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Gustave Omba: élections impossibles en 2023

Ancien membre de la CENI, le Coordonnateur du «Café d’Elites» propose un plan de sortie pour éviter un embrasement général du pays et de l’Afrique   

L’alerte est donnée. La voix est lancée. Des gros nuages couvrent l’avenir politique de la République démocratique du Congo. Il s’agit, en clair, du doute qui se cristallise de plus en plus sur l’impossibilité d’organiser les élections crédibles, transparentes et dans les délais constitutionnels telles que voulues par tous. Tous les acteurs semblent d’avis. Mais personne n’ose poser clairement la question. Amnésie collective ou complicité? Faiblesse de leadership ou tout simplement une absence des véritables ambitions à la hauteur des défis pour sauver la nation? «Café d’Elites», un Think Thank constitué autour de l’Honorable Gustave Omba Bindimono, a décidé de briser la glace.

Pour ce cadre de réflexions et des propositions, «il faut mettre la question sur la table et se parler sans gueule de bois car, dans les conditions actuelles de la RD Congo, les élections telles que prévues par la Constitution et souhaitées par notre peuple n’auront pas lieu en 2023». La phrase est lâchée. Toute une responsabilité. Mais aussi un engagement que Gustave Bindimono Omba accepte d’assumer. Dans un entretien à bâtons rompus, il dit clairement que sa démarche l’est «pour l’intérêt de la nation, de l’Afrique et du monde». Venant d’un acteur politique de la trempe de Gustave Omba, -Juriste de formation, député honoraire et membre sortant de la plénière de la CENI-, la question est à prendre au sérieux. Tant elle tient en haleine la communauté tant nationale qu’internationale. Gustave Omba est, à ce jour, un témoin et acteur privilégié de l’histoire récente de la RD-Congo. Il parle en connaissance de cause.

Actuellement dans la réserve de la République, Gustave Omba ne cache pas ses rapprochements avec l’Union pour la nation congolaise -UNC- de Vital Kamerhe dont il dit être l’un des pionniers. Cependant le «Café d’Elites», dit-il, est une initiative privée et la ligne de conduite répond à l’exigence de ses membres qui se veulent tous être serviteurs de la RD-Congo. Et qui luttent pour le bien de son peuple. Le bien du peuple, selon le coordonnateur du «Café d’Elites», passe par la légitimation des animateurs issus des urnes et qui dirigeront les Institutions pour apporter des solutions aux problèmes qui se posent à la nation.

Mais, en l’absence des élections dans les conditions prévues par la Constitution, soutient-il, il y aura des dirigeants non légitimes pour la RD-Congo. Comment le croire? Gustave Omba déclare: «en tant que politique et membre de l’UNC, donc de l’Union sacrée pour la Nation, d’une part, je dois dire, ici, que  je viens de finir mon mandat à la CENI et que la Loi m’autorise à retourner dans la vie politique active. A ce titre et de l’observation que je porte sur la marche du pays, je pense qu’il est temps d’élever la voix et tirer la sonnette d’alarme. Et cette sonnette c’est dire que dans les circonstances actuelles, les élections n’auront pas lieu dans les délais constitutionnels et telles que voulues par notre peuple». Avant de poursuivre: «je réalise tout simplement que la Commission électorale qui vient d’être mise en place est encore dans sa phase d’imprégnation. Et pour nous qui y venons, nous savons que par rapport au timing, il y a beaucoup de contraintes. D’abord sur le plan technique, il y a lieu de noter que le fichier électoral que la CENI avait utilisé lors des élections organisées en 2018 est à ce jour défaillant. D’où la nécessité d’en constituer un nouveau. Ce qui n’est pas facile à faire pour autant que cette opération tient compte de plusieurs paramètres dont ceux d’ordre légal, infrastructurel, financier».

En clair, Gustave Omba pense que la CENI actuelle n’a pas ni le temps matériel ni les moyens pour constituer un nouveau fichier électoral. «Celui-ci, dit-il, exige une série d’opérations commençant par  le lancement sur le terrain des équipes qui vont procéder à la cartographie électorale en vue d’identification des sites qui serviront à l’installation des matériels d’identification et d’enrôlement des électeurs». Pire, prévient Gustave Omba: «les matériels existants actuellement sont devenus défectueux car n’ayant pas bénéficié d’un cadre approprié de conservation. Avec le conditionnement de ces matériels dans des containers sous les intempéries, il n’y a plus rien à attendre, ni à espérer. Ce sont des machines à jeter dans la poubelle. Il faut commander des nouvelles machines».

A bien considérer l’évolution de la situation, cette étape, à la CENI, on n’en a pas encore pensé. Pourtant il y a bien d’autres, toutes aussi importantes. C’est notamment, affirme Gustave Omba, la mise à jour du personnel à travers une formation avant son déploiement sur terrain. Lequel déploiement est tributaire des facteurs tel que le climat, l’environnement des lieux où les équipes vont être déployées. «Comment allons-nous déployer des agents électoraux dans des zones qui sont sous opérations militaires actuellement dans le Grand Nord, en Ituri, dans le Nord et le Sud-Kivu? Comment est-ce que les agents électoraux seront déployés pour aller identifier et enrôler les électeurs? Dans les grands centres urbains, les gens sont égorgés et tués tous les jours? Comment seront-ils déployés dans des zones reculées pour prendre les références des différents sites où l’identification et l’enrôlement des électeurs vont se faire?».

