Tribune

Lemera ou la chronique des 23 années de guerre en RD-Congo

Le 06 octobre 1996 – 06 octobre 2019, voilà 23 ans, jour pour jour, que la République démocratique du Congo est quasiment en guerre. C’est en cette date du 06 octobre que le drame dont est l’objet la RD-Congo et qui n’en finit toujours pas s’est déclenché. Cette date marque effectivement le début de la guerre dite de libération par les troupes de l’AFDL. Lemera rappelle évidemment l’accord qui donna naissance à l’Alliance des Forces de libération du Congo-Zaîre, AFDL en sigle. Le nom Lemera est resté symbolique et tristement célèbre. Même si personne n’a jamais vu le texte de cet accord secret dont le contenu  n’est connu que de ses signataires, certains extraits non authentifiés de cet accord suscitent des interrogations, par exemple: «….le sol et le sous-sol de la République démocratique du Congo appartiennent à l’AFDL». «…une fois au pouvoir l’alliance va céder trois cents kilomètres de terre à l’intérieur du Congo à ses voisins de la frontière Est…». Dans son premier discours à l’Assemblée générale des Nations unies, Félix Tshisekedi pouvait également se questionner: Que serait la trajectoire de la République démocratique du Congo, si elle n’était pas soumise à une guerre venue de loin, d’autant plus que le processus démocratique était très avancé avec la Conférence nationale souveraine.

1. La troisième guerre mondiale africaine

Près d’un quart de siècle pendant laquelle plus de dix pays ont envoyé leurs armées sur le territoire congolais: des Rwandais et des Ougandais qui se sont invités sur le territoire congolais, entrainant avec eux des Burundais, des Erythréens, des Somaliens; des  mercenaires serbes et les Yougoslaves invités par Mobutu pour tenter de faire face à la situation; des Zimbabwéens, des Tanzaniens, des Tchadiens et des Angolais invités par Laurent-Désiré Kabila lors de la deuxième guerre. Outre ces armées; des rébellions congolaises dont le MLC et le RCD avec ses multiples facettes: RCD Mbusa, RCD Lumbala, CNDP, M23, etc.; une vingtaine de groupes armés étrangers dont plusieurs branches de FDLR rwandais, des FPM burundais, des ADF-NALU et les FDA ougandais qui travaillent en coopération avec le groupe terroriste Al-Chabab en Afrique de l’Est ainsi que les Mbororo tchadiens, une centaine de groupes armées dont une vingtaine de Mai Mai, de Pareco, qui opèrent dans l’ancien Kivu, le Nord Katanga, la province orientale. Presque toutes provinces ont été  atteintes par l’insécurité. Les provinces de l’Ouest ont eu à leur tour leurs massacres et leurs fosses communes, œuvres des forces de l’ordre sous le commandement du gouvernement congolais. C’est le cas des adeptes de Bundu dia Congo dans la Kongo central, les  Kamwena Nsapu dans le Kassai, les fosses communes de Maluku à Kinshasa.

2. Plus de 5 millions de morts

Depuis un quart de siècle, le Congo s’est transformé en un no mans land, un terrain de lutte pour de nombreux groupes armés, qui se disputent entre autres les importantes ressources naturelles de son sol: or, diamant, pétrole, cassitérite, coltan, cobalt, gaz méthane, bois, ivoire, etc. La région s’est transformée en une zone d’anarchie de vente d’armes et où les civils sont pillés, violés et tués par des groupes parfois indéterminés. Des paisibles citoyens ont été enterrés vivants après qu’ils aient été forcés à creuser leurs propres tombes. Les assaillants préfèrent utiliser les armes blanches que les armes à feu.   Personne ne saura exactement le nombre des victimes d’autant plus que ces crimes se passent sous silence de la Communauté internationale. Toutefois, certaines organisations non gouvernementales tentent d’avancer quelques chiffres. Selon les estimations de l’ONG International Rescue Committee, les différents conflits en République démocratique du Congo ont fait plus de 5 millions de morts. Des millions d’autres Congolais ont été déplacés de leurs terres ou ont trouvé refuge dans les pays voisins. Le conflit se poursuit dans le Kivu jusqu’à ce jour. Ces massacres, dont certains constituent des crimes contre l’humanité, ont fait l’objet d’investigations partielles de la part du Haut-commissariat des Nations unies pour le droit de l’homme. Coté congolais, seul l’hôpital de Panzi où travaille le Dr Denis Mukwege, le réparateur des femmes, est à même d’avancer les chiffres: près de 50.000 femmes violées reçues dans cet hôpital. Le gouvernement congolais qui est pourtant le premier responsable, n’a pas l’habitude de publier des rapports au sujet des massacres. 

