Sur Twitter, le juriste Fréderic Bola, ancien magistrat et ancien conseiller juridique au ministère des PTT, demande si le Dircaba du Président de la République ignore qu’il y a un Premier ministre, chef du gouvernement, comme stipulé par l’article 90 de la Constitution, et sous l’autorité duquel se trouvent les ministres, comme prescrit à l’article 93 de la Constitution… L’interpellation en dit long!
La Présidence de la République a appelé la ministre de la Fonction publique à rapporter son arrêté du 16 avril 2020 portant mise en place et affectation des 58 Secrétaires généraux de l’Administration publique. La décision est contenue dans une correspondance datée du 27 avril 2020, adressée à la ministre Yollande Ebongo Bosongo par le Directeur de cabinet du Président de la République, Eberande Kolongele, évoquant une instruction du Chef de l’Etat, soutenant que l’arrêté visé est en contradiction avec plusieurs dispositions de la Loi, dont celle portant sur le statut des agents de carrière de services publics de l’Etat.
Mais seulement, le courrier du Dircaba de Félix Tshisekedi est à l’origine d’une vive controverse. L’auteur, avocat et professeur de Droit économique de son état, essuie de vives critiques de la part d’autres praticiens du droit, qui insinuent un déficit d’information dans son chef. Sur Twitter, le juriste Fréderic Bola, ancien magistrat et ancien conseiller juridique au ministère des PTT, demande si le Dircaba du Président de la République ignore qu’il y a un Premier ministre, chef du gouvernement, comme stipulé par l’article 90 de la Constitution, et sous l’autorité duquel se trouvent les ministres, comme prescrit à l’article 93 de la Constitution. L’interpellation en dit long! Bola a donc su dénombrer les fautes que le Dircaba a commises contre la Constitution et par lesquelles il a voulu enfiler les habits du chef du gouvernement.
Sur le même réseau social, un autre juriste s’est amusé à faire l’inventaire des monstruosités contre la Constitution et la Loi qui rattrapent le Professeur Eberande dont les arguments ou articles évoqués ne tiennent pas la route. Pour lui, le Dircaba parait confondre les actes de disposition quand il parle de l’article 81 concernant,entre autres, la nomination des hauts fonctionnaires par le Président de la République pour critiquer une mise en placelégalement opérée par la ministre de la Fonction publique. Il cite l’article 19 de la Loi n°16/013 du 15 juillet 2016 portant statut des agents de carrière de services publics de l’Etat concernant les actes d’affectation pris pour un agent nouvellement admis sous statut pour tenter de l’appliquer à des Secrétaires généraux ayant déjà gravi tous les échelons. Il donne aussi l’impression de vouloir une chose et son contraire quand il évoque l’article 4 de l’Ordonnance 82-029 du 19 mars 1982 portant Règlement d’administration relatif à la carrière du personnel des services publics de l’Etat, le même qui donne au ministre de la Fonction publique les pouvoirs d’affectation des fonctionnaires de l’Etat.
Pas de confusion entre nomination et mise en place!
Un député national jadis membre de la Commission PAJ est d’avis que le professeur Eberande Kolongele se rend coupable d’une immixtion injustifiée dans un domaine, le droit administratif, dont il ne semble avoir aucune maitrise. «En droit, il vaut mieux rester dans son domaine de spécialisation. En fait s’il était du domaine, il ferait la part des choses entre la promotion en grade ou nomination des hauts fonctionnaires -compétence du Chef de l’Etat- et mise en place, mise à la disposition d’autres ministères, raison d’efficacité, qui sont de la compétence du ministre de la Fonction publique, seul responsable de son ministère», assène le député. Cet élu, par ailleurs enseignant en Droit à l’Université de Kinshasa, affirme aussi que «rien ne permet à un membre du Cabinet du Président de la République à donner des ordres aux membres du gouvernement».
Deux possibilités s’offrent à Kolongele: passer par le Premier ministre ou le Conseil d’Etat
Un ancien gouverneur de province, lui aussi expert en Droit, rappelle à Eberande Kolongele que l’administration obéit aux principes et qu’en Droit administratif, le principe qui régit cette matière s’appelle la théorie de l’acte contraire. Dans le cas d’espèce, «la Présidence de la République devrait s’adresser à l’autorité hiérarchique supérieure qui a le pouvoir d’annuler l’acte administratif pris par son collaborateur ou son subalterne», explique l’expert, précisant que le Dircaba du Président de la République n’est pas compétent pour ordonner l’annulation d’un arrêté ministériel. Sauf si la Présidence de la République ou son Collège juridique a une lecture unilatérale de la Constitution différente de celle d’autres Institutions. Sauf obstination à vouloir torpiller la Loi mère pour défendre une bavure.
Selon les juristes, la Présidence de la République a par contre deux possibilités pour obtenir le rapport d’un acte administratif pris contra legem. La première, administrative, passe par le pouvoir du Premier ministre, chef hiérarchique du ou de la ministre. La seconde, judiciaire, implique la saisine du Conseil d’Etat, la seule juridiction compétente pour annuler pareil acte. Côté gouvernement, on se contente de faire comprendre à Eberande que l’Administration publique est apolitique, neutre et impartiale. Selon le statut régissant les agents de carrière des services publics de l’Etat, spécialement ses articles 5-7, 72 et 87, les Secrétaires généraux ayant été soumis au concours et ayant été réussi en ordre utile ont été nommés de droit par ordonnance du Chef de l’Etat. La ministre de la Fonction publique a fait sa part en signant la mise en place et l’affectation des Secrétaires généraux nommés en 2018 par l’Ordonnance n°18/143 du 27 décembre 2018. Surtout que les syndicats ont formulé une demande expresse dans ce sens en vue de mettre un terme au régime des intérimaires à la base du dysfonctionnement au sein de l’Administration publique et préserver la paix sociale. On explique aussi que le communiqué de la Présidence de la République du 25 janvier 2019 portant suspension des mouvements du personnel -nominations, affectations ou permutations- est tombé caduc depuis que le Chef de l’Etat lui-même a procédé, plusieurs fois, à des nominations à divers niveaux et dans différents secteurs, notamment dans les entreprises publiques, l’Armée, la Magistrature, à l’ANR et à la DGM. On veut aussi savoir si une telle mesure suspensive a encore sa valeur plus d’un an après et surtout après la publication de l’Ordonnance fixant les attributions des ministères. Moralité: Eberande doit retenir qu’au sommet de l’Etat de telles indélicatesses sont dangereuses étant donné que le droit à ce niveau sent la poudre. La ministre de la Fonction publique ne saurait être blâmée pour s’être passée de cet «ordre mal donné» et qui tend à violer le principe de séparation des pouvoirs. Même pas le professeur Eddy Tshimanga, docteur en Sociologie et conseiller honoraire à l’ex-Cour suprême de Justice proche des thèses de l’UDPS, qui a conclu en privé que son collègue professeur Eberande a fauté, recommandant utilement la lecture des articles 28 et 62 de la Constitution. Le premier dispose que nul n’est tenu d’exécuter un ordre manifestement illégal, le deuxième stipule que nul n’est censé ignorer la Loi et que toute personne est tenue de respecter la Constitution et de se conformer aux Lois de la République. Mardi, la ministre de la Fonction publique, requinquée, a béni la notification des Secrétaires généraux récemment mis en place.
YA KAKESA