Interview

Kabala Muana Mbuyi: «Kinshasa peut mobiliser USD 100 millions aux JDF comme lors du combat Ali-Foreman»

Pierre Célestin Kabala Muana Mbuyi Muadiamvita est journaliste spécialisé en sports. Sur le plan international, il assume les fonctions du Secrétaire général Trésorier, fonctions diplomatiques, au sein de l’Union des journalistes sportifs africains -UJSA. Il est également président de l’Association des journalistes sportifs du Congo -AJSC. Plusieurs fois conseiller au ministère des Sports et loisirs et de la Jeunesse, ce journaliste chevronné a  été au cœur de l’organisation du combat du siècle Ali-Foreman, en 1974, dans la commission de presse. En 2008, il a été la cheville ouvrière de l’organisation des états généraux des sports en RD-Congo. 71 ans révolus, PC Kabala est aujourd’hui élu à la retraite à la «RTNC» au sein de laquelle il fût directeur général adjoint. Actuellement, il s’occupe de la rédaction des ouvrages à publier. Dans une interview accordée à AfricaNews,  il a livré ses impressions sur l’organisation des Jeux de la Francophonie  -JDF- à Kinshasa en 2021. Entretien.

Le Premier ministre sortant, Bruno Tshibala, a annoncé l’organisation des JDF à Kinshasa en 2021. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle?

J’ai accueilli cette nouvelle avec à la fois enthousiasme et préoccupation. Enthousiasme parce que cela va hisser notre pays sur le plan international après la guerre qui a envahi l’Est du pays. Notre pays aura une autre image contrairement à celle de la guerre qu’on a toujours véhiculée. Et avec préoccupation parce que ce sont des défis énormes qu’il faut relever pour organiser ces Jeux de la Francophonie chez-nous. L’événement ayant une portée internationale, plusieurs paramètres doivent être pris en compte. Sa réussite dépend d’investissements énormes en termes d’infrastructures, de temps de préparation. Construire, réhabiliter ou acquérir.

Pensez-vous qu’à l’étape actuelle, la RD-Congo dispose-t-elle des infrastructures adéquates pour accueillir ces JDF?

C’est la guerre des nerfs. Mais devant la volonté de l’homme, les défis ne peuvent que valoir ce que vaut la volonté dégagée par les instances nationales au plan politique et des possibilités de développement. J’ose croire qu’en acceptant de remplacer le Canada qui devait organiser les jeux et qui a désisté compte tenu des sommes énormes qu’implique l’organisation, la RD-Congo doit avoir une motivation de s’assumer d’autant plus que beaucoup de pays n’acceptent pas d’organiser ces jeux au vu du coût qu’ils nécessitent. Parce qu’il s’agit de la renaissance d’une nation, la RD-Congo. Je crois qu’il y a lieu de réunir toutes les intelligences pour pouvoir dégager, malgré le délai très court imparti. Toutefois, dans le passé, ce pays a su relever ces défis parce qu’en 1974, l’organisation du combat du siècle entre Mohamed Ali et George Foreman a été décidé par le Président Mobutu 7 mois avant son organisation. Et, dans ce délai, le pays a pu se battre pour le faire avec un léger retard d’un mois dû à un incident: un compétiteur s’était blessé lors de ses entrainements.

Vous avez été dans l’organisation de ce combat, qu’est-ce qui a fait qu’il puisse réussir?

C’est d’abord la philosophie politique de l’époque et la volonté politique des dirigeants de notre pays. Puis, la dignité de l’homme noir. Mobutu voulait faire connaitre le Zaïre comme le pays avait changé d’appellation et l’opinion internationale avait du mal à le situer géographiquement, car elle ne connaissait que l’appellation du Congo. Le championnat de boxe catégorie poids lourds n’était organisé qu’aux Etats-Unis d’Amérique à l’époque. Et l’Europe qui ne l’avait jamais organisé a été jalouse de constater que la RD-Congo, pays noir, puisse décider de l’organiser. Tout a été organisé sans le concours d’un expert européen sur tous les plans. Les JDF sont une occasion propice pour réveiller la conscience de chacun pour bâtir un Congo plus beau qu’avant en termes d’infrastructures. La Côte d’Ivoire a déboursé USD 40.000 pour organiser ces jeux chez elle avec 43 pays. La RD-Congo doit débourser plus.

Parce qu’on parle de plus de 3000 jeunes qui viendront d’environ 88 pays francophones pour  prendre part à ces jeux ?

