L’assassinat de l’ancien ministre et député Chérubin Okende a provoqué un électrochoc qui dépasse largement les frontières de la RD-Congo comme le montrent la pluie de réactions indignées à l’international. Ce drame intervient dans un contexte de persécution par le régime de Félix Tshisekedi de l’opposition, en particulier des proches de Moïse Katumbi, opposant le plus redouté par le pouvoir. Le 30 mai dernier, son bras droit, Salomon Kalonda, a été violemment arrêté et jeté en prison. Jeudi 13 juillet, ses avocats en Belgique, Me Alexis Deswaef et Dimitri de Beco, se sont pour la première fois exprimés publiquement, annonçant déposer une plainte devant la Commission nationale des droits de l’Homme -CHDH- et un recours pour détention arbitraire à l’ONU. Une première étape qui provoque déjà des résultats. Interview -éclairante- avec Me Deswaef, avocat respecté au Barreau de Bruxelles et à la CPI.
Tout juste deux heures après la fin de votre conférence de presse jeudi à Bruxelles, et alors qu’il ne s’était rien passé depuis 31 jours, l’Auditorat militaire a informé M. Kalonda qu’il serait auditionné le lendemain. Après avoir joué la montre, Kinshasa semble subitement pressé de rouvrir le dossier…
Nous avons été surpris de voir que quelques heures seulement après la conférence de presse les choses bougeaient enfin dans la procédure de Salomon Kalonda. On ne peut s’empêcher d’y voir une forme de panique et d’improvisation en réaction aux faits, clairement établis, qui ont été dénoncés lors de notre conférence de presse. Une impression renforcée par le fait que les autorités judiciaires congolaises font manifestement deux pas en avant, trois pas en arrière. Elles voulaient entendre Salomon Kalonda le soir de la conférence de presse avec un nouveau magistrat instructeur -qui n’est plus le colonel Willy Lukusa, NDLR. Ce magistrat semble avoir fait marche arrière et l’audition de M. Kalonda n’est plus à l’ordre du jour. Tout ça est très surprenant… Cette même impression de panique et d’improvisation qui semble saisir les autorités judicaires à Kinshasa frappent également, semble-t-il, les autorités politiques à en juger par leur réaction suite à l’assassinat de Chérubin Okende.
48 heures à peine après votre conférence de presse, on vient d’apprendre la libération de Franck Diongo arrêté le 19 juin dernier et dont les rumeurs, alimentés par les autorités, indiquaient à l’époque qu’il y avait des liens avec le dossier Salomon Kalonda. Un hasard de calendrier ?
Comme pour Salomon Kalonda et Chérubin Okende, l’impression que les autorités sont guidées par la panique et l’improvisation vaut aussi pour la libération de Franck Diongo. Cette libération est une très bonne nouvelle. J’espère qu’elle présage d’une libération toute prochaine de Salomon Kalonda. Il faut également une enquête sérieuse sur l’assassinat de Chérubin Okende. Ce crime horrible ne peut rester impuni.
En attendant, avez-vous eu des contacts depuis la conférence de presse avec des responsables de la CNDH devant laquelle une plainte a été déposé ou d’autres personnes représentant l’Etat congolais ?
Non, suite au dépôt de la plainte jeudi matin, qui fait cinq pages et qui est très détaillée, nous n’avons reçu aucune nouvelle. La plainte a été envoyée par courriel à l’adresse de la CNDH qui l’a manifestement bien reçue car nous n’avons pas eu de message d’erreur et l’adresse, nous l’avons vérifiée, est bien la bonne. Dans le cadre de notre déplacement prévu début août à Kinshasa, nous espérons pouvoir rencontrer les responsables de la CNDH qui, il faut le souhaiter, auront d’ici-là commencé leur enquête et mené leurs investigations.
Lors du Conseil des ministres vendredi 14 juillet, Félix Tshisekedi a dit qu’il avait demandé à son ministre de la Justice de prendre contact avec les autorités belges pour être associé à l’enquête sur l’assassinat de Chérubin Okende… Qu’est-ce que cela signifie-t-il au juste?
Notre conférence de presse de jeudi a pris une autre dimension avec la découverte quelques heures plus tôt du corps sans vie de Chérubin Okende dont il a naturellement été question lors de notre conférence […] Ce qui m’a frappé dans cette tragédie, c’est d’abord le temps mis par les autorités politiques congolaises pour réagir: 36 heures après la confirmation de l’assassinat de M. Okende, comme si on ne savait pas quoi dire, quoi faire face à un événement dont on se sentirait responsable pour ne pas dire plus. En outre, il est étonnant de dire: «nous allons associer les autorités belges à l’enquête sur l’assassinat» alors qu’on entend en permanence le reproche d’ingérence de la part de la Belgique ou d’autres pays dans les affaires de la RD-Congo. Il y a là une profonde contradiction qui témoigne, je l’ai dit, d’un sentiment de panique et d’improvisation. Comme si M. Tshisekedi réalisait qu’il pouvait perdre le soutien extérieur qui lui restait encore et qu’il sollicitait l’aide des autorités belges dont je me demande bien comment elles pourront s’associer à l’enquête sur l’assassinat de Chérubin Okende. C’est très surprenant.