3. Le prétexte

Plusieurs situent les origines de la guerre au Congo à partir du génocide rwandais. En 1994, le mouvement rebelle, le Front patriotique rwandais à majorité tutsie, réussit à mettre un terme aux massacres et prend le pouvoir à Kigali. Les promoteurs du massacre, des rebelles hutus, franchissent alors le lac, s’installent au Kivu et forment le groupe des Forces démocratiques de libération du Rwanda, FDLR en sigle. Deux millions de Rwandais hutus se réfugient également dans la région de Kivu. Deux ans plus tard, le FPR franchit à son tour la frontière pour écraser cette menace, en tuant au passage des centaines de réfugiés. La milice des ADF, rebelles musulmans ougandais opposés au Président Yoweri Museveni, s’expatrie à son tour vers l’Est de la RD-Congo dès 1995. C’est Paul Kagame qui lève le voile sur les vrais raisons de cette guerre imposée au Congo, en complicité de la Communauté internationale: la création d’un Tutsiland. Lorsque la guerre se déclenche et que les autorités du Kivu demandent que les réfugiés Banyamulenge qui s’arment et qui causent l’insécurité rentrent chez eux, Paul Kagame déclare: si vous ne voulez pas d’eux, alors rendez les moi avec leurs terre. C’est ainsi qu’il évoqua la possibilité d’une Conférence de Berlin bis pour revoir les frontières héritées de la colonisation.

4. Le début de la guerre

Le rapport Mapping affirme en page 78 que le  6 octobre 1996, des éléments armés banyamulenge/tutsi auraient tué à Lemera dans le territoire d’Uvira plus d’une trentaine de personnes dont des civils et militaires qui recevaient des soins à l’hôpital local. Devant l’émotion suscitée par ce massacre, le 8 octobre, le vice-gouverneur du Sud-Kivu, Lwabanji Lwasi, a donné aux Tutsi/Banyamulenge une semaine pour quitter définitivement la province sous peine d’être considérés et traités comme des éléments armés infiltrés. Lemera, cette petite localité paisible sur le plateau, à bord de la rivière Ruzizi, aux environs d’Uvira a perdu ce jour-là sa quiétude, sa tranquillité et sa sécurité et avec elle, tout le territoire congolais. En réponse à l’ultimatum des autorités du Kivu, les Banyamulenge menèrent un soulèvement armé contre le gouvernement local. Le 10 octobre, le Rwanda a encouragé tous les adultes banyamulenge de sexe masculin à rester au Zaïre et à se battre pour le respect de leurs droits. Simultanément, le gouverneur du Sud-Kivu, le pasteur Kyembwa Walumona, demande à tous les jeunes de la province de s’enrôler dans des milices afin d’épauler les Forces armées zaïroises. Ce sera le début d’une longue guerre entre les FAZ et le FPR qui opérait sous le nom de Banyamulenge et l’AFDL. Car, c’est le chef d’état-major rwandais qui en sera le commandant des opérations et de l’assaut qui se préparait. C’est ainsi qu’au bout de compte, il y aura un échange de mortier entre les FAZ et le FPR stationnées sur les deux rives du lac Kivu. Ces événements sont désormais considérés comme les premiers engagements de la première guerre du Congo, dite de libération.

5. Laurent-Désiré Kabila entre en scène

Laurent-Désiré Kabila, un ancien rebelle maoïste qui, après avoir animé le maquis d’Hewa Bora à Fizi, avait passé la précédente décennie à vendre de l’or en Tanzanie, réapparait comme porte-parole de l’AFDL et leader de son ancien groupe, le Parti pour la révolution des peuples. L’AFDL en ce temps-là comprenait aussi le Conseil national de la résistance pour la démocratie, CNDR, dirigé par André Kissasse Ngandu, le Mouvement révolutionnaire pour la libération du Zaïre, dirigé par Anselme Masasu Nindaga, et l’Alliance démocratique des peuples de Déogratias Bugera. Il faut préciser que lorsque le Rwanda et l’Ouganda mettaient en place l’AFDL, Laurent-Desiré Kabila n’y était pas encore associé. La partie congolaise était représentée par André Kissasse Ngandu, comme leader du groupe.  Masasu Nindaga et Déogratias Bugera représentaient les intérêts de Banyamulenge. Laurent-Désiré Kabila sera désigné porte-parole pour donner plus de crédit face aux Zaïrois qui redoutaient que leur pays ne soit envahi par des étrangers.

6. La guerre par procuration

Après avoir nié leur participation à la conception, la création et l’animation de l’AFDL, le Président du Rwanda Paul Kagame et celui de l’Ouganda Yoweri Museveni, n’ont plus pu se voiler la face lorsque les deux troupes s’affronteront dans la Province orientale, sur la terre zaïroise pour le contrôle de l’or. Les premières actions de l’AFDL furent de prendre les villes proches des frontières de l’Est et de disperser les camps de réfugiés qui offraient un refuge facile aux militants des forces Hutues du RDR. Cet acte fut dénoncé par les organisations humanitaires. À chaque destruction de camp, les réfugiés passaient au suivant, aggravant les problèmes humanitaires et sanitaires. Le camp de Mugunga, au nord du lac Kivu, atteint 500 000 occupants, ce qui le rendait ingérable. Les forces Hutues et zaïroises furent cependant rapidement défaites après de sanglants affrontements et les provinces du Nord et du Sud-Kivu furent rapidement acquises. Les réfugiés Hutus s’enfuirent, et environ 800 000 d’entre eux revinrent au Rwanda. Plusieurs centaines de milliers d’autres s’éparpillèrent dans les forêts du Kivu, exposés à la famine, aux maladies, aux fauves et aux bandes armées.

