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[IN MEMORIAM] Marcellin Manduakila: 25 ans d’une plume alerte

Lorsque tu atterrissais à «Forum des As» en 1993, venant droit du légendaire quotidien du soir «Elima», la rédaction de ce jeune journal, âgé à peine de trois ans, découvrait alors le talent d’un chevronné de la plume, forgé dans les entrailles de l’Institut des sciences et techniques de l’information -ISTI-, actuel IFASIC.
Bien accueilli par le patron du groupe de presse «Terra Nova», Tuasukama Bongo Bovery qui, alors, regroupait aussi bien le magazine culturel «L’As des  AS» que le journal d’informations générales «Forum des As», tu as vite réussi à t’imposer dans la  chronique politique. Ancien de Mbanza Boma, célèbre école où tu as fait tes humanités, tu as su allier humour, ironie et  critique du bout de ta plume.
Marcellin: Un compagnon
«Cher compagnon, d’abord comment t’appeler? Marcellin? DR -Directeur de rédaction-? RC -Rédacteur en chef-? Combinard? L’un de tes mille et un sobriquets, emprunté au jargon de Mzee, lorsqu’il traitait les politiciens de «combinards». Sous le coup de l’émotion, j’en oublie d’autres», évoque avec amertume José Nawej, l’éditeur  de «Forum des AS» qui, à l’époque, se  rappelle avoir embarqué sur le même bateau que toi, coiffé du même titre de rédacteur en chef.
«Le plus significatif pour moi, c’est que tu as été un compagnon, renchérit-il. Vingt-cinq ans durant. Compagnon au seuil de «Forum des As», qui avait un peu plus de trois, voire quatre ans lorsque tu y débarquas un jour de l’année 1993. Quelle période que ces cinq premières années post-discours du 24 avril! C’était sans doute l’âge d’or du «nouveau journal». La période où chaque acteur politique tenait le papier journal pour livre de chevet. Les années durant lesquelles il suffisait de dire que c’est écrit dans le journal pour avoir raison. Un peu à la manière de «Aristote l’a dit». Blanchi sous le harnais du chaudron politique de la Transition version Mobutu, tu t’es avéré un chroniqueur comme on en trouve de moins en moins dans nos journaux».
Un pion majeur de la «bande à quatre»
«Je me rappelle nos interminables discussions à la rédaction de «Forum des As». Surtout quand il fallait trouver le titre à mettre à la Une, qui ferait que le journal institution de Matete occupe la pole position chez les petits vendeurs», se remémore Okita Roger Lussamaki, ancien Directeur de publication.
«En ce moment-là, poursuit-il, il n’y avait plus de SG Victoire Eyobi, ni de DP que je fus, ni de RC principal José Nawej et encore moins de RC que tu étais. La ‘’bande à quatre’’, telles que les ‘’méchantes langues’’ nous surnommaient. Là, nous ‘’luttions’’ à armes égales dans un profond respect mutuel et c’est le meilleur, ce jour-là, qui l’emportait avec ‘’son titre’’. Et tu étais là avec ta bonne humeur pour détendre l’atmosphère et arrondir les angles. Puis, des fois, tu restais encore faire le marbre jusqu’aux petites heures de la matinée, avant de rentrer dans ta commune chérie: N’Djili»…
Une boîte à idées
«Jovial, enthousiaste, taquin, le désormais Directeur de rédaction de ‘’Forum des As’’ s’est illustré par son dévouement et son amour du travail bien fait. On retient de lui sa maîtrise du microcosme politique congolais qu’il a eu à fréquenter tout au long de sa carrière. C’est d’ailleurs riche de cette expérience que ce journaliste de talent a initié trois rubriques qui ont fait sa renommée: ‘’Bourgmestre à la barre!’’ -une série des philippiques à l’égard des autorités municipales qui avaient du mal à gérer le  patrimoine public-, ‘’Le Temps efface les idées’’ -où il ravivait les quolibets des couloirs politiques-, ‘’Dans les  coulisses du Palais du peuple’’… et ‘’Echos d’outre-tombe’’ -où il se plaisait à ressusciter, à travers des interviews fictives, des dirigeants politiques décédés», témoigne Yves Kalikat, rédacteur en chef du journal, qui se rappelle encore ses premiers pas en tant que stagiaire, sous les regards attentionnés de cet aîné.
