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À Lukula, le dernier voyage d’un proche a des allures surréalistes: la scène des cadavres transportés sur les motos !

Au départ des villages, le corps sans vie enveloppé dans un drap, pas du tout nettoyé, attaché entre deux ou quatre morceaux de bois, s’il n’est pas lié au motard en position assise, les deux pieds fixés à l’engin, avant d’être posé entre le conducteur et un accompagnateur à destination de l’unique morgue installée au chef-lieu du territoire, après parfois un parcours de 70 kilomètres…

A Lukula, sur la Route nationale 12, à près de 150 kilomètres au nord-ouest de la ville de Matadi, en République démocratique du Congo, le dernier voyage d’un proche a des allures dramatiques. Une véritable inhumanité, un vrai drame dans ce territoire aux routes défoncées et boueuses, où les morts sont transportés sur les motos, du lieu du décès à la morgue et de la morgue au cimetière. Des scènes surréalistes en plein 21ème siècle, constatées dans un reportage vidéo devenu viral, réalisé pour le compte de la chaine Youtube Célestine Ntula Tv. 

Au départ des villages parsemés à travers les cinq secteurs de Lukula, le corps sans vie enveloppé dans un drap, pas du tout nettoyé, attaché entre deux ou quatre morceaux de bois, s’il n’est pas lié au motard en position assise, les deux pieds fixés à l’engin, avant d’être posé entre le conducteur et un accompagnateur à destination de l’unique morgue installée au chef-lieu du territoire, après parfois un parcours de 70 kilomètres. Une fois à l’entrée de la morgue, les croque-morts se chargent de détacher, débarquer comme ils peuvent et placer le cadavre dans le frigo mortuaire.

Emouvant! Sur les images, aucune trace d’une civière, aucun dispositif de désinfection, excepté ce lavoir à mains dont, du reste, la journaliste-reporter est la seule à se servir. Ici, les gens ne se préoccupent pas du protocole concernant la gestion sûre de la conservation et de l’inhumation des personnes décédées, même si elles le sont d’une maladie réputée contagieuse. De retour de la morgue pour le cimetière, faute des routes et des corbillards, les familles éplorées recourent encore à des motos pour charroyer les cercueils soigneusement attachés à l’engin, couverts dans des sachets ou des bâches pour les mettre à l’abri des intempéries ou des poussières de sable.

Ce reportage interpellateur met en exergue un sérieux problème social, un malaise social. Tout en provoquant une quantité impressionnante de commentaires sur la toile, il symbolise les inégalités sociales entre les citadins et les villageois, plus que jamais délaissés, en même temps qu’il étale la défaillance des pouvoirs publics, qui semblent accorder peu d’importance aux besoins sociaux de base. Au-delà de l’influence de la modernité sur les habitudes des habitants de Lukula, ce récit pose la question des priorités dans les politiques publiques.

Comment peut-on offrir des véhicules haut de gamme à des personnes déjà nanties et oublier d’acquérir ne serait-ce qu’une morgue de cinq corps pour chaque secteur du territoire de Lukula, par exemple? Cette question renvoie au prix d’un frigo mortuaire: 1.500 dollars seulement pour une cellule réfrigérante pouvant conserver deux corps ou 30.000 dollars toutes taxes comprises pour une unité de neuf corps, Modèle Frima Morg990.

Et dire que Lukula n’est qu’un cas parmi les 145 que compte la République démocratique du Congo! Des échos en provenance de Lodja, dans le Sankuru, Sekebanza, dans le Kongo Central, font part des scènes similaires. Ces séquences atroces poussent à se demander s’il faut encore des discours moraux ou davantage de débats politiques pour, enfin, éveiller la conscience des autorités publiques à tous les niveaux.              

Indignation. C’est le sentiment qui envahit quand l’on fait face au sort réservé aux cadavres des humains à Lukula, un des territoires du Kongo Central, vaste de 3.270km2 et divisé en 5 secteurs, tous très éloignés de la seule morgue que compte cette bourgade. Ici, le transport des cadavres est fait au moyen des motocyclettes.

