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Hillary Clinton perd alors qu’elle recueille plus de voix que Donald Trump: les dessous d’un système électoral archaïque

Le collègue électoral des grands électeurs fait partie de l’histoire des Etats-Unis, mais pose de plus en plus de problèmes. Si l’élection s’était déroulée en France, le mode de scrutin l’aurait désignée gagnante. Selon, «HuffPost», pour la quatrième fois dans l’histoire des Etats-Unis, les grands électeurs vont choisir un président que le peuple n’a pas désigné majoritairement.
 
«Hillary Clinton est la première femme présidente des Etats-Unis». Cette phrase aurait dû tourner en boucle sur toutes les chaînes d’information, mercredi 9 novembre, si ce pays fonctionnait avec un suffrage universel direct, comme la France.
 
En effet, la candidate démocrate a remporté, selon toute vraisemblance, quelque 55,9 millions de voix, plus de 200.000 de plus que son rival. Le décompte final des voix prendra encore quelques jours, mais l’écart est tel que la projection est quasi-certaine.
 
Pour autant, le 45ème Président des Etats-Unis sera Donald Trump. C’est la quatrième fois que cela arrive dans l’histoire du pays. Et à chaque fois, le bénéficiaire fut républicain. Pourquoi? A cause de ce fameux système des grands électeurs. Les citoyens américains ne votent pas directement pour le président, mais choisissent quels grands électeurs vont voter pour le candidat de leur camp, et ce dans chacun des 50 Etats. Surtout, il suffit d’obtenir la majorité de 0,1% pour que tous les grands électeurs d’un Etat basculent.
 
Ainsi, les 61% d’électeurs qui ont voté pour Hillary Clinton en Californie ont eu le même effet que si seulement 50,1% avaient voté pour elle. Trump a donc réussi à utiliser ce système électoral compliqué, en pariant sur des Etats clés -swing states, notamment-, pouvant basculer, pour s’imposer, même si la majorité des électeurs américains a pourtant voté pour Hillary Clinton.
 
Ce système semble archaïque et inégalitaire. Il l’est certainement -et des manifestants l’ont dit quelques heures après l’annonce du résultat, demandant pour certains une réforme du mode de scrutin. Mais il n’existe pas sans raison.
 
Une République avant d’être une démocratie
 
«Il faut bien comprendre qu’avant 1830, les Etats-Unis ne sont pas une démocratie, mais une République», rappelle au «HuffPost» Pierre Guerlain, professeur de civilisation américaine. «Au début, les penseurs américains se méfient de la démocratie, synonyme de chaos». Historiquement, les grands électeurs étaient simplement nommés par les Etats composant le pays, sans processus d’élection. C’est ce que prévoit la Constitution. Le vote s’est mis en place progressivement, répondant à un besoin de représentativité démocratique, ce qui abouti au système mis en place en 1830 et encore d’actualité aujourd’hui, à peu de choses près.
 
Comme l’avait si bien noté Alexis de Tocqueville en 1835, la démocratie américaine ne s’est pas créée par le haut, par l’idée de la nation, mais par le bas: d’abord au niveau des villes, puis des comtés, des Etats, et enfin du gouvernement fédéral.
 
«L’objectif du système des grands électeurs était d’éviter la domination de certains Etats puissants et très peuplés», rappelle Pierre Guerlain. Une égalité des différents Etats plutôt que des citoyens.
 
Cela donne donc un avantage aux petits Etats ruraux. D’autant plus que ceux-ci disposent, au minimum, de trois grands électeurs. Comme le rappelle Vox, actuellement, un électeur du Wyoming dispose d’un poids électoral 3,5 fois plus important qu’un électeur du Texas.
 
Un système qui avantage les Républicains…
 
Le système électoral américain est «une construction inachevée», estime Pierre Guerlain, pour qui «les Etats-Unis ne sont pas, sur ce plan, un modèle de démocratie». Surtout que cet état de fait avantage le parti républicain.
 
En effet, les quatre présidents des Etats-Unis élus grâce aux grands électeurs mais n’ayant pas remporté le vote populaire national sont tous Républicains. Deux d’entre eux ont été élu au XIXème siècle et il faudra attendre le duel Al Gore – Bush, en 2000, pour que le cas de figure se présente une nouvelle fois. Un cas de figure rare, mais qui risque de se multiplier à l’avenir.
 
«Les petits Etats ruraux avantagés par ce système sont en majorité composés de Blancs plutôt que de minorités», rappelle Pierre Guerlain. Or, ceux-ci votent plutôt républicain. Et les choses ne sont pas mieux pour les élections du Sénat et de la Chambre des représentants. Ici aussi, les petits Etats disposent de plus de représentants que les grands, par rapport au nombre d’habitants.
 
De plus, «les gouverneurs locaux déterminent le découpage électoral pour les élections du Congrès. Or, la majorité des Etats sont contrôlés par les Républicains», note Pierre Guerlain.
 
… Et qui n’est pas prêt de changer
 
Et le problème devrait empirer dans les années à venir. En 2016, Clinton a surperformé dans les Etats majoritairement démocrates, de plus en plus peuplés, notamment de jeunes et de minorités. Mais que le candidat gagne un Etat avec 1 ou 30 points d’avance, le résultat est le même.
 
Mais si ce système de grands électeurs est si peu représentatif, pourquoi perdure-t-il après plus de deux siècles? Tout simplement car un changement aussi important du système est plus qu’improbable. Pour passer un amendement constitutionnel, les deux tiers du Congrès doit le valider, de même que 38 Etats, rappelle Vox. Il est donc impensable que des petits Etats valident un changement des règles en leur défaveur.
 
De plus, ce débat n’est pas prioritaire dans le système politique américain, «le rôle de l’argent cristallise bien plus de tensions», explique Pierre Guerlain. Pour autant, certaines initiatives existent. Il serait même possible de respecter le suffrage universel direct des citoyens américains sans changer la Constitution, précise Vox.
 
En effet, celle-ci ne précise pas comment doivent être nommés les grands électeurs. Un système a donc été imaginé où les Etats s’engagent à ce que ses grands électeurs vote pour le candidat qui a remporté le plus de suffrage dans l’ensemble des Etats-Unis.
 
10 Etats, représentants 165 grands électeurs, ont même déjà accepté ce système. Mais pour qu’il rentre en application, il faut qu’il soit accepté par suffisamment d’Etats pour totaliser 270 grands électeurs. Or, sur tous les Etats ayant accepté ce changement, pas un républicain ni un «swing states», les précieux sésames de l’élection qui concentrent l’attention. Et, encore une fois, il y a peu de chances que ceux-ci acceptent un changement qui ne leur sera assurément pas bénéfique.
 
www.huffingtonpost.fr

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