné le ton avec l’annonce du combat pour le déboulonnement de l’ancien système, l’opinion s’attendait à ce que soient écartés de son entourage immédiat tous ceux sur qui pèseraient de lourdes présomptions au risque de porter ombrage à son action.
Parmi les rouages-clé ciblés dans l’opinion figure l’aviation présidentielle confiée depuis l’accession du Président Laurent Désiré Kabila à la magistrature suprême de la Nation, entre les mains de Charles Deschrijver.
Usant de sa position dominante, ce cadre de la Présidence de la République s’est imposé comme le numéro un de l’aviation civile en RD-Congo, qui tire les ficelles dans l’ombre et par qui passent toutes les décisions de l’Autorité de l’aviation civile. C’est ce qui ressort des confidences glanées auprès des exploitants aériens approchés à l’aéroport de N’Djili qui épinglent la politisation à outrance de la gestion du pays, même dans un domaine de haute technologie où le moindre relâchement peut s’avérer fatal. Cet étau s’est toujours resserré autour des dirigeants qui se sont succédé à la tête de l’AAC/RD-Congo, contraints d’obéir au doigt et à l’œil à l’ancien assistant logistique, tout en érodant de manière substantielle leur marge de manœuvre.
Que ce soit pour la nomination d’anciens mandataires de Lignes aériennes congolaises, LAC-SARL, de l’importation d’aéronefs par les opérateurs aériens privés, de la construction des infrastructures aéroportuaires, des affrètements des vols VIP, de l’exploitation de l’espace aérien par qui que ce soit, des gestionnaires à la tête de l’AAC/RD-Congo, etc. le dernier mot lui est toujours revenu.
A titre d’illustration, les agents et cadres de Lignes aériennes congolaises ont encore fraîches dans la mémoire les instructions de Deschrijver relatives à la confiscation du Boeing 737-200 9Q-CLG, son tractage manu militari vers le hangar technique militaire de l’aéroport international de N’Djili, son clouage au sol ainsi que sa mise hors de portée du contrôle des dirigeants de LAC-SARL.
Et pourtant, ce moyen-courrier est le fruit de dur labeur des travailleurs de la compagnie aérienne nationale qui se sont sacrifiés pour son acquisition sur fonds propres ainsi que les travaux de révision générale -check C avancé- effectués à Perpignan, dans l’espace de l’Union européenne interdit aux aéronefs des compagnies aériennes placées sous la gestion de l’AAC/RD-Congo. Stocké de la manière que l’on connaît à N’Djili, pour ne pas faire ombrage à la nouvelle compagnie Congo Airways créée ex nihilo par le gouvernement des surdoués, l’aéronef «Amani» n’a jamais volé depuis son retour de la France suite aux injonctions irrationnelles du ministre des Transports Justin Kalumba dont l’ancien directeur des opérations de l’aviation a présidentielle a servi de bouclier.
Implication personnelle de Chef de l’Etat pour résorber la crise
De folles rumeurs ont circulé faisant état de la réquisition de ce B.737-200 d’une part par la Force aérienne, et d’autre part par la Commission électorale nationale indépendante -CENI- pour le transport du matériel électoral et du personnel pendant la période électorale du dernier trimestre 2018. Même si l’on a effacé les inscriptions Lignes aériennes congolaises, cet avion peint en blanc demeure toujours dans le patrimoine de la compagnie aérienne nationale.
Les dirigeants des sociétés aériennes congolaises privées telles que Hewa Bora Airways, CAA, Service Air, Gomair, Kin Avia, Air Kasaï, Air Tropiques… en ont vu des vertes et des pas mûres, car souvent butés à des vétos dont les tireurs des ficelles étaient tapis dans l’ombre, l’AAC/RDC étant dans l’incapacité de se dégager de cette étreinte venue des hautes sphères de décision. Or, dans ce secteur, elle a l’obligation de mettre tous les opérateurs aériens, privés comme officiels, aux pas et sur un pied d’égalité en rapport avec la règlementation internationale en vigueur plutôt que de laisser l’émergence des états d’âme et la corruption qui privent cruellement la RD-Congo de nombreuses opportunités de disposer d’une plus grande flotte adaptée à ses besoins.