«C’est un problème réel: le transport des cadavres sur moto. C’est surtout dans les villages», affirme Richard Ndembo Mbeti, Coordonnateur de la Société civile Santé dans la zone de santé de Lukula et coordonnateur d’une ONGD. Comment cela se fait-il? Un habitant de Lukula explique: «Quand la personne décède, on ne nettoie pas à notre niveau. On la couvre d’un pair de draps et on l’embarque sur la moto. On attache ses pieds et on trouve une corde pour l’attacher au conducteur. Une autre personne monte derrière pour soutenir le cadavre».

Le choix de la moto n’est pas sans raison. Il est surtout fait par défaut au regard notamment de l’état piteux des routes reliant la morgue de Lukula aux différents villages du territoire. Mais, pas seulement. Ce choix est aussi influencé par le vent de la modernité qui a soufflé sur les villages de Lukula. «Jadis, on procédait à l’enterrement des corps, 24 heures après le décès. Aujourd’hui, avec le vent de la modernité, les gens, même dans les villages, cherchent à placer les cadavres dans la morgue et préparer l’enterrement. Par conséquent, quand il y a décès, on va tout faire, quelle que soit la distance à parcourir, pour amener le corps à la morgue», raconte Richard Ndembo Mbeti.

Morts deux fois!

Une détermination telle que ni l’état des routes ni la carence des morgues moins encore la distance à parcourir, ne semblent ébranler, tant la volonté ou la tentation d’organiser des obsèques dignes des citoyens du monde au XXIème siècle, est forte. «Dans notre territoire de Lukula, plus précisément dans les secteurs, les routes sont vraiment délabrées. Même les voitures ne savent pas rouler sur ces routes pour atteindre la morgue. C’est comme ça que les gens, voulant suivre la modernité pour préparer l’enterrement du cadavre, l’amènent sur moto sans cercueil jusqu’à la morgue», tente d’expliquer Richard Ndembo.

Il faut, pour certains, parcourir jusqu’à «plus de 70km pour se rendre à la morgue» déposer un corps et, plus tard, déployer la même énergie pour chercher le corps en vue de l’enterrement. Puisqu’il faut utiliser la moto, certains motards se sont spécialisés dans le transport des cadavres. «Les gens se sont spécialisés pour placer le cercueil sur la moto et ramener le corps au village», renseigne le Coordonnateur de la Société civile Santé dans la zone de santé de Lukula, signifiant que certains villages de Lukula «ont bénéficié de la réhabilitation des routes et utilisent les 4×4».

Malgré cela, il y a un hic: les cercueils sont emballés en sachet. Pourquoi? «Quand on a un 4×4, on emballe le cercueil à cause toujours de l’état de la route. Il y a des marécages, de la poussière tantôt il y a des glissements… C’est ce qui fait qu’on emballe le cercueil avec le sachet pour que ça puisse quand même être propre, parce qu’on ne peut pas enterrer quelqu’un avec de la saleté», explique un habitant de Lukula.

Autant de pratiques qui questionnent sur le sens donné au respect des morts en RD-Congo. Des scènes effroyables qui se déroulent sous le nez et la barbe des autorités, dont le silence et l’inaction s’apparentent à la résignation, à la complicité sinon au soutien à ces pratiques. «Cette réalité ne s’observe pas qu’à Lukula. Dans d’autres territoires voire villes de la RD-Congo, on vit les mêmes choses. C’est le cas de la ville de Lodja dans le Sankuru où les cadavres sont transportés sur des motos», confie à AfricaNews un habitant de la ville de Lodja en vacances à Kinshasa, non sans s’interroger si l’Etat de droit ne devrait concerner que les vivants et les citadins.

«L’Etat de droit, c’est aussi pour villageois. C’est aussi pour les morts qui ont droit au respect au même titre que les vivants. Aux autorités de se pencher sur cette triste réalité qui déshonore ceux qui seront toujours chers pour nous», soutient-il. Il en ressort pour certaines personnes qu’en RD-Congo, les morts meurent deux fois tant ils sont humiliés, déshumanisés même après leur départ pour l’au-delà. «Que reste-t-il alors du respect des morts en RD-Congo?», s’interrogent-elles.

LOI

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