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Démembrement du Nord-Kivu: et si Serufuli avait raison?

A la suite de l’interview qu’il a accordée à l’édition en ligne du journal Les Coulisses, le député de Rutshuru Eugène Serufuli Ngayabaseka fait l’objet d’attaques de toutes sortes de la part de ceux qui ont érigé la haine en mode de réflexion. Son tort: avoir eu le courage d’exprimer son opinion en guise de solution pour mettre fin à la chronique instabilité du Nord Kivu et aux sempiternelles guerres ethniques qui opposent ses populations.

En remontant l’histoire de cette belle province, l’homme a-t-il vraiment tort?  Réagissant aux tueries qui venaient d’endeuiller le territoire de Rutshuru – sa terre d’origine – suite aux affrontements ethniques entre Hutu originaires et Nande immigrés, Eugène Serufuli n’est pas allé par quatre chemins. «Dans sa configuration actuelle, le Nord-Kivu a besoin d’être découpé, d’être scindé pour permettre l’éclosion de deux cadres propices, mieux de deux entités quasi indépendantes qui s’imposent d’elles-mêmes : le Grand Nord et le Grand Sud», a-t-il déclaré tout de go.

Antagonismes entre communautés

Avant de poursuivre: «Les antagonismes entre communautés sont à la base des conflits interethniques qui déchirent la province. Pour que les Hutu et les Nande s’entendent, il faut régler le problème de la gouvernance de la province. A la tête de la province, il existe une gouvernance compliquée avec une mentalité de la majorité qui ne favorise pas le climat de coexistence pacifique. Prenons l’ exemple de ce qui s’est passé à Kiwanja. Si nos frères savent qu’il y a une gouvernance qu’ils ne contrôlent pas, ils pourraient être modérés et coopérer avec la gouvernance de Goma. S’ils savent que le gouverneur n’est pas le leur, ils réfléchiraient par deux fois avant de poser de tels actes». Et de conclure: «La solution, c’est diviser la province et trouver une capitale pour Beni et Lubero. Ce qui baisserait sensiblement les tensions et permettrait de donner aux autres communautés le temps de s’épanouir». Il n’en fallait plus pour susciter l’ire de ceux qui ont érigé la haine en mode de philosophie politique.

Embouchant la trompette à la mode, le député de Rutshuru et président de l’UCP se retrouve accusé, par les plus téméraires, de vouloir balkaniser le pays. Mais, en remontant l’histoire du Kivu, l’homme a-t-il vraiment tort? D’emblée, le découpage administratif du pays en autant d’entités de différents niveaux n’est pas un crime, et fait partie de l’évolution normale du pays. En effet, à sa création par Léopold II, le Congo n’était découpée qu’en quatre provinces : l’Equateur, la province Orientale -qui comprenait l’ex-Orientale et le grand Kivu-, le Katanga -qui regroupait l’ex-Katanga avec une partie du Kasaï oriental-, et le Congo-Kasaï -qui rassemblait l’autre partie du Kasaï jusqu’à Moanda dans le Kongo central en passant par l’ex-Bandundu et Kinshasa-.

C’est au gré de différents découpages qu’il est passé à 6, puis à 22 en 1962, puis à 9 en 1967, puis à 11 en 1988, et enfin à 26 depuis 2015.  Il en va des provinces comme des territoires :en 1962, le territoire a été scindé pour faire droit au clan Bashi de Ngweshe désormais réuni dans le nouveau territoire de Walungu, face au clan de Kabare qui a gardé le même nom pour son territoire. Il en fut de même pour Kalehe qui fut scindé pour créer le territoire d’Idjwi, pour ne citer que ces deux exemples. Et qu’en est-il de la province du Kivu elle-même, qui était unique lors de l’accession du pays à l’indépendance?

Démembrement du Kivu

Accusant les Bashi d’être hégémoniques dans les institutions provinciales du Kivu bases à Bukavu, des élus Nande exigent dès 1962, le démembrement du Kivu, afin d’ériger le district du Nord Kivu en province. En effet, l’article 1er de la loi du 9 mars 1962 stipulait que «l’Etat du Congo est constitué, dans ses limites au 30 juin 1960, de six provinces, à savoir: Equateur, Kasaï, Katanga, Kivu, Léopolodville et Orientale, dotées chacune de la personnalité civile. Une loi peut en créer d’autres». Il fallut attendre le 27 avril 1962 pour qu’une loi fixe les critères devant servir base à la création d’éventuelles provinces. 

Mais les élus du district du Nord Kivu n’ont même pas attendu le vote et la promulgation de la loi fixant les critères de création de nouvelles provinces pour déclencher le mécanisme de la séparation. Le 26 mars 1962, dix d’entre eux rédigent une pétition réclamant la conversion du district du Nord Kivu en province. Il s’agit de : Benoît Kioma et Willem Kasereka, tous d’ethnie Nande élus Beni ; et de Janvier Kahindo, Etienne Kahindo, Yesse Muhindo, Stéphane Saasita et Martin Kahamba, tous Nande de Lubero. Plus grave, lors de la séance de l’assemblée provinciale du 13 avril 1962, le député Janvier Kahindo déclara : Nous, élus du Nord-Kivu, avons été l’objet de l’injurieuse polémique de la jeunesse Bashi, jeunesse organisée par certains politiciens du Sud-Kivu pour s’emparer du pouvoir. Après 13 mois de vie politique, nos amis du Maniema ont constaté la mauvaise politique de nos frères du Sud-Kivu.