Le Président de la République est appelé à sévir, à prendre le dossier de l’aviation présidentielle à bras le corps. Autant l’acte de nomination pris par l’assistant logistique Mulamba mérite d’être reporté et repris sous la signature du directeur de cabinet Vital Kamerhe, ce qui ne peut nullement constituer un casus belli, autant le magistrat suprême est tenu de nettoyer devant sa cour.
Certes, le management avisé interdit toute précipitation dans la prise des décisions de renvoi des collaborateurs de cet acabit tant que le gestionnaire n’a pas encore la pleine maîtrise du fonctionnement de tous les rouages et des dossiers.
Audit musclé de la gestion de l’ancien DO et inspections générales de toute la flotte présidentielle
Dans les milieux de la profession, les langues se délient pour recommander un audit musclé de la gestion de l’ancien directeur des opérations de l’aviation présidentielle Charles Deschrijver qui aura ainsi l’opportunité d’éclairer l’opinion sur tous les maux dont il est accablé à tort ou à raison, présomption d’innocence oblige. Les exigences des opérateurs aériens portent également sur les inspections de toute la flotte aérienne de la Présidence de la République dans le strict respect des dispositions pertinentes des constructeurs d’avions ainsi que des organes faîtiers de l’aviation civile internationale. Le personnel navigant ainsi que les techniciens de l’aviation présidentielle doivent se soumettre au renforcement des capacités -recyclage, remise à niveau, simulateur- de manière à disposer des licences à jour. Si l’aviation présidentielle donne le ton, qui d’autre peut se soustraire de cette contrainte?
Le directeur technique d’une compagnie privée de la place précise que, contrairement au tintamarre entendu ici et là sur l’âge des avions par des néophytes, les constructeurs d’avions ainsi que les organisations mondiales de l’aviation civile ont déjà réglé cette question avec des inspections rigoureuses -révisions générales et périodiques- qui permettent chaque fois à l’avion de gagner au moins cinq ans de vie supplémentaire. La République gagnera énormément en se pliant à cette discipline.
Il est aussi indiqué de mettre de l’ordre au sein de l’AAC/RD-Congo en confiant sa gestion entre des mains expertes et des vertébrés à l’abri des influences politiques. Sous d’autres cieux, tels que les Etats-Unis d’Amérique, lorsque la Federal aviation authority -FAA- prend une recommandation ou une décision, tous les opérateurs aériens se plient, en ce compris l’aviation présidentielle.
Il est plus que temps d’effacer l’hideuse image des commerçants qui exercent l’aviation civile en RD-Congo en lieu et place des professionnels du métier tel que révélé dans les rapports de l’OACI. La rigueur s’impose également dans le choix des aéronefs devant assurer les déplacements du Président de la République tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Si des Etats voisins moins nantis que la RD-Congo s’équipent substantiellement en termes d’aéronefs performants de nouvelle génération, d’infrastructures aéroportuaires de pointe, d’équipements up to date et d’un personnel judicieusement encadré pour la plupart par des cadres techniques RD-Congolais formés avec l’argent du contribuable, il n’y a aucune raison pour que le pays ne se place pas au diapason. Le Président doit également rappeler à l’ordre amis, connaissances et proches nommés au Cabinet mais qui ne savent pas tracer la frontière, la ligne de démarcation, entre les liens personnels et les fonctions officielles. D’aucuns estiment que les empoignades entre Kamerhe et Mulamba paraissent comme une bataille des camps. Tout ça déshonore malheureusement l’image de la Présidence de la République et de l’Institution Président de la République.
YA KAKESA