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Congolité: Étienne Tshisekedi avait aussi dit non! (Tribune de Belhar Mbuyi)

L’objectif de l’initiative, assène le journaliste, est aussi visible que le nez au milieu du visage: éliminer Moïse Katumbi Chapwe de la prochaine présidentielle. «Le nier reviendrait à se cacher derrière son petit doigt», dit-il…

Rédacteur en chef du journal Le Potentiel, Belhar Mbuyi, aujourd’hui journaliste indépendant, avait écrit en 2002 un article intitulé «La rançon de l’ivoirité». Il dénonçait cette idéologie née de la volonté d’éliminer un rival -l’ancien PM Alassane Ouattara- de la présidentielle mais qui a débouché sur la division de la Côte d’Ivoire, voire à la persécution d’une partie du peuple ivoirien considérée à tort comme étrangère. Alors que le débat sur la Congolité refait surface en République démocratique du Congo, à la suite de l’initiative d’un compatriote réputé avoir une double nationalité, congolaise et américaine, soutenu par une minorité des leaders d’opinion, Belhar Mbuyi a le courage de dire que le projet, «visible comme le nez au milieu du visage», vise à écarter Moïse Katumbi Chapwe de la prochaine présidentielle. Plus original, le confrère sort un argument susceptible de faire mouche et de toucher les consciences de tous ceux qui se réclament de l’idéologie tshisekediste: la position du chef historique de l’UDPS, Étienne Tshisekedi wa Mulumba d’heureuse mémoire, disant non à tout débat sur la Congolité. «Il faut éviter cet esprit qui voudrait pratiquer la discrimination contre les gens à cause de leurs origines raciales, ethniques ou provinciales. Nous trouvons ce langage rétrograde, les origines n’apportent rien au développement d’un pays, car on n’est pas plus intelligent selon qu’on est de telle ou telle origine», avait prévenu le lider maximo, cité dans l’article publié par le quotidien Le Potentiel.   Belhar Mbuyi, le même, a repris sa plume alerte pour sonner le tocsin contre ce concept d’une extrême toxicité, dans un pays déjà laminé par la division et par deux décennies des conflits armés, comme pour dire aux et aux autres: «Ne faites pas retourner Étienne Tshisekedi dans sa tombe»! Tribune.

Rédacteur en chef du journal «Le Potentiel», je publiais dans l’édition numéro 2633 du mercredi 25 septembre 2002, une chronique intitulée «La rançon de l’ivoirité». J’y dénonçais cette idéologie qui, partie de la volonté d’éliminer un rival -l’ancien PM Alassane Ouattara- de la présidentielle, avait abouti à la division du pays, voire à la persécution d’une partie du peuple ivoirien considérée à tort comme étrangère. J’écrivais, à cet effet: «C’est cela la rançon de l’ivoirité, cette doctrine que ne désapprouverait ni Le Pen ni Heider. Initiée par Bédié, récupérée par Gueï, elle a été renforcée par Gbagbo qui y trouve le seul moyen de sauvegarder un pouvoir pitoyablement minoritaire en indexant une bonne partie de la communauté ethnique Dioula comme étrangère, en fonction de leurs patronymes et de leur confession musulmane. Ainsi sombre, sous les yeux des Africains médusés, un pays qui avait pourtant toutes ses chances». Seize ans plus tard, je publiais un livre sur la Côte d’ivoire, intitulé «Qui a -réellement- remporté la présidentielle ivoirienne de 2010? Vérité des urnes et de jure» -Ed. Jets d’Encre, Paris, juillet 2018, 388 pages. La deuxième partie de ce livre est intitulée: «Comment un pays fatigué d’être stable s’invente une crise». Au chapitre 5, «Les débuts de l’ivoirité», je qualifie cette idéologie de «concept mortifère», avant d’en détailler aussi bien l’origine que les méfaits qu’elle a engendrés comme conséquences. C’est donc en demeurant fidèle à mes convictions que je me fais le devoir d’élever la voix contre l’initiative dite de «congolité», copiée presque mot pour mot, sur l’ivoirité, que trimbale M. Noël Tshiani Kabamba Muadianvita, soutenu par l’acteur de théâtre populaire Kadiombo Bilonda et, c’est le comble, le défenseur des droits de l’Homme Jean Claude Katende de l’Asadho.