Autant des questions que se pose Gustave Omba pour soutenir la position du «Café d’Elites» et qui nécessitent  que des grandes options soient levées pour s’assurer que la paix sera restaurée et que la menace de mort qui sévit au quotidien à l’Est du pays, précisément en Ituri, dans le Nord et le Sud-Kivu, soit totalement éradiquée. Pessimiste, Gustave Omba l’est davantage et ne pense pas que tout ceci sera fait dans les 6 prochains mois. Sa crainte se renforce dès lors qu’il se rend à l’évidence que «rien, du gros chapelet de bonnes intentions du Gouvernement de la République depuis le début de la mandature, ne s’est réalisé. L’absence de paix est une situation générale et qui a été accentuée par l’avènement de la Covid-19. En outre, le Trésor public congolais, à ce que je sache, n’a pas réalisé des recettes capables de faire dire au gouvernement que nous sommes capables de financer les élections sans l’aide extérieure».

Symptôme du gâchis électoral au Grand Nord-Kivu…

Que faire? Gustave Omba se positionne en défenseur du peuple qu’il paraphrase si bien: «le peuple dit qu’il ne veut plus d’élections car c’est tout le temps qu’il va aux élections mais, tout le temps il n’a pas des résultats par rapport à ses attentes et  problèmes. Le peuple s’attend à voir les hôpitaux être réhabilités, les routes de desserte agricole reconstruites et modernisées pour permettre l’évacuation de la production des champs vers les centres de consommation et ainsi devenir autonome pour vivre. Hélas, rien de tout cela n’a été fait». Ce qui demande, souligne Gustave Omba, une sensibilisation afin de remettre la population en confiance et qu’elle accepte, à nouveau, d’aller aux élections. Cette sensibilisation, conscientise-t-il, ne peut se faire que dans le cadre d’une concertation entre forces politiques et celles de la société civile.

Gustave Omba se veut précurseur de cette idée originale qui voudrait mettre autour d’une table les forces vives de la RD-Congo, toutes tendances confondues. Sa démarche vise à obtenir un réajustement politique aux fins de rassurer les uns et les autres parmi les acteurs que la voie est tracée pour les bonnes élections. Aujourd’hui, prévient-t-il, il ne sera pas bon qu’un Président de la République soit à nouveau élu sans les voix majoritaires d’une partie du pays comme cela a été le cas avec le Président Félix Tshisekedi. A ce sujet, point n’est besoin de rappeler, dit-il, que les votes d’une partie de la population de la province du Nord Kivu n’ont pas été pris en compte lors du comptage des voix de l’élection présidentielle de 2018. Déballage? Gustave Omba n’est pas là entrain de trahir son serment mais il insiste sur la nécessité d’un bon ajustement pour bien faire.  «Mieux vaut prévenir que guérir», soutient-il.

Fin technicien et spécialiste des questions électorales, Gustave Omba ne veut pas rêver et moins encore faire leurrer le peuple congolais. D’ù le sens de son interpellation: «les conditions de déploiement des matériels et des équipements destinés à la CENI, autant ça n’a pas été facile pour nous, durant les deux ans de prolongation que nous avons eu de 2016 à 2018, autant ça sera deux, voire trois fois plus pire, que pour l’actuelle équipe dans le délai d’une année qui reste pour aller aux élections, sans oublier l’état actuel de nos infrastructures routières. Les routes que nous avons actuellement sont délabrées que celles d’avant 2016-2018».

Gustave Omba illustre cette complexité par un cas déjà vécu: «vous avez vu dans quel état la jeep 4×4 blindée du Chef de l’État s’est embourbée lors de sa tournée dans le Grand Kasaï. Là, c’est uniquement dans la savane de la région du Kasaï. C’est davantage pire dans le Grand Equateur où il pleut presque chaque jour. Idem dans le Maniema profond, dans le Grand Bandundu, dans le Kongo-Central, dans le Grand Katanga et dans l’ex-Province Orientale. Elles sont dans quel état aujourd’hui les infrastructures routières? Comment faire pour déployer ces matériels qui constituent la logistique électorale, presque comparable à la logistique militaire? Comment ça va se faire? Toutes ces questions doivent faire l’objet d’une attention particulière et être décryptées pour voir ce qui est possible». Devant cette évidence, Gustave Omba ne va pas par quatre chemins: «je sais que la classe politique a peur de dire la vérité au peuple. La CENI également n’a pas le courage de le faire parce qu’elle sait déjà dans quel contexte elle a été mise en place après des multiples contestations. Elle risque de ne pas y aller».

