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En RDC, le parcours chaotique de la proposition de loi «la plus raciste au monde»

Abusivement dénommée « loi Tshiani » du nom de son promoteur officiel, puis « loi Pululu » du nom du député qui la porte, la proposition de loi visant à écarter des fonctions électives et administratives les Congolais qui ne seraient pas nés à la fois de père et de mère congolais, inspirée de la tristement célèbre loi sur l’ivoirité, devrait être débattue par les députés en séance plénière dans les prochaines semaines. En violation du règlement de l’Assemblée nationale, de la Constitution et du droit international et sans considération pour ses effets, potentiellement explosifs. Explication.

1) Quel est l’objet officiel et officieux de cette proposition de loi ?

Cette proposition de loi vise à réserver l’accès aux plus hautes fonctions – dont la Présidence de la République – aux seuls Congolais nés de père et de mère congolais. Si elle était votée, elle priverait d’accès au postes dits de « souveraineté » les Congolais naturalisés ou nés d’un seul parent congolais, mais aussi les Congolais mariés à un étranger. Les postes concernés sont ceux de président de la République, chef des institutions telles que le Sénat, l’Assemblée nationale, la Cour constitutionnelle, la Cour de cassation, la Direction générale de migration (DGM) ou encore de l’Agence nationale de Renseignement (ANR), ainsi que les grades des généraux de la police et de l’armée. Du jamais vu depuis l’Apartheid en Afrique du Sud !

Officiellement suscitée par Noël Tshiani, homme politique originaire du Kasaï oriental (comme Félix Tshisekedi), cette proposition de loi est portée à l’Assemblée par le député USN Nsingi Pululu. En réalité, le texte est « sponsorisé » par Félix Tshisekedi et son entourage qui tirent les ficelles en coulisse. Il vise à écarter de la course à l’élection présidentielle, supposée se tenir fin décembre 2023, Moïse Katumbi, l’homme politique le plus populaire du pays, originaire de Kashobwe dans le Haut-Katanga, né d’un père juif grec et d’une mère congolaise de sang royal. Dans les urnes, à la régulière, Félix Tshisekedi, dont le bilan à la tête de la RDC est famélique, sait n’avoir guère de chance de l’emporter face à l’ex-gouverneur du Katanga.

2) Pourquoi cette proposition de loi viole le règlement de l’Assemblée nationale ?

Cette proposition de loi n’est pas nouvelle. Elle avait déjà été déjà été déposée en juillet 2021 à l’Assemblée. Le texte avait été rejeté, un mois plus tard, par le bureau d’études de l’hémicycle, qui l’a estimé en contradiction avec les articles 10 et 72 de la Constitution : le premier consacre l’exclusivité de la nationalité congolaise quand le second énumère des conditions d’éligibilité à la présidentielle. Or, ces dernières semaines, à quelques mois de la date de l’élection présidentielle, le texte a fort opportunément refait surface. Dans une scène digne du théâtre de boulevard, Noël Tshiani a appelé les élus « à prendre leurs responsabilités pour sauver le pays contre les infiltrations » et demandé à Christophe Mboso, le président de l’Assemblée nationale, de mettre sa proposition de loi à l’agenda de la nouvelle session parlementaire. Ce que celui-ci, dans un scénario cousu de fil blanc, s’est empressé de faire : « Je traduirai fidèlement l’expression de la volonté [de Noël Tshiani] aux honorables députés », a-t-il promis. C’est ainsi que le texte a été inscrit à l’ordre du jour pour discussion en séance plénière durant la session parlementaire de mars à une date restant à déterminer… en violation du règlement de l’Assemblée nationale. En effet, un texte qui a été rejeté en commission ne peut être proposé à nouveau dans les mêmes termes ou dans des termes similaires à l’examen en commission et a fortiori inscrit pour débat lors de la séance plénière.

3) Cette proposition de loi est-elle conforme à la Constitution ?

