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Gentiny Ngobila: son raisonnement juridique pour nommer à titre provisoire et permuter les bourgmestres à Kinshasa

Le débat fait rage. Le gouverneur Gentiny Ngobila a pris l’arrêté n°241 du 20 août 2019 permutant les bourgmestres et désignant, à titre provisoire, certains bourgmestres des communes de la ville-province de Kinshasa. Criant à l’usurpation des prérogatives du Président de la République, les pourfendeurs de cet acte estiment que le gouverneur n’a pas compétence pour prendre une telle décision concernant les bourgmestres et leurs adjoints. Ils font notamment allusion à l’article 126 de la Loi 08/016 du 07 octobre 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des Entités territoriales décentralisées -ETD- et leurs rapports avec les provinces. Cet article dispose qu’en attendant les élections locales et municipales, les autorités des différentes ETD sont gérées conformément aux dispositions du Décret-loi n°082 du 2 juillet 1998 portant statut des autorités chargées de l’administration des circonscriptions territoriales. Ce texte donne au Président de la République le pouvoir de nommer les bourgmestres. Acteurs politiques et animateurs de certaines ONG tenants de cette thèse réclament depuis un autodafé sur le gouverneur de la ville de Kinshasa. Confrontant faits et règles de droit, certains juristes apaisent et développement un raisonnement juridique contraire et trouvent des liens logiques entre l’acte de disposition de Ngobila et le contexte actuel. La question est de savoir si le Décret-loi du 2 juillet 1998, pris dans un contexte politique et juridique précis, n’énerve pas la Constitution en vigueur en République Démocratique du Congo. La réponse est sans équivoque: le contexte constitutionnel a changé et le  Chef de l’État, qui agit par voie d’ordonnance conformément à la Constitution de 2006, ne saurait prendre un décret ou un décret-loi pour revenir sur le mode de désignation des bourgmestres. De plus, les élections locales et municipales, voies obligées pour organiser le vote des bourgmestres, sont désormais organisées par une Loi électorale et un calendrier. Le Président de la République ne violerait-il pas la Constitution en nommant aujourd’hui les bourgmestres comme le lui demandent ACAJ, Asadho et autres? Le scandale constitutionnel n’existerait-il pas si le Président de la République nommait personnellement les bourgmestres dans le contexte actuel? N’accuserait-on pas Félix Tshisekedi de vouloir renvoyer sine die l’organisation des locales et municipales?  Alors que les élections locales et municipales ne sont pas à l’ordre du jour, face au à la situation exceptionnelle caractérisée par le vide laissé à la tête de certaines communes dont les bourgmestres ont été élus députés nationaux ou provinciaux à l’issue des législatives du 28 décembre 2018, les experts trouvent normal de pencher pour une situation intérimaire, non sans évoquer la jurisprudence créée par un précédent arrêté de l’ancien gouverneur André Kimbuta. «En cas de situation urgente ou exceptionnelle, le gouverneur, représentant du gouvernement central en province, a le pouvoir de redynamiser les communes, ces ETD sous sa tutelle, en mal de fonctionnement faute d’animateurs», plaident ces experts qui tirent leur argumentaire de la Loi sur la Libre administration des provinces.

Solution juridique adéquate dans le contexte actuel 

Ils parlent d’abord de l’article 28 où il est prescrit: «le gouverneur dispose de l’administration publique en province. À ce titre, tous les services publics nationaux et provinciaux en province sont placés sous son autorité». Ils évoquent ensuite l’article 63 de la même loi, où il est stipulé: «le gouverneur de province représente le gouvernement central en province. Il assure, dans ce cadre, la sauvegarde de l’intérêt national, le respect des lois et règlements de la République, et veille à la sécurité et à l’ordre public dans la province». Puis l’article 64, consacré aux matières relevant de la compétence exclusive du Pouvoir central, ajoutant un nouvel argument selon lequel le gouverneur de coordonne et supervise en province les services qui relèvent de l’autorité du Pouvoir central. Les experts recourent également à l’article 65 de la loi précitée, où il est écrit: «dans l’exercice de sa mission de représentation du gouvernement central et de coordination des services déconcentrés en province, le gouverneur répond de ses actes devant le gouvernement central». Ils se réfèrent à l’article 95, où le législateur décrète: «le gouverneur de province exerce la tutelle sur les ETD». Puis l’article 96 disposant que «la  tutelle sur les ETD s’exerce par un contrôle a priori ou un contrôle a posteriori». De l’avis de ces experts, ces dispositions tendent à donner raison au gouverneur, qui n’est pas étranger aux communes, ces services décentralisés placés sous son autorité, et ne peut coordonner et superviser sans assurer la continuité des services publics de l’État. A ces arguments de droit s’ajoutent les faits. L’arrêté du gouverneur Ngobila parle de la nécessité de redynamiser la gouvernance des ETD, de combler les vacances créées par les législatives dans la ville-province de Kinshasa et d’assurer la continuité de l’État, en attendant les élections locales et municipales. C’est le cas des communes de Maluku, Kinshasa, Gombe et Kintambo dont les anciens titulaires ont été élus députés provinciaux. Autant le gouverneur exerce un contrôle a priori et a posteriori sur les communes et le pouvoir de tutelle ou disciplinaire sur les bourgmestres, autant il représente le pouvoir central en province. Qui lui ferait dès lors des reproches logiques pour avoir permuté ou désigné des bourgmestres à titre provisoire, face au vide, face à la caducité du Décret-loi du 2 juillet 1998, dans une situation où le Président de la République ne peut nommer les responsables des communes sans se faire prêter l’intention de violer la Constitution ou de vouloir zapper les locales et les municipales? La décision du gouverneur Ngobila semble la solution juridique la plus adéquate pendant cette période, clament les spécialistes.   

Natine K.

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