ActualitésTribune

Tribune – Parlementaires asexués

Un incident parlementaire important -mais probablement sans importance politique majeure- s’est produit devant nos yeux la semaine dernière: interrogé, document à l’appui, par la sénatrice Bijoux Goya sur un aspect de gestion des fonds de l’Institution -nous n’entrons pas dans les détails de cette affaire- le président du Sénat Alexis Thambwe Mwamba a choisi la manière forte pour couper l’herbe sous les pieds de la trop curieuse interpellatrice: il a opté pour l’anti-débat. Ainsi crucifiée publiquement, les ailes coupées par une humiliation qui portera longtemps préjudice à la carrière politique de l’élue de Katanga,  Mme Goya a mis genoux à terre: on l’a vue, lors d’une interview, tirer son mouchoir et éponger les larmes d’un désastre sans nom dans les annales de notre Institution parlementaire. Le vainqueur  de ce derby est, sans nul doute, le président du Sénat. Mais sa victoire s’est trouvée ponctuée, le dimanche 03 mai 2020, par le soutien lui apporté par 23  sénateurs-femmes membres des FCC: un désaveu cinglant de leur collègue Bijoux Goya, qui est loin d’arrêter sa descente aux enfers.

C’est ici qu’intervient notre réflexion qui se veut exclusivement scientifique, sans aucune coloration politique. En manifestant publiquement en désaveu de leur collègue, les 23 sénateurs-femmes des FCC -appelons-les provisoirement ainsi-, ont posé un acte dont l’importance scientifique ne semble pas encore apparaître évidente à tous: elles ont procédé à l’a-grammaticalisation (!) du langage politique congolais. Comment et pourquoi?

L’opération linguistique qui consiste à dire «Madame la ministre», «docteure» au lieu de «doctoresse», «ingénieure», «avocate», «aviateure», «professeure», etc., ressortit certes à une conjoncture féministe de la conquête d’une identification appropriée à certaines fonctions d’apparat assumées par les femmes. Ces dernières ne veulent plus être taxées de «sexe faible», parce que, estiment-elles, cette féminisation -en disant «faible»-, les assimile aux sous-hommes -presque-, en tous cas aux «moins-hommes». La modalisation grammaticale -masculin, féminin, neutre- qui procède des langues anciennes notamment le latin -dominus, domina- et le grec -katholicos, katholica-, semble à l’origine de la perte, à travers les âges, de certains avantages et plus tard de certains droits qui devaient être reconnus aux femmes. Le «féminisme» aujourd’hui, comme mode de penser, d’agir et d’être, tend à dénier cette modalisation suspecte et à devenir une philosophie, à tout le monde une éthique; et nul ne penserait à empêcher nos épouses et nos filles à revendiquer ce qui est légitime: l’adéquation entre la qualification et l’emploi, l’assomption paritaire des postes d’appui et de direction, l’égalité de rémunération des charges assumées.

Or voici: en soutenant le président du Sénat au nom d’une appartenance politique, et, parallèlement, en désavouant leur collègue femme sur la même base, les sénateurs-femmes des FCC ont fait publiquement fi du règlement intérieur qui interdit à un parlementaire  de s’en prendre à la dignité et l’honorabilité d’un collègue. Bien plus, cette action engagée par ces élues membres d’une plate-forme politique, foule aux pieds, de manière insidieuse volontaire, certains prescrits de la Charte des Nations-Unies -et d’autres dispositions pertinentes- relatives à la violence à éviter de causer à l’être humain appelé «femme». Du coup, et sans doute sans le savoir, elles se sont déclarées sénateurs-asexués, agissant aux mêmes titres et qualités que leurs collègues mâles: politique, rien que politique; plus aucune autre considération de quelque nature que ce soit  -éthique, géopolitique, culturelle, scientifique même au regard de la notion du complexe utérin définie par Lévi-Strauss dans sa célèbre thèse sur les Structures de la parenté- n’a été jugée digne d’empêcher leur geste.

La sémantisation (!), entendez: la signification à donner à leur action, est d’avoir contraint la langue française et la collectivité nationale à cesser de les appeler «sénatrices», mais simplement «sénateures»: la différence avec leurs collègues hommes n’étant plus fondée que sur des questions de forme, pas de fond: modes de paraître, pas d’être -habillement, intonation de la voix, une coquetterie qui serait désormais fausse et cafarde. Devenues parlementaires asexués par leur seule volonté de déni de leur identification physique naturelle, les 23 sénateurs-femmes ont perdu, juridiquement, le droit d’être dénommées «sénatrices», mais «sénateures» -ce qui ne change d’ailleurs rien à leurs prérogatives de parlementaires de la Chambre haute. Au Sénat de tirer toutes les conséquences d’une telle déformation -anatomique- artificielle: une déformation de type règlementaire. Désormais, elles ne devront plus siéger en qualité des femmes, et traitées comme telles. Elles devront abandonner toute revendication promotionnelle justifiée par la parité ou le quota. Et le port d’un accoutrement différent de celui de leurs collègues hommes devrait être tenu pour quelque chose de banal et d’insignifiant.

En définitive, du point de vue de la doxa universitaire, il est clair qu’une telle agrammaticalisation de la dénomination de la fonction sénatoriale en RD-Congo, doit être prise en compte dans  le langage politique tout comme dans la praxis de l’écriture officielle.

Professeur MASEGABIO NZANZU 

Université Pédagogique Nationale

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page