«Je te dois ma carrière dans la presse écrite. DR -Directeur de Rédaction-, tu aimais ton métier de journaliste. Tu as été pour moi un modèle. Tu étais d’une grande intelligence. ‘’Echos d’outre-tombe’’ et le ‘’Temps efface les idées’’, deux rubriques que tu avais initiées, en disent long sur ton talent. Tu savais te mettre dans la peau de quelqu’un à travers tes interviews fictives et rendre fidèlement sa pensée. Ce qui faisait de moi une de tes grandes admiratrices», avoue Dina Buhake, l’une des rares femmes à avoir foncé dans la chronique politique au sein du journal «Forum des As».
«C’est toi qui m’as encouragé à aimer la presse écrite»
«Marcellin, souligne-t-elle, c’est toi qui m’as encouragé à aimer la presse écrite et à aborder des sujets politiques. C’est toi qui m’as aidé à utiliser les grands genres journalistiques. C’est à travers toi que j’ai eu à côtoyer de grandes personnalités politiques de la RDC pour de grandes interviews. C’est toi qui m’as appris le marbre, car tu exigeais de tous les journalistes qui étaient de marbre de rester jusqu’au bouclage. Peu importe leur sexe».
«Au départ, je me plaignais et t’en voulais. Mais à la longue, j’ai réalisé que c’était un bon apprentissage pour moi. DR, malgré ta rigueur, tu étais un journaliste conciliant, caractérisé par la sollicitude. Tu savais partager avec les autres. Tu étais beaucoup plus proche des journalistes au regard de ton caractère et de ton tempérament et ta nature. Tu as inculqué en nous, journalistes de Forum des As, un esprit de groupe», fait remarquer Dina Buhake.
«Grand chroniqueur politique, Marcellin était aussi un chroniqueur au sens où l’entendent les ‘’quados’’, c’est-à-dire les journalistes. Parfois taquin, le ‘’DR’’ savait plutôt mettre de l’ambiance parmi les siens. A la Rédaction comme en dehors des heures de travail, le ‘’vieux’’ pouvait facilement partager son expérience professionnelle avec ses jeunes interlocuteurs…même si cela se faisait souvent autour d’un verre», lâche Rachidi Mabandu, un reporter de talent au sein de «Forum des As».
«Tu entreras au paradis, le jour de ton départ»
«Tu vois Marcellin, je n’ai pas oublié et je n’ai pas le droit d’oublier. Tu sais, je m’étais juré que quand je descendrai à Kin, tu serais parmi les premières personnes, en dehors de ma famille, que je rencontrerais. Non seulement pour prendre le vrai tempo politique, mais aussi pour rire de tes blagues. Dans l’une d’elles, tu disais: tu entreras au paradis, le jour de ton départ»,  lâche Okita Roger Lussamaki.
«Du coup, toutes proportions gardées, ta mort résonne comme ‘’ces Chênes qu’on abat’’, cher à André Malraux. C’est dire que ‘’Forum des As’’ a perdu l’une de ses grandes plumes. Avec ce quotidien, la presse congolaise. L’un de nos amis communs qui m’aurait, en cette circonstance douloureuse, consolé en me gratifiant de son ‘’José, c’est le destin’’ n’est plus de ce monde. Il s’agit, outre-tombe tu l’as deviné, de Baudouin Banza Mukalay d’heureuse mémoire», rappelle José Nawej.
«Destin? Ce mot magique qui, dans sa dimension transcendantale, a inspiré cette citation à Romain Gary, ce grand romancier français d’origine russe. A savoir ‘’le destin: cette bataille perdue qu’il ne nous est même pas permis de livrer’’. Alors, compagnon, puisque la vie est une symphonie inachevée, je m’incline donc non sans affliction devant le destin», conclut l’éditeur de «Forum des As». Adieu Marcellin! Toute notre sympathie à ton fils Fordi que tu aimais tant!

Forum des As

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