Voilà. De 43 en Côte d’Ivoire à 88 pays en RD-Congo, le chiffre a doublé. Les JDF consistent à réunir les jeunes et les vieux, car il y a des échanges interculturels dont les aspects tournent autour des symposiums, conférences, la présentation ou expositions des livres et l’artisanat. Le pays peut sortir tout ce qu’il y a de potentiels en art et en artisanat. Chaque pays amène ce qu’il a et on le compare. On organise une sorte de foire artisanale et artistique. Puis, il y aura de concours d’éloquence, des jeux populaires, etc. Ce qui demande des infrastructures adéquates et une production audiovisuelle de qualité. Dans la tradition, ces jeux sont attribués à une ville. C’est ainsi qu’on parle, par exemple, de Kinshasa.

Ces jeux doivent-ils impliquer tout le monde pour réussir?

Bien sûr que oui. Seul, le Président de la République ne peut rien faire. Il faut l’apport de chacun de nous. Comment voulez-vous que le Chef de l’Etat puisse passer dans un hôtel pour dire au serviteur que quand un client commande quelque chose, il ne peut attendre pendant 15 à 20 minutes ? Les mentalités de RD-Congolais doivent changer. Les médias doivent jouer leur rôle et sensibiliser l’opinion sur la citoyenneté et les bonnes manières. Nous voulons que ces jeux puissent constituer un nouveau départ pour notre pays.

Selon le gouvernement, le village des JDF sera érigé à la Foire internationale de Kinshasa -FIKIN. Ce site est-il adapté?

Pour moi, ce lieu est contigu. Cette FIKIN est aujourd’hui envahie par d’autres constructions. Et, à l’intérieur de la foire, plusieurs activités s’exercent. En mon sens, on aurait pu disposer d’un village des JDF en réfectionnant la Cité de la N’Sele. Ça sera un meilleur investissement pour redonner de la vie à cette cité qui a eu à recevoir beaucoup de gens et qui a un cadre approprié: salle des conférences et un grand nombre de visiteurs peuvent être logés là-bas si toutes les villas sont réhabilitées étant donné que l’énergie électrique y est plus stable qu’au Centre-ville. Pour d’autres activités, nous avons les stades des Martyrs et Tata Raphaël. Je pense aussi qu’avec dérogation au Palais du peuple pour des spectacles et les concours d’éloquence. En organisant les JDF, les moralisateurs doivent comprendre qu’il faut, à travers ces jeux, relancer la bonne éducation du RD-Congolais, c’est-à-dire  la citoyenneté.

Et les moyens doivent être disponibilisés…

Il y a beaucoup de méthodes pour y arriver. Il y a celle des fonds souverains qui a aidé beaucoup de pays à construire des infrastructures gigantesques. C’est-à-dire faire appel aux fonds internationaux. Nous avons des sociétés internationales qui peuvent construire un palais des sports en une année par exemple. Il y a aussi les emprunts ordinaires sans oublier la loi de la programmation ainsi que le sponsoring.

Compter sur les contributions statutaires et individuelles, les choses ne seraient-elles pas résolues?

Les contributions statutaires sont celles venant, par exemple, du Comité international de la Francophonie. Il y a également des pays membres et des privés qui peuvent apporter leurs contributions. Mais le financement essentiel vient du pays hôte. Pour y arriver, il faut tout budgétiser. On peut partir de l’exemple de la Côte d’Ivoire qui a dépensé USD 40 millions. Elle avait déjà beaucoup d’infrastructures, mais nous, nous sommes en retard et que pouvons-nous faire. C’est pourquoi le Canada s’est désisté. On peut dire que Kinshasa aura besoin d’USD 100 millions comme à l’occasion du combat Ali-Foreman. Les références sont là. En ce moment, on peut en profiter et disposer des infrastructures qui puissent pousser notre population qui sort de la guerre à s’impliquer dans les activités sportives en lui disant: «fait le sport et non la guerre». Cultuellement, la RD-Congo a des valeurs à transmettre au monde aux JDF.

Selon vous, quel peut être le profil du président du Comité d’organisation des Jeux de la Francophonie?

Primo, le président du Comité d’organisation ne devrait pas être un politique. Nous avons de fils de ce pays qui ont l’expérience, la vision et des talents. Trouvons un monsieur qui ne vient pas pour faire la propagande infidèle ou celle de son parti, mais qui sait que c’est pour l’honneur de la RD-Congo. Il doit rassembler toutes les compétences. Secundo, il faut que les médias s’impliquent. Nous en appelons aux organisateurs des JDF de mettre des professionnels à tous les niveaux et non des politiques pour éviter que les fonds soient dilapidés comme on a l’habitude.

Propos recueillis par

Miriam MBUESHIet Naomie MUSASA

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