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Affaire rétro-commission de 12 millions Usd : le montage financier décrypté

Des révélations récentes ont fait état d’une dette de 80 millions Usd que le Gouvernement a contractée auprès de la Rawbank pour rembourser une créance des sociétés pétrolières. Seulement, cet engagement de l’État semble être intervenu dans une précipitation suspecte et en marge des procédures admises en termes de gestion de la dette publique.

Après recoupement des faits et informations glanés ça et là, et après analyse de documents ayant fuités, Econews est en mesure de retracer les principaux faits en six (6) étapes successives :

Étape 1. Les négociations avec la Rawbank et les pétroliers.

Des négociations ont eu lieu pour obtenir de la Rawbank qu’elle prête à l’État congolais la somme nécessaire pour financer le paiement des pétroliers. Cette banque a affiché une capacité de financement de seulement 80 millions Usd pour cette opération. Elle a marqué son accord quant à ce.

Selon une source proche du dossier, qui s’est confié sous le sceau de l’anonymat à Econewe, les négociations à cette étape ont impliqué la Présidence de la République, le ministère de l’Économie nationale, l’incontournable inspecteur général des Finances – Chef de service ainsi que les principaux responsables des sociétés pétrolières et la Rawbank. Les ministères des Hydrocarbures et étrangement celui des Finances n’ont pas été impliqués aux négociations.

Étape 2. Instructions simultanées de la Présidence et du ministère de l’Économie.

Après avoir obtenu une suite favorable de la Raw-bank, le directeur de cabinet intérimaire du Chef de l’État a alors saisi le ministre des Finances par sa lettre n°0210/01/2021 du 22 janvier 2021, pour lui transmettre directement et sans passer par le Premier ministre, l’instruction de la «Haute Hiérarchie» de tous mettre en œuvre pour payer de toute urgence la créance due aux pétroliers, selon les modalités définies par le ministère de l’Économie nationale.

Une observation attentive relève qu’aucune copie n’a été réservée au Premier ministre, chef du Gouvernement, qui est pourtant la personne habilitée à répercuter les instructions du Président de la République à ses ministres.

Faisant suite au courrier du directeur de cabinet intérimaire du Chef de l’État, la ministre de l’Économie a réagi à cette correspondance et à la même date étrangement. Bizarrement encore, aucune copie n’a été réservée au Premier ministre, chef du Gouvernement.

En effet, par sa lettre n°0042/CAB/MIN/ECONAT/ABM/2021 du 22 janvier 2021, Mme Bandubola a transmis au ministre des Finances les informations sur le montant à payer ainsi que la liste des sociétés bénéficiaires.

Le montant concerné est de 80 millions Usd. Il est reparti entre les pétroliers, dits Majors (COBIL, ENGEN RDC, TOTAL RDC, SEP CONGO, SOCIR et SPSA COBIL) avec 78,5 millions Usd et les pétroliers nationaux regroupés au sein du CPPN/GNPP pour un total de 1,5 millions Usd. Mais cette lettre ne donne aucune précision sur la répartition des 1.5 millions US entre les différentes sociétés membres du CPPN et du GNPP.

Par ailleurs, aucune mention n’est faite sur les termes précis de l’arrangement trouvé avec la Rawbank s’agissant du taux d’intérêt, des délais de remboursement et d’autres conditions d’amortissement de la dette. À ce stade, la nature exacte de l’engagement de l’État vis-à-vis de cette banque reste donc opaque et aucun accord de prêt n’avait été formellement signé.

Étape 3. Actions informelles de l’Inspecteur Général Des Finances – Chef de service

L’inspecteur général des Finances – Chef de service, Jules Alingete, s’est alors chargé de prendre des contacts informels avec le ministre des Finances pour lui indiquer que le paiement sollicité par le directeur de cabinet intérimaire du Chef de l’État et la ministre de l’Économie nationale, sera couvert par une dette déjà négociée et validée par la Rawbank. Sa mission consistait essentiellement à informer le ministre des Finances que la Rawbank, ayant déjà négocié les conditions de l’endettement à un autre niveau, tout ce que l’argentier national avait à faire était de saisir cette banque par lettre, pour l’instruire de payer les pétroliers, selon la répartition transmise par le ministère de l’Économie nationale.

Cette forme de pression a été  maintenue jusqu’à ce que le ministre des Finances exécute l’instruction lui transmise. À en croire la lettre du ministre des Finances n°CAB/MIN/FINANCES/FIS/2021/0148 du 28 janvier 2021, adressée au directeur général de la Rawbank, on remarque que les conditions et les termes précis de l’arrangement trouvés avec la Rawbank ne lui ont pas été communiqués et semblent visiblement lui échapper totalement.

Étape 4. Tentative d’élaboration d’un accord de prêt avec la Rawbank.

Après recoupement, Il nous parvient qu’une tentative d’élaboration d’un accord de prêt avec la Rawbank a été mené par le ministère de Finances. Une séance de travail a réuni des experts de la Présidence de la République, du ministère de l’Économie et du ministère des Finances pour plancher sur la question et rédiger un projet d’accord de prêt précisant les modalités et clarifiant la nature de l’engagement de l’État vis-à-vis de la banque.