Si le recours à l’ONU pour détention arbitraire et la plainte à la CNDH ne portaient pas leurs fruits, imaginez-vous d’autres actions en Justice, plus directement devant un tribunal belge ou autre?
L’option d’une plainte en Belgique sur base de la loi de compétence universelle telle qu’amendée est une des pistes à l’étude, car des liens de rattachement existent qui rendent possible une action en Belgique. Mais nous espérons que notre plainte devant la CNDH et notre recours devant l’ONU pour détention arbitraire aboutissent. Le dossier Salomon Kalonda est l’occasion pour les juges RD-congolais de montrer leur indépendance, leur capacité à respecter et appliquer les procédures. Si la justice RD-congolaise fonctionne normalement, le magistrat militaire devrait aboutir à la conclusion qu’il n’est pas compétent pour connaître du cas de M. Kalonda qui est un civil. Son dossier devrait être renvoyé devant un juge de l’ordre civil. Dans un Etat de droit où la Justice est réellement indépendante, c’est comme cela que les choses se passeraient.
Vous avez cité le général Christian Ndaywel Okura, le chef des renseignements -ex-Demiap-, lors de la conférence de presse. D’autres personnes sont-elles dans votre viseur?
Oui, le général Ndaywel a été cité nommément dans la plainte déposée à la CNDH car c’est lui qui a fait arrêter et mettre au secret M. Kalonda. Mais, lors de la conférence de presse de jeudi, nous avons ajouté que d’autres personnes pourraient être mis en cause, en particulier les commanditaires […] La CNDH, dans le cadre de ses pouvoirs d’investigation, pourra interroger M. Ndaywel et lui demander s’il a reçu des ordres pour arrêter M. Kalonda ou, ce qui serait surprenant, s’il a agi d’initiative, de son propre chef.
Lors de votre conférence de presse, vous avez interpellé la classe politique belge. Celle-ci n’a-t-elle pas pris, selon vous, la mesure de la gravité de la situation en RD-Congo?
C’est un fait. La classe politique belge, comme une partie de la communauté internationale, n’a manifestement pas pris la mesure de la gravité de la situation en RD-Congo. En témoigne la réaction surprenante, pour ne pas dire décevante, des autorités belges suite à l’assassinat de Chérubin Okende -le communiqué publié par l’ambassade de Belgique à Kinshasa à cette occasion était de loin le moins disant par rapport à celui des Etats-Unis, de l’Union européenne, de la France, de la Grande-Bretagne, etc., NDLR. La visite de notre Roi, celle de notre ministre des Affaires étrangères et autres montrent qu’il y a des liens particuliers entre les plus hautes autorités politiques belges et le président Tshisekedi. Il ne faut pas que ces relations privilégiées rendent la Belgique aveugle sur les dérives d’un pouvoir de plus en plus autoritaire et violent à l’approche de l’élection présidentielle du 20 décembre.
C’est le cas selon vous?
Les autorités belges donnent l’impression qu’elles ont signé un chèque en blanc à M. Tshisekedi. Qu’elles se contenteraient volontiers de sa reconduction à la présidence RD-congolaise -je ne parle pas de réélection car on sait qu’il n’a pas été élu. Or, c’est faire injure au peuple RD-congolais qui a le droit de choisir librement et en toute transparence ses dirigeants. Hélas, la RD-Congo n’en prend pas le chemin. Dans ce processus, c’est aussi la crédibilité de la Belgique et de notre diplomatie qui est en jeu.
Vous avez sollicité avec votre confrère, Me de Beco, un visa pour vous rendre en RD-Congo la semaine prochaine. Vous pensez pouvoir l’obtenir?
Nous ne voyons pas pourquoi on ne l’obtiendrait pas. Nous voulons rencontrer notre client, l’auditeur militaire, la CNDH et nos confrères avocats en RD-Congo. C’est d’ailleurs le droit de Salomon Kalonda de rencontrer tous ses avocats, y compris ceux qui sont à l’international. Un refus de visa serait une violation des droits de M. Kalonda et le signe que les autorités RD-congolaises ont quelque chose à cacher et à se reprocher.
Propos recueillis depuis Bruxelles par Adrien Seyes via Congo Liberé