Sombre est le ciel musical RD-congolais. Mélancolique est le cercle des disciples d’Orphée de la RD-Congo. Lutumba Simaro Masiya Ndomanueno a avalé sa chique. Le poète à la guitare magique a passé l’arme à gauche après avoir légué à toute une société des œuvres de haute facture qui résistent à l’usure du temps et de l’espace. La matinée du samedi 30 mars 2019 a été pleine de tristesses, «tongo ya makambu», à la tombée de la nouvelle annonçant la disparition du poète Lutumba à l’âge de 81 ans. Depuis Paris, le natif de Lingwala, auréolé de 60 ans de carrière réussie, a rejoint le panthéon des immortels où logent déjà son ancien partenaire du TP OK Jazz, Franco Luambo Makiadi, Kallé Jeff, Tabu Ley, etc. Toute une nation, tel un seul homme, partagé entre les sentiments de fierté et de tristesse, a rendu hommage à ce baobab, cette icône, auteur des œuvres intemporelles comme «Maya», «Cœur artificiel», «Eau bénite», «Mabele», «Trahison», etc.
Les hommages de la République
Toute la République, partant du Chef de l’Etat, a adressé un mot à l’artiste. «C’est avec une grande tristesse que j’ai appris le décès du Poète Simaro Lutumba, cet artiste talentueux. Une perte immense pour le pays et les mélomanes. Je rends hommage à sa créativité exceptionnelle et j’ai une pensée pieuse pour le défunt ainsi que toute sa famille», a déclaré le Président de la République Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo via le compte Twitter officiel de la Présidence. Son prédécesseur au Palais de la nation, Joseph Kabila Kabange, a lui rendu hommage à «un artiste exceptionnellement talentueux qui a su marquer son temps d’une empreinte spéciale».
Ancien speaker de l’Assemblée nationale et Directeur de cabinet du Président Félix, Vital Kamerhe a déclaré: «Lutumba, tu fus indiscutablement une muse. Le ciel de Kinshasa de ce jour vient d’honorer ta mémoire à travers des grondements de tonnerre… Tu viens de rejoindre le panthéon des immortels. Tu vivras à travers tes œuvres».
Que de beaux mots. Que d’émotions dans les déclarations. Que d’hommages mythiques pour ce personnage magnifique né un certain 19 mars 1938 à l’ex-Léopoldville. Lutumba est donc mort quelques jours après la célébration de son 81ème anniversaire, et un peu plus d’un an après avoir levé l’option de léguer sa formation musicale, Bana OK Jazz, à un fils du Wenge, Manda Chante.
Le parcours d’un virtuose
Virtuose de la guitare, son instrument de prédilection, Lutumba effectue ses premiers pas professionnels au sein de Micra Jazz. Ce, après avoir reçu de Kalonji, guitariste RD-congolais adepte du zebola -rythme et danse des cérémonies d’exorcisme du peuple Nkundu de l’Equateur-, les notions de la guitare. Après Micra, il rejoint quelques temps plus tard Congo Jazz de Gérard Madiata. Sous ce label, Simaro s’attire les feux de projecteur grâce à deux titres à succès: «Muana etike» et «Lisolo ya ndaku».
En 1961, le talentueux et populaire Lutumba intègre le TP OK Jazz de Luambo Makiadi, fort de son habileté dans la rythmique du zebola, de la rumba, du jazz et de l’afro cubain puis de ses textes ponctués des substances poétiques, éducatives et spirituelles. Sous les ordres de Luambo, Simaro marque son temps avec des tubes comme «Okokoma mokristo» en 1969, «Ma Hélé» en 1970, «Mabele» en 1974, «Maya», «Cœur artificiel» en 1986, «Testament ya Bowule», etc.
Le 12 octobre 1989, Franco Luambo Makiadi, son fidèle ami, décède et le TP OK Jazz est confié à Lutumba Simaro. Des conflits internes ont eu raison sur la perspicacité de Lutumba qui décide, après 37 ans de service, de rompre avec cette formation musicale et de créer la sienne le 30 janvier 1994. Pour rester dans la généalogie de Franco, Lutumba dénomme son groupe «Bana OK» -entendez les enfants de OK-, et se fait accompagner de certains de ses anciens partenaires d’OK Jazz, dont Josky Kiambukuta et Ndombe Opetum. Il entame ainsi une carrière solo et offre aux mélomanes des tubes de haute facture à l’instar de «Bakitani», «Faute ya commerçant», «Trahison».
En 2008, à l’occasion de ses 50 ans de carrière, Lutumba Simaro enregistre un album intitulé «Salle d’attente». Cet album a connu la participation entre autres de Mbilia Bel et Ferré Gola, qui ont respectivement les titres «Mobali ya bébé» et «Kayembe chez Ntemba». Cet opus est le dernier d’une longue carrière arrêtée en mars 2018 lorsque l’artiste a jugé utile de se retirer de la scène en remettant sa guitare magique au Chef de l’Etat de l’époque Joseph Kabila Kabange.
Laurent OMBA