Ne pas affronter la question aujourd’hui, c’est comme, dit Gustave Omba, si l’on fonçait droit contre un mur. Mieux, renchérit-il, comme si l’on balisait la voie pour revivre encore un gâchis électoral comme celui tristement vécu dans le grand nord de la province du Nord-Kivu, avec des intentions de vote non prises en compte lors de la comptabilité finale de l’élection présidentielle? «Dans quel intérêt, pour les dirigeants et pour le peuple, laisser et assister sciemment se rééditer ce symptôme d’une si malheureuse expérience», s’interroge Gustave Omba?

Retour aux fondamentaux…

L’appel du «Café d’Elites», par son coordonnateur, laisse transparaitre l’ombre d’une transition qui ne dit pas encore son dernier mot. Gustave Omba, tout en lançant l’alerte, ne le dit pas ouvertement non plus, sinon sa détermination à sauver le pays et l’en préserver du chaos. Le chaos! Gustave Omba évite au pays de vivre une crise politique comme celle vécue précédemment et qui a ébranlé non seulement la stabilité des institutions mais du pays en général, au point de mettre de tenir en alerte maximum les Etats voisins de la RD-Congo.

Gustave Omba qui fustige le pseudo optimisme de la classe dirigeante et l’immobilisme de la classe politique joue ici sn va tout. Son alerte constitue donc un signal stratégique pour sauver la RD-Congo et le l’Afrique. C’est pourquoi il dit que bien de choses doivent encore être faites et, même corrigées. «C’est ici l’occasion pour moi de dire à la classe politique que même la première étape décrite du processus électoral que je viens de décrire n’est que la partie visible de l’iceberg, ce que tout le monde peut facilement voir et comprendre». «Cependant, poursuit-il, il y a une autre phase importante qui est la phase de la légalité, le légal. L’exigence légale de pouvoir procéder à lever des options pour savoir s’il y aura ou pas des révisions constitutionnelles. Les gens sont morts parce que, nous sommes partis de l’élection présidentielle à deux tours à l’élection présidentielle à un tour. Cela fait partie intégrante du discours des promesses électorales du Chef. Est-ce que le Chef tient encore à cette idée? Si oui, donc les perspectives de révision constitutionnelle doivent être prises en compte. Il y a également des lois qui doivent s’adapter à la constitution dont la loi électorale elle-même. Doit-on garder les mêmes modes des scrutins? Ce sont des questions fondamentales qui doivent être levées avant que le débat général ne se fasse. Mais qui doit en prendre l’initiative? C’est une question courageuse. Voilà pourquoi nous, au sein du Café d’Élites, nous avons réfléchis dans ce sens». C’est qui est dit.

Le «Café d’Élites» veut donc s’assumer. Véritable laboratoire d’idées, ce Think-Thank génère des idées originales et des options politiques, tant son activité principale étant celle de produire des études et élaborer des propositions stratégiques dans le domaine des politiques publiques entre autres. Et dans la situation de la RD Congo aujourd’hui, les propos de Gustave Omba sont sans équivoque: «beaucoup de mes compatriotes ont la capacité de réfléchir autant que moi mais personne ne veut assume ni s’assumer. Pourtant le peuple congolais est frustré et veut maintenant vivre les choses différemment. Voilà pourquoi, nous nous sommes dit en notre qualité de réserve de l’État, nous ne devons plus nous taire. Nous nous offrons comme force de proposition capable de donner de l’inspiration et/ou produire des termes de référence sur ce qui peut nous amener vers le changement».

Le retour aux fondamentaux dont parle Gustave Omba c’est encore et aussi le respect de la pyramide en ce qui concerne le processus électoral. «Aujourd’hui, dit-il, depuis que nous avons commencé le processus électoral en 2006, la pyramide est en sens inverse. La tête de la pyramide est au sous-sol et sa fondation est en l’air. La conséquence est que, ce qui est au pic là-bas va s’écrouler. Le poids de la base va s’écrouler sur le sommet renversé. Cela sous-entend que la meilleure voie pour aller au sommet, c’est de commencer d’abord par la base». Ce qui rappelle à la nécessité de lever des options qui aillent dans le sens de respecter le cycle et le processus électoraux. Nécessiter d’un consensus donc autour des questions majeures de la République. «Je dis également qu’il faut que les élections locales soient une réalité parce que c’est ce qui fait que le Chef de l’État se sent représenter. Et lui éviterait des contradictions avec la population. A ce jour, je réalise le Chef de l’Etat élu est constamment contredit parce qu’il lui manque du répondant au niveau local pour matérialiser sa vision. Au point que commence à dénoncer les promesses non tenues et qu’elle assimile à un mensonge. Or le Chef ne ment mais promet et réalise», affirme Gustave Omba, avant de poursuivre : «Il faut qu’on se décide une fois pour toutes. Il faut commencer par les élections à la base. Il faut que ceux qui travaillent dans les Entités territoriales décentralisées -ETD- se sentent responsables. Le faisant, on sauvera le pays. A défaut de ça, le Congo est appelé à vivre ce que tout le monde craint. Je ne suis pas un prophète des malheurs mais les indices sont là». D’où l’incontournable du dialogue. Pour la paix et stabilité de la RD Congo et de l’Afrique.

Tino MABADA

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