7. les Kadogos marchent sur Kinshasa

La population, lassée par le régime de Mobutu Sese Seko, accueillit  favorablement les conquérants. Les soldats de l’armée zaïroise prirent la fuite, se rendirent sans combattre ou rejoignirent les insurgés. Le 17 mai 1997, après une dernière médiation avortée entre Mobutu et Kabila en compagnie de Nelson Mandela dans le bateau sud-africain Utenica, l’AFDL atteint le quartier de Masina à Kinshasa et Kabila s’autoproclame Président de la République démocratique du Congo. L’AFDL fut rapidement transformée en la nouvelle armée nationale. Alors que la guerre de l’AFDL fut essentiellement une longue marche des Kadogos ou enfants soldats et des alliés Rwandais et Ougandais à travers le pays jusqu’à Kinshasa, cette expédition a occasionné tout de même de nombreux massacres,  pendant et après la guerre, au point de se prolonger jusqu’à ce jour.

8. La guerre de rectification

La deuxième guerre du Congo est un conflit armé qui se déroule sur le territoire de la République démocratique du Congo, de 1998 à 2002, avec une fin formelle le 30 juin 2003. Elle impliqua une dizaine de pays africains, et une trentaine de groupes armés, ce qui en fait la plus grande guerre entre États dans l’histoire de l’Afrique contemporaine. Elle est aussi surnommée la «grande guerre africaine» ou encore la «première guerre mondiale africaine».

9. Le rapport Mapping de l’ONU

Le rapport de Mapping de l’ONU a été élaboré par le Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme et décrit les violations les plus graves des droits humains et du droit international humanitaire commises en République démocratique du Congo -RDC- entre mars 1993 et juin 2003. Il s’agit d’un document dense et détaillé, basé sur des recherches extensives et rigoureuses effectuées par une équipe d’une vingtaine de professionnels congolais et internationaux en matière de droits humains sur une période de 12 mois. Le rapport examine 617 des incidents les plus graves survenus dans tout le Congo sur une période de 10 ans et fournit des détails sur des cas graves de massacres, de violence sexuelle et d’attaques contre des enfants, ainsi que d’autres exactions commises par une série d’acteurs armés, notamment des armées étrangères, des groupes rebelles et des forces du gouvernement congolais. Le rapport indique que les femmes et les enfants ont été les principales victimes de la plupart des actes de violence recensés par l’équipe. Afin de «refléter comme il convient l’ampleur de ces actes de violence commis par tous les groupes armés» contre les personnes les plus vulnérables, le rapport consacre des chapitres spécifiques aux crimes de violence sexuelle contre les femmes et les filles, ainsi qu’aux violences contre les enfants. Il consacre également un chapitre au rôle joué par l’exploitation des ressources naturelles par rapport aux crimes commis au Congo.

10. Des crimes imprescriptibles

Le rapport conclut que la majorité de crimes documentés peut être qualifiée de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. En référence à une série particulière d’événements qui se sont déroulés entre 1996 et 1997, le rapport soulève la question de savoir si certains crimes commis par l’armée rwandaise et son allié congolais AFDL contre des réfugiés hutus rwandais et des citoyens hutus congolais  pourraient être qualifiés de crimes de génocide. Le rapport précise qu’il appartiendrait à un tribunal compétent de rendre une telle décision.

11. Un Tribunal spécial

L’équipe de Mapping a constaté que le système judiciaire congolais manque de capacité à court – ou moyen-terme pour poursuivre les crimes qu’elle a documentés, en dépit des réformes judiciaires récentes initiées par le gouvernement avec le soutien de bailleurs de fonds internationaux. Parmi les options qu’il expose, le rapport exprime une forte préférence pour la création d’un modèle hybride: une chambre judiciaire mixte intégrée dans le système judiciaire congolais avec des juges et autres personnels congolais et internationaux pour rendre justice aux victimes. Ce modèle suit des recommandations similaires de la part de nombreux rapporteurs spéciaux de l’ONU et organisations de la Société civile congolaise. Human Rights Watch soutient également ce modèle. Le gouvernement congolais avait proposé un projet de loi par l’entremise de son ministre de la Justice en faveur de la création de ce Tribunal spécial, mais pour des raisons de pesanteur politique, ce projet a été rejeté. Peut-être qu’avec le nouveau gouvernement qui prône l’impunité et l’Etat de droit, ce projet pourrait passer afin que justice soit faite. Car sans une  justice équitable qui peut amener les parties au pardon et à la réconciliation, il n’y aura pas une paix durable en République démocratique du Congo.

Professeur VOTO

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