Nos sources indiquent de la Rawbank n’a pas répondu à cette invitation et que ces échanges n’ont pas abouti à l’élaboration d’un quelconque accord. Les raisons du non-aboutissement de cette tentative infructueuses sont certainement à chercher du côté des pressions politiques exercées sur ce dossier.

Sur ce point précis, l’inspecteur général des Finances – Chef de Service est encore une fois pointé du doigt, en se posant la question de savoir en quelle qualité il a agi directement ou indirectement sur ce dossier.

Étape 5. Instruction de paiement des 80 millions Usd aux pétroliers

C’est en absence d’un accord de prêt et dans une opacité relative sur les conditions d’endettement que le ministre des Finances a finalement saisi la Rawbank, visiblement pour répercuter les instructions qu’il a reçues sur ce dossier.

En examinant minutieusement sa lettre n°CAB/MIN/ FINANCES/FIS/2021/0148 du 28 janvier 2021, on se demande comment l’argentier national peut-il ignorer les conditions d’une dette qu’il est censé contracter au nom de l’État, sachant qu’il est tenu par des engagements stricts dans le cadre de la coopération avec le Fonds Monétaire International (FMI) concernant notamment la gestion de la dette publique ? Cette situation surréaliste ne saurait s’expliquer autrement que par des pressions politiques. Sur cette question, le ministère des Finances devra s’expliquer.

À ce jour, aucune réaction n’a encore émané du ministère des Finances sur ce dossier, alors qu’au ministère de l’Économie nationale, on multiplie des sorties médiatiques pour se racheter. En vain !

Il apparaît qu’à ce jour un montant de 78,5 millions Usd a été payé aux pétroliers, dits Majors (COBIL, ENGEN RDC, TOTAL RDC, SEP CONGO, SOCIR et SPSA COBIL) et aux autres acteurs du secteur regroupés au sein du CPPN et GNPP qui n’ont pas encore touché les 1,5 millions Usd, censés leur revenir.  Sur ce point, la ministre de l’Économie nationale a de nouveau saisi le ministre des Finances par sa lettre n° 0153/CAB/MIN/ECONAT/ABM/PLM/dld/2021 du 19 mars 2021, pour préciser la répartition de 1,5 millions Usd réservés aux pétroliers nationaux, membres du CPPN et du GNPP.

Nos sources au sein de ces regroupements indiquent qu’aucun paiement n’a été effectué à leur profit à ce jour et que le dossier traînerait encore sur la table du ministre des Finances en attente de sa signature.

Étape 6. Paiement de 75,8 millions et retenue de la rétro-commission à la source.

Des sources proches du dossier indiquent que sur les 78,5 millions Usd décaissés par la Rawbank pour rembourser les pétroliers, ces derniers n’auraient effectivement perçu que 67 millions Usd. Près de 12 millions Usd aurait ainsi été retenus au niveau de la banque pour ensuite être reversés à certains responsables publics impliqués dans l’affaire. Cette approche utilisée pour camoufler le paiement de la rétro-commission n’est malheureusement pas parfaite.

En effet, sachant que le montant sollicité par le ministère de l’Économie pour les pétroliers «majors» était de 78,5 millions d’USD, si la banque a effectivement décaissé ces 78,5 millions Usd, il serait dès lors aisé de vérifier les montants effectivement perçus par les sociétés pétrolières concernées.

Si le montant perçu par ces dernières est différent du montant décaissé par la banque, on se demandera alors où est passée la différence !

Il apparaît que cette affaire semble en tous points similaire à celle de 15 millions Usd volatilisés en 2019 et jamais retrouvés jusqu’à ce jour.

Un silence coupable

Considérant le précédent fâcheux sur le scandale de 15 millions Usd, pourquoi un cas aussi flagrant et relativement aisé à élucider n’attire-t-il pas l’attention de l’Inspection Générale des Finances ?

N’aurait-il pas été plus indiqué pour le Gouvernement de négocier directement avec les pétroliers qui sont ses partenaires, pour éviter de charger les maigres finances de l’État avec une dette onéreuse et évitable ? Pourquoi l’État s’est-il endetté auprès de la Rawbank pour rembourser la dette des pétroliers qu’il aurait pu aisément amortir en utilisant les mêmes ressources qu’il s’engage désormais à affecter au remboursement de la Rawbank ?

Tous les spécialistes consultés sur la question sont unanimes sur le fait qu’un tel montage est à la fois intelligente, injustifié et représente un indice sérieux de corruption et détournement de fonds publics.

Subsidiairement, ces mêmes spécialistes se demandent pourquoi l’avis technique de la Direction Générale de la Dette Publique (DGDP) n’a pas été requis avant d’engager l’État dans cette nouvelle dette ? Il appartient à la DGDP, en sa qualité d’organe technique du Gouvernement, d’évaluer la soutenabilité des dettes de l’État avant qu’elles ne soient contractées, et d’assurer le suivi général du portefeuille de la dette. Dans le contexte actuel, l’avis de la DGDP est particulièrement important, étant donné que la RDC a pris des engagements contraignants vis-à-vis de ses partenaires extérieurs, le FMI et la Banque mondiale, s’agissant du plafonnement des emprunts non concessionnels.

Tous les éléments semblent réunis pour que la Justice se saisisse de cette affaire afin que toute la lumière soit faite.

Avec Econews

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