Non. Le bureau d’études de l’Assemblée nationale, pourtant dirigé par des pro-Tshisekedi, qui s’est penché sur le sujet l’a clairement expliqué dans un long argumentaire le 25 septembre 2021 (voir documents ci-dessous). Pour retranscrire ses termes dans la loi, il faudrait donc modifier la Constitution. Or, c’est impossible car la RDC, en raison de la guerre à l’est, est depuis mai 2021, pour certaines parties de son territoire, sous état de siège. Or, sur ce point également, la Constitution est très claire : « Aucune révision ne peut intervenir pendant l’état de guerre, l’état d’urgence ou l’état de siège (…) », dispose-t-elle dans son article 219.

4) Cette proposition de loi est-elle conforme au droit international ? 

Outre le fait de violer quantité de conventions internationales adoptées par la RDC, ce texte, qui supposerait de modifier la Constitution, bafoue également la charte de l’Union africaine, dont le pays est signataire, qui interdit formellement de réviser la Constitution en année électorale. Ce qui est le cas en RDC puisque la date officielle de l’élection présidentielle, quand bien même elle serait repoussée, est fixée par la Constitution : décembre 2023.

5) Quid des conséquences politiques à l’intérieur du pays comme à l’international?

La RDC n’étant pas un Etat de doit au sens strict du terme, c’est moins du côté juridique que politique qu’il faut considérer les effets d’une potentielle adoption de cette proposition de loi. Sur le plan intérieur, cette proposition de loi mettrait le feu au poudre dans un pays où les ethnies et les tribus cohabitent les unes avec les autres et où il suffit d’une étincelle pour tout embraser. Il existe d’ailleurs un précédent pas si lointain dans l’espace et dans le temps, comme le rappelle un câble diplomatique émanant d’un grand pays occidental daté du 25 mars dernier. « Cette proposition de loi (sur la congolité) est un décalque de la loi sur l’ivoirité qu’a fait adopter en 2000 Laurent Gbagbo pour écarter Alassane Ouattara de la présidentielle. Elle va même beaucoup plus loin (…) », souligne le document, ajoutant que « Les conséquences (de la loi sur l’ivoirité) ont été dramatiques ». Gravée dans le marbre de la Constitution ivoirienne du 23 juillet 2000 par le truchement de son article 35, la loi sur l’ivoirité prévoyait que le président de la République « doit être ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine. » Il ne faut pas chercher plus loin l’inspiration de la proposition de « loi sur la congolité », bientôt débattue à Kinshasa par les députés à l’Assemblée nationale.

Félix Tshisekedi, qui tire les ficelles dans cette affaire, ira-t-il jusqu’au bout, à l’instar de Laurent Gbagbo sorti de l’Histoire par la petite porte ? Dans une interview accordée à VOA Afrique en septembre 2021, le chef de l’Etat congolais avait déclaré mezzo voce qu’être Congolais de père et de mère n’était pas un « critère suffisant pour servir son pays de manière loyale ». Des propos qu’a garde en mémoire ce très haut-diplomatique américain. « Si (Félix Tshisekedi) se contredisait, ce n’est pas Monsieur Katumbi qu(‘il) écarterait du processus électoral, c’est la RDC qu’il mettrait au banc de la communauté internationale », mettait-il en garde récemment au sujet de ce qu’un de ses homologues européens a qualifié en petit comité de « loi la plus raciste au monde ».

Au plus mauvais moment pour Félix Tshisekedi qui cherche désespérément le soutien de cette communauté internationale pour l’aider à régler le conflit à l’est. Mais il y a pire. L’adoption de la « loi sur la congolité » pourrait bien apporter de l’eau au moulin du M23 qui, dans sa rhétorique, affirme, à tort ou à raison, que les Banyamulenge (tutsis congolais) sont déjà, depuis des années, victimes dans leur pays d’une forme de ségrégation.

ANNEXES

Courrier adressé en juillet 2021 par le député Nsingui Pululu au bureau de l’Assemblée national, et curieusement reçu en 2023, les accusés de réception faisant foi:

Réponse argumentée envoyée par le bureau d’études de l’Assemblée nationale au député Pululu en septembre 2021 :

Avec «congolibere.com»

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