Même objectif

Ici comme là-bas, l’objectif est le même: éliminer un adversaire de taille à la présidentielle comme, du reste, Laurent Gbagbo avait fini par le reconnaître lors du Forum de la réconciliation nationale de 2001: «Mais oui, l’article 35 de la Constitution a été fait pour éliminer Ouattara». Or, la Constitution, loi fondamentale du pays, autant que les autres lois, doit demeurer impersonnelle et viser uniquement le bien du pays. Nous en avons vu les conséquences en Côte d’ivoire: le pays qui avait été l’oasis tant chanté de paix, de stabilité et de progrès est vite devenu l’épicentre du chaos, de la guerre et des divisions ethniques. En RD-Congo, l’objectif de l’initiative est aussi visible que le nez au milieu du visage: éliminer M. Moïse Katumbi Chapwe de la prochaine présidentielle. Le nier reviendrait à se cacher derrière son petit doigt. Si, avant de plonger dans le chaos, la Côte d’ivoire était l’exemple de la stabilité, la RD-Congo actuelle est tout le contraire: c’est un pays laminé par des guerres à répétition; l’état patauge dans une déliquescence d’où le nouveau président essaie de le sortir; plus de 120 groupes armés nationaux et étrangers écument toute la partie Est, massacrant, pillant et violant à hue et à dia; des Bakata Katanga ne rêvent que de faire voler l’unité nationale en mille morceaux… On peut donc se demander comment, dans un tel contexte, des esprits équilibrés peuvent vouloir en rajouter à ce chaos généralisé! Non, il faut dire non à cette initiative dangereuse, qui risque d’être fatale au pays lui-même. Pour plusieurs raisons.

Politiquement dangereux

D’abord: quel est l’intérêt d’une telle initiative? Quel problème cette congolité est-elle censée résoudre? En soixante ans d’indépendance, la RD-Congo, pourtant parmi les mieux dotés en richesses naturelles de la planète, est par terre. La majorité de la population survit à peine avec 1 dollar par jour. Actuellement, ce sont 16 millions de personnes qui ont besoin d’une assistance alimentaire d’urgence. Pourtant, depuis l’indépendance, ce pays a toujours été dirigé par des présidents nés de pères et de mères congolais! Alors, quel est l’intérêt de créer une césure entre les citoyens, avec une proposition de changement de la Constitution qui va inutilement déchirer le tissu social d’un pays encore si fragile? Ensuite: en plein vingt-unième siècle, quand tout le monde progresse sur le plan des mentalités, après la présidence d’Obama -né d’un père kenyan- aux Etats Unis, de John Rawlings -né d’un père écossais- au Ghana, de Nicolas Sarkozy -né d’un père hongrois et d’une mère grecque- en France, d’Ian Khama -née d’une mère anglaise- au Botswana, comme imaginer que des esprits ténébreux veulent nous renvoyer à marche forcée vers le néolithique? Enfin, depuis la colonisation de notre pays à ce jour, il n’a jamais été fait de discrimination entre les Congolais de naissance, au motif de l’origine de l’un ou l’autre parent de tel ou tel. On peut, à la limite, comprendre une différenciation entre les Congolais d’origine et ceux naturalisés. Mais entre Congolais d’origine, même la dictature du maréchal Mobutu n’a jamais osé créer de divisions. Aussi, chercher à introduire pareil clivage entre Congolais est politiquement dangereux, stratégiquement aventureux, éthiquement exécrable, moralement hautement condamnable. Il appartient aux parlementaires de mesurer la gravité de leur responsabilité en refusant d’endosser une initiative aussi scabreuse et périlleuse pour l’avenir du pays.

Respecter la pensée d’E. Tshisekedi

Encore une fois, je dis non. Et j’exhorte chacun de nous à dire «Non» à cet arriérisme de mauvais goût. Car ce dont le peuple congolais a besoin, ce n’est pas de susciter en son sein d’inutiles et supplémentaires divisions, mais des dirigeants à la hauteur de l’ambition de grandeur du pays, capables de lui procurer le bonheur auquel il a légitimement droit. Que l’un ou l’autre de leurs parents soit venu du Kiribati dans le Pacifique ou du Kirghizistan en Asie centrale, peu importe: à partir du moment où l’on est né Congolais, on est Congolais d’origine: on a l’âme congolaise, la même pour tous les fils et filles du Congo. Le peuple doit pouvoir se choisir ses dirigeants sans la moindre discrimination, conformément à cette pensée d’Etienne Tshisekedi: «Il faut éviter cet esprit qui voudrait pratiquer la discrimination contre des gens à cause de leurs origines raciales, ethniques ou provinciales. Nous trouvons ce langage rétrograde. Les origines n’apportent rien au développement d’un pays, car on n’est pas plus intelligent selon qu’on est de telle ou telle origine».

Belhar MBUYI

Journaliste indépendant

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