Pendant cette période d’observation, Monsieur Miruho encore, organise au Nord, notre région respective, une association, une association mixte d’Européens, de Rwandais et de lui-même. Cette association est appelée SOCOGEKI. Elle est organisée dans le Nord-Kivu sans aucune consultation des représentants du peuple du Nord.  Janvier Kahindo affirma que les principaux associés de Miruho dans la SOCOGEKI étaient Daniel Kitukutuku, Joseph Midiburo, Alphonse Nzabonimba, Cyprien Rwakabuba et Célestin Rwamakuba. A l’exception de Daniel Kitukutuku, originaire du Maniema, tous les autres cités étaient des Rwandophones : trois Hutu et un Tutsi (Rwakabuba).

Pour la première fois, sur la terre du Kivu, un politicien kivutien traitait ses compatriotes et rivaux politiques de Rwandais. Mais cette campagne était sans doute menée en synergie, car au même moment, à Kinshasa, des élus d’ethnies Nande signaient ensemble le 25 mars 1962 une pétition demandant le détachement du district du Nord Kivu en vue de créer une nouvelle province éponyme, sans que les élus Hutu et Tutsi en soient informés.

Ces derniers réagirent en présentant le 11 avril 1962 une motion pour protester contre la pétition. Cette campagne fut menée en synergie avec des députés nationaux originaires du Grand Nord qui, à Kinshasan initièrent une motion contre le seul ministre Hutu du gouvernement Adoula, Marcel Bisukiro, accusé également d’être rwandais et… de vouloir vendre le parc des Virunga ! Depuis quand un ministre du Commerce gère les parcs nationaux?

Bien-fondé de la démarche

Cette haine ethnique manipulée pour des raisons politiques est ainsi née et ne s’est plus jamais arrêtée. En 1980, ce sont toujours des politiciens du Grand Nord qui ont protesté auprès du maréchal Mobutu jusqu’à obtenir la déchéance des trois membres du Comité central du MPR Parti-Etat, tous Hutu et Tutsi de Masisi. Et l’histoire retiendra que c’est sous la gouvernance d’un autre fils du Grand Nord, Kalumbo Mbogho, que le Nord Kivu a plongé dans le chaos, avec la création des groupes armés, le déclenchement des guerres ethniques, massacres, déplacements et exil des populations …

Et le paysage du Nord Kivu demeure chaotique : multitude des groupes armés, conflits ethniques entraînant de nombreux morts et la destruction des biens, une tendance hégémonique manifeste dans le chef de la communauté Nande qui dirige la province. D’où la question : pourquoi les élites du Grand Nord auraient le droit de revendiquer le démembrement du Kivu en 1962, craignant la domination supposée des Bashi, et d’autres n’auraient pas le droit de revendiquer la même chose face à une politique hégémonique avérée ? Tout ce qui précède démontre le bien-fondé de la démarche de M. Eugène Serufuli. Car l’histoire de la RDC montre que lorsque la coexistence entre deux communautés devient difficile, l’Etat central a souvent créé des nouvelles entités pour les séparer.

Tino MABADA

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5 commentaires

  1. Je ne vois pas certains veulent toujoours accyser les autres de rwandais dans ce pays. Ce Congo nous appartiemt tous. Autant les Batetela.se.sont.battus pour que le Sankuru devienne une province, autant il peut aussi revendiquer comme.les anciens députés Nande, la création d’une.nouvelle province.

  2. Nous connaissons bien les actions de Mr Eugène Serufuli, lui qui n’a pas le temps de faire développer son ethnie hutu pour un bon développement de Rutshuru mais il réalise que le Bande étouffe la progression de ce territoire.
    Pour lui il est toujours accusé par sa propre population de ravitaillement d’arme pour déstabiliser les autres ethnie, partant de l’histoire le hunde semble être le dernier à dire un petit mot à leur propre territoire confisqué normalement par le hutu connu bien comme le peuple hainé et paresseux du milieu . Le hutu aime la vie facile, si Aujourd’hui il y a développement à Rutshuru centre c’est bien clair le kidnapping a bel et bien facilité les autres pour s’épanouir.
    Malheureusement le nande n’aime pas la facilité il cherche la vie par la force physique.
    Serufuli doit savoir et il connaît que c’est bien lui l’auteur de tout obstacle de la paix de Rutshuru.
    Pour la bonne continuité la politique de Serufuli est à commander , car lui aussi a dirigé cette province mais rien de spécial ou du nouveau qui cadre avec le développement n’a été fait si se n’est que le développement de rébellion qu ‘il a soutenu.
    Exemple la création des autodéfense c’est bien lui le pionnier a organiser les milices hutu pour stabiliser son ethnie. La RDC nous appartient et le Nord Kivu. Vivons ensemble pour stabiliser nos générations et pour leur préparer un bon avenir.
    Me Oveni Vosi.

  3. Je suis tout à fait d’accord avec monsieur Tino l’auteur de cet article.

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